Amérique Latine : l'OMC débarque en Amérique Latine
Du 10 au 14 décembre aura lieu la 11° Conférence Ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce à Buenos Aires (Argentine) où on attend des représentants des 164 pays membres pour poursuivre les intenses négociations autour des mesures néolibérales (douanières, brevets, agro-alimentaires, industrielles et concernant les services) soutenues par les pays du centre (PC) pour qu'elles soient incorporées par les pays de la périphérie (PP), alors que les « grands » : les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l'Union Européenne réclament pour leurs pays plus de protection et la non reconnaissance des règles qu'ils proposent eux-mêmes mais qu'ils ne sont pas prêts à respecter.
Dans le contexte politique actuel, c'est une conférence qui comporte un risque pour l'Amérique Latine parce que 2 pays importants de la région, le Brésil et l'Argentine, suite au coup d'Etat de Temer et à la victoire de Macri, se sont ralliés aux positions hégémoniques de l'OMC, contraires aux politiques destinées à récupérer ou à préserver la souveraineté développées jusqu'en 2015. Cette position se serait matérialisée dans des réserves et des veto concernant les conditions inégalitaires et asymétriques des lois sur la propriété intellectuelle (brevets, copyright), l'élimination des droits de douanes des marchés non agricoles (NAMA) et de sauvegarda agricole (des pays du centre). Il faut souligner qu'au-delà d'un revirement des processus dans ce sens en Amérique Latine, il y a encore des acteurs qui font contrepoids à l'OMC comme les RICS ( Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui se joignent à la résistance de certains pays face aux impositions commerciales.
La situation de l'OMC n'est pas homogène. En 22 ans de fonctionnement, ont créés des blocs de pays qui ont les mêmes intérêts politiques et économiques pour unir leurs forces dans les négociations internes de cet organisme multilatéral. Cela a favorisé l'affrontement de blocs fluctuants, non officialisés à l'OMC, avec des intérêts différents. Des groupes se constituent pour imposer la mondialisation néolibérale et pour renforcer les avantages des pays développés (G7, G20). Dans d'autres cas, il s'agit de blocs construits par nécessité face à l'imminence d'impositions (G90).
Le bloc appelé “Quad” ou quadrilatère est composé par les Etats-Unis, l'Union Européenne, le Japon et le Canada (auquel s'ajoutent l'Australie et Taiwan) dans le but principal d'unifier et de renforcer une ligne opposée à la Chine et de mettre à l'ordre du jour des mesures de libre-échange à l'OMC. Ces pays sont organisés pour agir à l'OMC en faveur des entreprises et au détriment des intérêts nationaux des 160 autres pays membres de l'organisme. Ils sont destinés à maintenir des voies de protection des produits agricoles, industriels et des services tout en garantissant la division inégalitaire de la production internationale imposée depuis l'Accord Général sur les Droits de Douanes et sur le Commerce (GATT). De cet ordre inégal centré sur le retard industriel et technologique des pays de la périphérie découle aussi la logique des traités de libre commerce qui se renforcent aujourd'hui en Amérique Latine dans le cadre de l'offensive néolibérale.
Les Etats-Unis ont constitué le G7 et ensuite le G7+la Russie à la fin des années 90 pour stimuler les mesures conformes aux besoins des corporations transnationales. Face à ces secteurs qui dirigent l'OMC, se sont organisés des groupes qui, bien que sporadiques, ont été utiles pour affronter certains des projets du Quad et du G7 comme l'élimination des subventions agricoles, l'imposition de règles rétrogrades sur la propriété intellectuelle, des droits de douanes sur les produits non agricoles et sur les services. Ces groupes (sans caractère contraignant) sont connus comme G33 et G90 et se caractérisent par leur hétérogénéité et l'absence d'organisation à cause de leurs différences concernant les intérêts et les buts de la négociation.
Le G20, le groupe le plus puissant de l'OMC, est une tentative pour obtenir des accords entre le Quad, le G7 et les autres « grands » pays du monde pour diriger l'économie mondiale et imposer des règles aux autres pays de la planète. La résistance la plus évidente aux Etats-Unis est dirigée (jusqu'à présent) par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) dans le domaine de la propriété intellectuelle et de l'industrialisation, ce qui se traduit par l'augmentation de la production de produits génériques (médicaments, machines, etc...) et la protection de l'activité industrielle dans ces pays.
C'est pourquoi la position du Brésil (en particulier), le membre latino-américain des BRICS, comme celle du Mexique et de l'Argentine qui appartiennent au G20 est importante à l'échelle de la région et du monde. Jusqu'à la dernière conférence de 2015 qui a eu lieu à Nairobi (Kenia), ces pays ont été caractérisés par des positions progressistes qui ont fait pression en faveur de la récupération et du renforcement de la souveraineté et de la capacité industrielle des économies émergentes face aux Etats-Unis et à l'Union Européenne dans des domaines sensibles pour l'industrie, les brevets et la signature de traités de libre commerce. Il faut rappeler qu'à la réunion ministérielle de 2013 à Bali-Indonésie, la Bolivie, l'Inde, le Venezuela et Cuba ont réussi à faire échouer l'Accord de Facilitation Commerciale jusqu'à ce qu'on trouve une solution permanente au problème de la sécurité alimentaire de la planète.
