Cuba-Etats-Unis : L'insupportable inertie des sanctions contre Cuba pour l'utilisation du dollar
Par: Rosa Miriam Elizalde, Ismael Francisco (Cubadebate, 26 mai 2016)
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Kevin Darrow, patron d'un petit restaurant à Pasadena, est arrivé à La Havane ce mardi 24 mai. Il est venu avec une licence générale que lui a accordée le programme d'échange « de peuple à peuple » et avec l'émotion de quelqu'un qui débarque dans un pays exotique, à présent à la mode aux Etats-Unis. A l'aéroport, au moment de monter à bord d'un bus qui l'amènera à l'Hôtel Melía Cohiba, il avoue à Cubadebate qu'il est ennuyeux de voyager sans pouvoir utiliser ni chèques de voyages ni carte de crédit et, évidemment, avec tout son liquide sur lui.
« Savez-vous pourquoi c'est comme ça ? » lui demandai-je. « Non, ils m'ont seulement dit que tout devait être en liquide parce que les cartes de crédit ne fonctionnent pas ici ». Il a entendu parler de « l'embargo » (blocus pour les Cubains) mais ne comprend pas bien comment une chose est en relation avec l'autre. Il ne savait même pas que le Président Barack Obama avait autorisé en mars dernier l'utilisation du dollar dans les transactions entre les deux pays ni que les Cubains peuvent réaliser depuis des comptes situés hors des Etats-Unis des virements de fonds dans cette monnaie qui arriveraient à Cuba et auraient pour destination finale des banques situées hors du territoire états-unien (ce qu'on appelle les transactions “U-turn”).
Kevin Darrow ne le sait pas et semble-t-il, les banques états-uniennes n'en ont pas non plus été informées. Comme Cubadebate le rappelait récemment, l'Ile n'a pu réaliser aucune opération bancaire en dollars depuis l'entrée en vigueur de la mesure le 17 mars 2016 jusqu'à aujourd'hui. Et comme on le sait, la majorité des opérations en dollars transitent par des banques états-uniennes et par conséquent, l'interdiction de telles transactions a gravement affecté l'économie du pays.
A la veille de la visite du Président Barack Obama à La Havane, le lendemain du jour où était entrée en vigueur l'autorisation de faire des opérations dans cette monnaie, le Chancelier cubain Bruno Rodríguez Parrilla assurait que Cuba cesserait d’appliquer la taxe de 10% au dollar à son entrée dans le pays mais seulement quand il serait prouvé qu'il n'y a vraiment plus de persécutions contre les transactions financières cubaines dans cette monnaie.
Assurances
Kevin est non seulement inquiet parce qu'il doit transporter l'argent sur lui mais parce qu'il n'a aucune idée de la façon dont pourraient fonctionner ses assurances de santé, de voyage et son assurance vie. L'assurance santé sur l'Ile – s'il a un problème, il sait qu'il dit aller à l'hôpital pour être soigné – il l'a achetée avec son billet d'avion mais il aurait aimé le faire par l'intermédiaire de son assurance habituelle aux Etats-Unis comme il le fait quand il se rend dans d'autres pays. Cela n'a pas été possible et on n'a pas pu lui en expliquer clairement les raisons.
Selon les mesures approuvées dans le premier paquet de mesures d'Obama en mars 2015, les compagnies d'assurances états-uniennes peuvent assurer les voyageurs du pays qui se rendent à Cuba. « Les règles du Bureau de Contrôle des Actifs Etrangers (OFAC) du Département du Trésor n'empêchent pas une compagnie d'assurances états-unienne d'assurer les voyageurs qui sont autorisés à se rendre à Cuba. Mais peut-être les compagnies d'assurances ne le savent pas » confirme par téléphone à Cubadebate l'avocat états-unien qui représente le gouvernement cubain aux Etats-Unis.
L'habitude veut que l'Entreprise d'Assurances Internationales de Cuba, S.A (ESICuba) rende ce service aux voyageurs internationaux suite à des accords avec d'autres compagnies d'assurances dans le monde mais historiquement, il y a eu des restrictions concernant l'acquisition de protections de ré-assurance non seulement avec des entreprises états-uniennes mais aussi avec des compagnies da pays tiers qui ont des intérêts aux Etats-Unis ou qui sont cotées dans des bourses des Etats-Unis, essentiellement à celle de New York.
Avec les sociétés d'assurances, il arrive la même chose qu'avec les banques. Les autorisations existent mais on a peur de faire le premier pas. Et cela a un sens. Le gouvernement états-unien a imposé dans le passé des amendes colossales à des banques de pays tiers à cause des sanctions du blocus et ces sanctions ont eu un effet parfaitement pédagogique. Les sanctions imposées à la banque USB, 100 millions de dollars, au Crédit Suisse, 536 millions, à la BNP Paribas, un super-montant de 8 083 000 millions, sont connues dans le secteur bancaire.
Le politique de persécution financière contre des banques de pays tiers qui voient freinée leur activité avec Cuba a généré seulement ces 3 dernières années plus de 10 000 millions de dollars d'amendes. En 2014, après l'annonce conjointe historique des présidents Raúl Castro et Barack Obama qui a ouvert la voie au processus de normalisation des relations entre les 2 pays, le Crédit Agricole français a été l'objet d'une amende de 787 millions de dollars. Au moins 5 autres banques ont été sanctionnées avec des amendes plus faibles et des dizaines ont été l'objet d'enquêtes.
