Honduras : Silence et impunité d'hier et d'aujourd'hui
par Silvina Romano , Javier Calderón,
La « panne » inattendue du système de décompte des voix survenue lors des récentes élections présidentielles au Honduras ne doit pas être interprétée comme un fait isolé dans la « démocratie » hondurienne. Avant la panne, le candidat de l'Alliance d'Opposition contre la Dictature de gauche, Salvador Nasralla, gagnait avec 5 points d'avance. Après la panne, Juan Orlando Hernández-JOH, du parti au pouvoir, est en tête. L'impunité de la fraude renvoie immédiatement au coup d'Etat de juin 2009 contre le président de l'époque, Juan Manuel Zelaya.
Ce coup d'Etat a été perpétré par les forces Armées avec la complicité du Pouvoir Judiciaire, l'action de la presse locale et la bénédiction du secteur public-privé étasunien. Une des « caractéristiques » du renversement de Zelaya a été la « panne des médias : » les médias honduriens concentrés ont organisé la désinformation (en affirmant que Zelaya avait signé une lettre de démission) et la censure des médias communautaires pour empêcher que la vérité soit connue (que Zelaya avait été enlevé et amené sur la base militaire de Palmerola) et passer sous silence la résistance.
A son tour, le coup d'Etat et la « panne des médias » ont été soutenus directement ou indirectement par la presse internationale qui a contribué à une longue campagne contre Zelaya en affirmant que la Consultation du Peuple organisée par le président avait pour seul but sa réélection car il désirait « rester au pouvoir » bien qu'en réalité, ce soit JOH qui a finalement réussi à imposer la possibilité d'une réélection en brisant la Constitution.
Dans la situation actuelle, à la différence de ce qui a été publié en juin 2009, la plupart des médias évoquent naturellement le coup d'Etat contre Zelaya. Cependant, non seulement ils n'accusent pas Juan Orlando Hernández de vouloir rester au pouvoir mais ils remettent en question l'attitude de l'opposant Nasralla parce qu'il n'accepte pas les résultats des élections en disant que « c'est l'ex-président Manuel Zelaya qui fait bouger la main de Nasralla. »
Cependant, il faut souligner que la presse étasunienne et européenne mentionne (avec plus ou moins de détails) le lien entre les protestations dans les rues et ce qui s'est passé en 2009, en assurant que depuis le renversement de Zelaya, la situation économique, politique et sociale est devenue de plus en plus critique dans un pays caractérisé par la violence, gouverné par des cartels, avec des forces de sécurité entraînées à la répression des émeutes. Ils n'occultent même pas (à la différence de al façon dont le coup d'Etat contre Zelaya en 2009 a été couvert) les intérêts étasuniens au Honduras. Ils affirment même que le Honduras est la « république bananière » traditionnelle soumise aux conceptions du secteur public-privé des Etats-Unis depuis que l'United Fruit Company (« la bananière ») y a été présente.
Cependant, il faut souligner aussi qu'un facteur commun dans les analyses est de signaler immédiatement le lien entre le cercle de Juan Orlando Hernández et le lobby républicain de Miami ou avec le cercle proche de Trump à la Maison Blanche en mentionnant même sa complicité présumée avec le trafic de drogues. Cela provoque certaines suspicions. Il semble que la « sincérité » au sujet de ce qui se passe au Honduras non seulement arrive 10 ans trop tard (des années chères pour le peuple hondurien) mais qu'elle est tributaire de l'un des fronts intérieurs de la politique étasunienne où les principaux médias ont soutenu la candidature d'Hillary Clinton et ont perdu. Le lien immédiat montré entre le Gouvernement de Trump et le « projet de pays » du parti au pouvoir au Honduras, cependant, a des racines plus profondes qui sont visibles dans le Plan Puebla Panamá refondé comme Plan Amérique Centrale ou dans la récente Alliance pour la Prospérité (célébré par l'ex-vice-président Joe Biden) : tous des programmes d'assistance « pour le développement et la sécurité du Triangle Nord de l’Amérique Centrale mis en place par des démocrates ou des républicains indistinctement et qui se sont révélés néfastes pour le peuple hondurien.
La fin du mythe est une bonne chose si on considère les intérêts du secteur public-privé étasunien au Honduras, le pays qui a hébergé les mercenaires qui ont envahi le Guatemala d'Arbenz dans les années 50 avec le soutien ouvert du Département d'Etat et de la CIA, le territoire qui a hébergé la CONTRA et ses escadrons de la mort au début des années 80 pour en finir avec le Sandinisme et l'insurrection en Amérique Centrale financée par une commission bipartite qui a justifié l'afflux de fonds à travers de nouvelles institutions comme la NED chargées de « stimuler la démocratie, » un schéma dans lequel les médias étasuniens ont joué un rôle fondamental en justifiant la présence des Etats-Unis en Amérique Centrale.
Les Etats-Unis au Honduras aujourd'hui
La continuité de la présence d'intérêts étasuniens a pour axe la promotion de la démocratie libérale du marché, faisant obstacle à tout type de projet politique qui « insinue » n'importe quelle déviation de cette trajectoire. Nous trouvons au moins 3 domaines dans lesquels le secteur public-privé étasunien se déplace en toute liberté et qui, en ce moment, semblent « menacés » par certaines des propositions de Zelaya - des craintes qui éventuellement amènent à nous souvenir de la victoire (niée) de Nasralla.