Cependant, le constant réaménagement de la politique internationale et en particulier la vague conservatrice en Amérique Latine ouvrent la possibilité que des blocs de pouvoir continuent à avancer à l'OMC pour renforcer la dynamique asymétrique centre-périphérie comme en a prévenu le président des Etats-Unis Donald Trump pour qui l'OMC est gênante à cause du fonctionnement de l'organisme de résolution des différends devant lequel les nations peuvent porter plainte pour les violations des règles du commerce.
Dans toutes les conférences ministérielles, des accords contraignants pour les 164 pays sont signés. L'ordre du jour actuel indique que les pays du Quad et du G7 (avec l'aide des pays revenus au néolibéralisme comme l'Argentine) y assisteraient dans l'intention d'avancer dans les négociations sur la levée des droits de douane sur les produits non agricoles et industriels qui ont encore des protections et sur les échanges de services dans la réglementation nationale des services, le commerce électronique et l'accès aux marchés dans des secteurs spécifiques comme la cybersécurité, le tourisme, le transport, les finances et la distribution.
En ce qui concerne la première sphère de négociations, les pays du centre prétendent changer les régulations nationales des services en promouvant de meilleurs standards qui empêchent les entreprises locales d'y participer et ouvrent la voie à une plus grande avancée des corporations de transnationales dans la prestation de ces services, une tentative à laquelle jusqu'à présent, les pays périphériques ont résisté bien que l'intention des pays du centre de provoquer ces mesures demeure.
Le commerce électronique et l'accès aux marchés sont 2 négociations complémentaires en relation avec les régulations nationales. Les pays du centre prétendent (dé)réguler les conditions du monde financier et la cybersécurité dans des termes favorables aux entreprises transnationales en limitant les protections dans ces domaines de pays comme la Chine et en élargissant le spectre de contrôle des affaires par les grands monopoles des télécommunications, les industries militaires et de cybersécurité (il faut rappeler le but de la récente tournée du premier ministre d'Israël, Netanyahu).
L'industrie et le travail sont aussi en discussion permanente à l'OMC. Les pays du G7 prétendent continuer à avancer sur les régulations nationales qu'ils considèrent comme des « obstacles » pour le libre commerce, un sujet sur lequel agissent la Bolivie et le Venezuela à cause de leurs positions souveraines à ce sujet. Mais ils font aussi partie du “target” Brésil et Argentine (même l'Uruguay), qui, pendant plus de 10 ans a stimulé la réindustrialisation et la production de marchandises industrielles pour la consommation intérieure. Dans les négociations sur les marchés non agricoles se trouvent la taille de bois (très convoitée par les Canadiens), les marchés miniers énergétiques et du pétrole, des secteurs importants pour les pays de la région qui peuvent être affectés si sont approuvées des mesures qui obligent à réduire encore plus les mesures de protection et les droits de douane.
Les conditions internes imposées a priori pour engager les négociations sur le traité de libre commerce entre le MERCOSUR et l'Union Européenne créent une situation en relation avec les projets de loi de flexibilisation du travail qui avancent au Brésil et en Argentine. Ces 2 pays essaieront d'arriver avec des régulations du travail qui favorisent les entreprises du vieux continent et seront orientées vers la destruction de l'emploi et des entreprises nationales non seulement industrielles mais aussi des services et des biens sur lesquels doivent être déposés des brevets selon les positions du Quad et du G7.
Dans l'ordre du jour de Trump, comme on l'a dit, figure l'objectif de changer les règles de l'OMC pour résoudre les conflits commerciaux grâce à des régulations qui garantissent plus d'avantages aux entreprises nord-américaines et mettent dans l'embarras tout pays qui décide par exemple de satisfaire les besoins alimentaires, en médicaments génériques ou de protection juridique face à la « compétence déloyale » ou aux violations des règles commerciales par les Etats-Unis. Une avancée en ce sens affecterait l'Amérique Latine si on considère que le nombre le plus important de plaintes déposées ces dernières années devant le mécanisme de Résolution des Différends de l'OMC l'ont été contre le Brésil, l'Argentine et le Mexique.
Après l'échec de la zone de Libre commerce des Amériques (ALCA) à Mar del Plata (2005), cette réunion est un gros pari pour l'OMC et les secteurs néolibéraux de la région. Ce sera le première fois que cette réunion ministérielle aura lieu en Amérique Latine, rien moins que dans l'Argentine de Macri. Probablement, elle insufflera de l'énergie à l'Alliance du Pacifique ainsi qu'aux traités de libre commerce en négociant dans le cadre du MERCOSUR. Un avertissement clair sur la force et la projection du retour conservateur dans la région face auquel les Gouvernements et les peuples qui luttent pour leur souveraineté devront renforcer leurs positions.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol :
https://www.telesurtv.net/opinion/La-OMC-aterriza-en-Latinoamerica-20171126-0062.html
URL de cet article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2017/11/amerique-latine-l-omc-debarque-en-amerique-latine.html