Mais ce qu'on sait n'est pas nécessairement ce qui arrive en réalité. Beaucoup d'amendes ne sont pas répercutées dans les informations parce que les administrations des banques craignent que cela ne crée la panique parmi leur clientèle. Elles ne peuvent pas toutes se relever facilement d'une perte de plusieurs millions de dollars.
L'inertie d'une mesure draconienne
« Le but de l'application draconienne de cette mesure est de dissuader les banques de faire des affaires avec Cuba en rendant tous les coûts si élevés qu'elles n'osent pas prendre le risque. Cela a trop bien fonctionné » a reconnu dans un article écrit pour le World Politics Review le chercheur William Leogrande, co-auteur d'un livre indispensable pour comprendre les relations Cuba-Etats-Unis “Back Channel to Cuba: The Hidden History of Negotiations between Washington and Havana”.
Leogrande rappelle que le premier signe que les sanctions financières avaient fait des métastases en dehors du contrôle du Département du Trésor se produisit en 2013 quand la M&T Bank a refusé de continuer à fournir ses services à la mission diplomatique de Cuba en Washington étant donné que ça leur coûtait plus que ce que ça leur rapportait. « Il a fallu au Département d'Etat 21 mois pour trouver une banque prête à remplacer la M&T. Finalement, la banque Stonegate a accepté de le faire en juin 2015 parce que, comme l'a dit son CEO, il a senti comme « une obligation morale » d'aider à rétablir les relations entre les 2 pays ».
Et, évidemment, il y avait un fort soutien du gouvernement pour que ce soit fait, ajouterions nous, nous. Cela s'est aussi produit à d'autres moments, selon ce qu'a reconnu le principal conseiller en politique étrangère d'Obama, Ben Rhodes. Lors d'un dialogue auquel a participé Cubadebate, Rhodes a assuré que pour remplir son engagement de rendre effectif l'usage du dollar dans les transactions cubaines, l’administration se rendrait « dans les banques et engagerait un dialogue avec elles pour qu'elles comprennent : 1) que maintenant, cette sorte de transaction est permise et 2) qu'elles n'encourront aucune sorte de pénalités si elles prennent cette mesure ».
Ben Rhodes a ajouté que l'inertie des sanctions appliquées pendant si longtemps fait que ce n'est pas seulement une question de peur ou de préjudice mais que les banques états-uniennes ont, programmé dans leur ordinateur, le rejet des transactions avec Cuba. L'inertie s'étend aux machines et il est arrivé des choses absurdes comme la fermeture automatique de comptes de clients qui ont utilisé leur carte de crédit Europa pour acheter un billet pour un spectacle dans le titre duquel apparaissait le mot « Cuba ».
« Les banques sont très nerveuses concernant tout faux pas... à cause des amendes même quand il s'agit seulement d'une petite erreur, celles-ci peuvent être énormes », a expliqué à Reuters un avocat de Miami qui fait partie de la banque internationale. « Cela fait qu'il est plus facile d'imposer des sanctions que de les démanteler », admet un fonctionnaire des Etats-Unis cité par l'agence britannique.
Ce qui est extraordinaire, c'est que si les autorités états-uniennes montrent leur intérêt pour désentraver les opérations, en même temps, elles se contredisent par leurs actes. Le Secrétaire d'Etat John Kerry a rencontré au debut de ce mois-ci des représentants des principales banques européennes pour elur donner des garanties qu'elles peuvent faire des affaires avec...l'Iran. Josefina Vidal, directrice générale du Ministère des Relations Extérieures de Cuba pour les Etats-Unis, lors d'une conférence de presse, manifestait très justement son plus grand étonnement face à cette action du Secrétaire d'Etat juste au moment où allait se tenir à La Havane la troisième Commission Bilatérale Cuba-Etats-Unis.
« Il n'y a eu aucun effort diplomatique pour tranquilliser les banques et pour que les sanctions soient réellement levées », admet Leogrande. Le sous-directeur de la Chancellerie cubaine pour les Etats-Unis Gustavo Machín, faisait un commentaire à ce sujet lors d'une conférence de presse qui a eu lieu, évidemment, avant le rencontre entre Kerry et les banques européennes :
« Cuba a insisté sur le fait qu'il ne suffit pas d'annoncer la mesure qui autorise l'utilisation du dollar dans les transactions internationales – j'entends , dans les transactions internationales- mais que cette mesure doit être accompagnée, nous avons insisté sur cela, nous, par une forte déclaration, une déclaration politique ou qui comprenne un docuement légal qui donne des garanties aux banques que, si elles s’impliquent avec Cuba, elles ne seront pas sanctionnées. »
Cela n'a pas été ébruité publiquement et, par conséquent, explique pourquoi l'ami Darrow rencotnre de tels problèmes lors de son voyage sur l'Ile comme tous ses compatriotes qui débarquent ici. Alors que, de ce côté-ci, 11 millions de Cubains attendent aussi que leur économie soit libérée des persécutions irrationnelles concernant le dollar, la devise la plus importante pour les transactions en monnaie étrang ère. Ce n'est pas juste.
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