Brésil : Interview du secrétaire politique du Parti Communiste Brésilien
par Mario Franssen et Tony Busselen (Cubanismo, 15 juillet 2016)
Le 17 mai dernier, musiciens et artistes occupent plusieurs bâtiments officiels pour protester contre la disparition du ministère de la Culture
À l’occasion d’une soirée de solidarité avec l’Amérique latine ce 15 juin à Bruxelles, nous avons rencontré José Reinaldo Carvalho, secrétaire politique pour les relations internationales du Parti communiste du Brésil (PCdoB). Un parti qui fait partie de la coalition gouvernementale de Dilma Roussef.
Avec ses 10 députés à la Chambre et 1 sénateur, le PCdoB, fait partie de la coalition gouvernementale avec le Parti des Travailleurs (PT) de Dilma Roussef, la présidente qui a été destituée temporairement le mois dernier dans le cadre de la procédure de destitution au sénat. Son secrétaire politique, José Reinaldo Carvalho, est encore fatigué du voyage quand nous le rencontrons. Mais il retrouve vite de la vigueur quand il commence à nous parler – dans un français parfait – de la situation politique brésilienne.
Comment, un mois après le coup d’État parlementaire contre la présidente Dilma Roussef, la situation a-t-elle évolué ?
Reinaldo Carvalho. Le coup d’État est toujours en cours. Le sénat se prononcera en août sur les accusations contre Dilma Roussef. Si 54 des 81 sénateurs déclarent Dilma coupable, la destitution deviendra définitive et l’actuel vice-Président Michel Temer (droite, NdlR) restera président. Mais ça n’est pas sûr car jusqu’à maintenant, ce gouvernement intérimaire est un vrai désastre. Il y a déjà trois ministres de Temer qui ont dû démissionner à cause d’accusations de corruption. Ils annoncent des mesures d’austérité qui vont couper dans le secteur social et les services publics.
Ils annoncent qu’ils veulent « rouvrir » le pays. En fait, ils reprennent leurs plans de privatisations des années 1980. Mais avec une grande différence : récemment, on a découvert d’énormes réserves pétrolières dans les eaux territoriales du Brésil. La société brésilienne de pétrole (Petrobras) a développé des technologies spéciales pour exploiter ces réserves qui se trouvent en eaux profondes. Il existe une loi qui garantit que l’État brésilien garderait une partie des concessions exploitées. Cela pourrait faire du Brésil un pays pétrolier très important. Or, c’est justement cette loi que ce gouvernement de droite, qui n’est pas élu, veut abolir !
Vous avez insisté dans vos déclarations sur la signification internationale de ce coup d’État. Pouvez-vous expliquer ?
Ce coup d’État fait partie d’une grande contre-offensive des États-Unis contre le processus de l’évolution vers la gauche en Amérique latine. Ce processus a commencé avec l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez en 1998 au Venezuela. Cela a été suivi par l’arrivée au pouvoir de la gauche dans des pays comme la Bolivie, le Honduras, l’Equateur, le Nicaragua et le Salvador.
En 2010, il y a eu la formation de la CELAC, la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes. Dans la CELAC, les États s’organisent séparément de l’Organisation des États d’Amérique (OAS), dirigée par les États-Unis. Il y a aussi l’appartenance du Brésil aux BRICS, l’organisation des États émergents qui menace la domination économique mondiale des États-Unis. Le coup d’État contre Dilma qui a mis au pouvoir un gouvernement de droite non élu, vise la rupture et la destruction de ces évolutions qui ne plaisent pas aux États-Unis.
Comment le peuple voit-il ce nouveau gouvernement ?
L’opinion publique est en train de changer. Les gens qui ont participé à la mobilisation contre Dilma attendaient qu’une fois qu’elle serait remplacée, la corruption allait partir et tout allait s’arranger. Or, maintenant ils découvrent le contraire. Dans les sondages, l’actuel président ad intérim n’obtiendrait que 2 % des votes. Et le gouvernement actuel n’à la confiance que de 11 % des Brésiliens. Avec les grandes manifestations qui se déroulent quasiment quotidiennement, cela met une forte pression populaire sur les sénateurs. Pour l’instant, 55 sénateurs veulent voter pour la procédure. Donc, il suffit de deux sénateurs qui changent de camp pour que la destitution n’ait pas lieu.
Comment les 89 % qui s’opposent au gouvernement de Temer s’organisent-ils pour mettre les sénateurs sous pression ?
Il y a des manifestations communes entre des groupes politiques qui, avant, ne manifestaient pas ensemble. Il y a une nouveauté : il s’agit de la formation du Front populaire brésilien. Dans ce Front, il y a le Mouvement des paysans sans terre (MST), qui reste critique envers le programme de notre ancien gouvernement dirigé par Dilma Roussef mais qui, en même temps, défend ce gouvernement contre les attaques de la droite. Il y a aussi les dissidents du Parti socialiste brésilien qui se trouve dans l’opposition à notre gouvernement. Et le « Front du peuple sans peur », un mouvement urbain qui se bat contre les expulsions de familles de leur maison. Et, naturellement, il y a les partis de gauche qui faisaient partie du gouvernement de Dilma : le PT de l’ex-président Lula et de Dilma, le Parti démocratique travailliste (PDT) et notre parti, le PCdoB. Et enfin, très important, il y a les syndicats organisés dans les fédérations de la CUT (proche du PT) et la CTB (proche de nous).
C’est vraiment une nouveauté que ces différents mouvements de la gauche brésilienne manifestent ensemble, que leurs dirigeants se partagent la parole lors de ces manifestations. Cela transforme le visage du monde politique au Brésil.
Quelles sont les perspectives qui sont données par ce Front populaire ?
Le débat est ouvert. Notre parti a lancé l’idée que si la procédure de destitution échoue, il faut organiser un référendum qui devrait permettre que de nouvelles élections soient organisées déjà en 2016. Soit deux années plus tôt que prévu. J’entends maintenant que Dilma Roussef fait le même appel qui vise naturellement un changement de la scène politique dans notre pays. Le MST veut aller plus loin, ils veulent des élections pour une Constituante, c’est-à-dire un Parlement qui pourrait écrire une nouvelle constitution qui prévoit entre autres une réforme agraire. Mais le défi à court terme de ce front est d’augmenter la pression de la rue. Car il ne faut pas se faire d’illusions : si la droite réussit à rester au pouvoir, elle va essayer d’interdire et de criminaliser le PT et toute la gauche.
Article publié dans le mensuel Solidaire de juillet 2016
http://cubanismo.net/cms/fr/articles/un-vrai-front-populaire-br-silien