La « reconversion » de l'économie hondurienne en tant que plateforme d'exportation de matières premières et de force de travail bon marché, le renforcement des usines de sous-traitance et du tourisme et la destruction de l'environnement : à cause de cela, on a engagé l'entreprise de conseil Mckinsey, qui a suggéré de développer les secteurs en question grâce aux polémiques Zones d'Emploi et de Développement Economique (ZEDE). L'un des objectifs, le développement du tourisme, n'a pas « évolué » comme on l'espérait à cause des hauts indices de violence exacerbés par l'industrie des mines qui encourage les violations des droits de l'homme contre les activistes environnementaux. C'est pour cela que, entre autres tâches, Mckensey se charge aussi d'indiquer des lignes publicitaires et de faire de la propagande en soulignant la diminution des indices de violence dans le pays comme une « grande réussite » - en occultant les conditions structurelles qui favorisent la violence.
La modernisation de l'Etat a été l'une des « cibles » de l'assistance pour le développement en provenance des Etats-Unis. L'agence Millennium Challenge Corp. a destiné « des millions » à l'aide pour encourager la transparence et la responsabilité en tant que stratégie pour réduire le flux de migrants illégaux vers les Etats-Unis. Le plan de l'Alliance pour la Prospérité a pour but de « renforcer les institutions » pour, entre autres choses, éviter le déplacement de migrants, en particulier de mineurs non accompagnés. Il dispose d » 750 millions de dollars pour ses activités. En parallèle à cette « alliance, » l'USAID a mis en place au Honduras 6 programmes et 2 accords concernant la sécurité des citoyens, la gouvernance responsable, l'éducation, la santé, la relance de l'agriculture, et la croissance économique avec un apport de 534 millions de dollars. Un effort pour obtenir une façon de gouverner qui convienne au Département d'Etat
Le lien ne s'établit pas uniquement grâce à la coopération au développement grâce à des « programmes sociaux » mais les Forces Armées étasuniennes sont aussi constamment présentes dans le pays, en particulier grâce aux relations avec le Commandement Sud des Etats-Unis qui a une base à Miami mais opère aussi à partir de la base aérienne de Palmerola, à 90 km de Tegucigalpa. Il faut se souvenir qu'en février 2016, sont sortis des documents qui rendaient compte d'un plan d'intervention militaire au Venezuela (Opération Freedom II) qui serait perpétré à partir de cette base au Honduras. L’entraînement des Forces Armées honduriennes par les Etats-Unis dure, comme on l'a déjà dit, depuis les années 80 avec la CONTRA. En 2015, plus de 1000 membres des forces de sécurité honduriennes ont reçu un entraînement des Etats-Unis. Actuellement, au moins 500 soldats nord-américains participent de façon permanente à des tâches d'opérations, de conseil et d'entraînement des
Forces Navales Spéciales
Le Groupe d'Opérations Conjointes Bravo, situé sur la Base Navale Soto Cano (Palmerola) sur laquelle il participe à des opérations, entraîne et conseille pour la formation de commandos.
La Troupe de Renseignement et des Groupes de Réponse Spéciale de Sécurité (TIGRES), un groupe formé par des spécialistes nord-américains et colombiens à des tâches de réaction contre les « groupes violents. »
La Force Nationale de Sécurité Inter-institutionnelle (FUSINA). Créée par le président Juan Orlando Hernández en 2014, a été impliquée dans des scandales de violations des droits de l'homme. Près de 300 militaires et membres du personnel civil étasunien, même des membres de l'infanterie de marine et le FBI ont fait des entraînements de « réponse rapide » avec 500 agentes de cette force en 2015.
Depuis 2012 et en prenant en compte le budget 2018, l'assistance des Etats-Unis dans le domaine de la sécurité pour le Honduras atteint presque 91 000 000 dollars. La majeure partie des fonds sont destinés (apparemment) à la guerre contre la drogue qui s'est institutionnalisée en Amérique Centrale dans le CARSI (l’élargissement de l'Initiative Mérida à l' Amérique Centrale qui se veut une réplique du Plan Colombie).
Les élections au Honduras ne peuvent être considérées en dehors du processus de présence permanente du secteur public-privé étasunien au Honduras. Il est même insuffisant de dire qu'il « y a des intérêts étasuniens au Honduras. » Il est temps que les analyses approfondissent les implications de ces liens profonds entre les droites des Etats-Unis et du Honduras qui ne se réduisent pas à des alliances avec les républicains. La contradiction entre les affirmations naissantes de la presse internationale concernant les intérêts des Etats-Unis au Honduras et la légitimation de cette présence se matérialise dans des faits importants comme à la faible remise en question du rôle d'observatrice joué par l'OEA dans l'échec du processus électoral caractérisé par la fraude (l'OEA, depuis sa formation, a cherché à protéger les positions des Etats-Unis concernant cet hémisphère plus qu'à agir pour la souveraineté des Etats et la démocratie en Amérique Latine).
Dans ce processus d'ingérence permanente, après un discours sur la gouvernabilité et le renforcement des institutions, les Etats-Unis se montrent décidés à empêcher tout changement dans la politique hondurienne dirigée par la droite locale. Le Honduras, un pays où on réprime l'opposition, où les principes constitutionnels sont brisés et les processus démocratiques d'élection violés avec la bénédiction coordonnée de la communauté internationale et des médias. A ce joint-venture, il faut ajouter le soutien qu'implique pour la droite locale la présence militaire des Etats-Unis qui organise l'impunité des élites du Parti National, du pouvoir judiciaire et des militaires locaux. Une tranquillité obtenue en échange de la souveraineté nationale, de la justice sociale et des droits sociaux de la population.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol :
http://www.celag.org/ee-uu-elecciones-honduras-silencios-e-impunidad-ayer-hoy/
URL de cet article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2017/12/honduras-silence-et-impunite-d-hier-et-d-aujourd-hui.html