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Venezuela : En libérant Joshua Holt, Maduro impose la négociation à Washington

28 Mai 2018, 16:46pm

Publié par Bolivar Infos

par William Serafino

Contexte politique

 

Le ministre de la Communication et de l'Information Jorge Rodríguez a affirmé que cette mesure avait été prise dans le cadre de la première ligne d'action du nouveau cycle politique et constitutionnel du pays annoncée par Maduro.

 

Cette première ligne correspond au début d'un nouveau processus de dialogue, de pacification et de réconciliation nationale grâce auquel on cherchera, selon les mots du Président à « surmonter les blessures qu'ont laissé les guarimbas et les conspirations. »

 

Rodríguez a souligné que l'idée de libérer Holt est partie de la demande de sénateurs et de congressistes étasuniens lors de réunions avec le Gouvernement vénézuélien qui se tenaient depuis des mois.

 

Rodríguez a évoqué la rencontre entre le sénateur démocrate Dick Durbin et Maduro en avril dernier et le rapprochement avec le conseiller du Comité que préside Corker, Caleb McCarry, qui s’est rendu au Venezuela au mois de février à la demande du sénateur républicain de l'état de l'Utah, Orrin Hatch, pour parler de Holt. Cela a été révélé par des sources citées par Fox News. 

 

McCarry, selon Associated Press, connaît le président Nicolás Maduro depuis 15 ans. Avec d'autres secteurs politiques étasuniens, ils ont fait partie d'une initiative non officielle intitulée Boston Group destinée à tenter de rétablir les relations entre le Venezuela et les Etats-Unis après le coup d'Etat de 2002.

 

Mercredi dernier, en réponse à de nouvelles sanctions du Gouvernement Trump, le président Maduro a annoncé l'expulsion du chargé d'affaires Todd Robinson et du conseiller politique de l'Ambassade, Brian Naranjo.

 

Selon une analyse que nous avons publiée antérieurement, cette action était destinée à précipiter les réactions éventuelles du lendemain : ou on ouvrait un canal de négociations directes pour sauvegarder le contact diplomatique avec Caracas et les démarches pour la libération de Holt ou la responsabilité du Gouvernement étasunien augmentait aux yeux de tous s'il appliquait de nouvelles sanctions.

 

Pour les Etats-Unis, les 2 façons de réagir avaient des coûts politiques. Par contre, le Gouvernement vénézuélien obtenait un avantage tactique et surtout du temps politique, ce qui est de plus en plus important face aux graves menaces qui planent sur le pays.

 

48 heures après que Robinson ait été déclaré "persona non grata", le sénateur Bob Corker entrait au Palais de Miraflores, accompagné par le gouverneur de l'état de Carabobo, Rafael Lacava, pour rencontrer le président Maduro.

 

Au-delà de Holt

 

Bien que l'effet politique de cette réunion se soit concentré sur la libération de Holt parce que Trump l'a reçu à la Maison Blanche, il ne faut pas perdre de vue certaines choses :

 

1)Le Gouvernement vénézuélien a pris cette initiative politique dans un contexte de tensions croissantes avec les Etats-Unis aggravé par le fait qu'un poids lourd de la politique étrangère comme Monsieur Corker cherche à conserver le canal de négociations pour contrôler les dommages qui pourraient être occasionnés par une rupture imminente des relations qui mettrait en danger Holt et le contact avec Caracas. Le risque était plus grand pour eux.

 

2)Les représailles promises après l'expulsion de Todd Robinson se sont limitées à appliquer une mesure de réciprocité aux fonctionnaires vénézuéliens, ce qui pourrait impliquer, au moins pour l'instant, un frein partiel aux actions coercitives qui ont été annoncées comme riposte immédiate au triomphe de Maduro aux élections présidentielles et supposaient des pressions sur la Russie et la Chine. Une preuve de faiblesse juste au moment où ils ont besoin (géopolitiquement) de montrer tout le contraire.

 

3)Le récit disant que le Gouvernement Trump ne reconnaît pas les institutions vénézuéliennes reste publiquement déplacé. La rencontre favorisée par Corker ne représente une négociation qu'à partir d'une reconnaissance implicite des parties, ce que le sénateur a laissé voir dans son témoignage en utilisant un ton sobre, ouvert au dialogue et non conflictuel. Cela s'oppose à la ligne de Rubio qui s'appuie sur un verbe agressif contre le pays pour conserver son siège au Sénat et maintenir à flot ses agents intérieurs comme María Corina Machado. La démoralisation des acteurs qui ont dirigé le conflit avec le Venezuela est évidente.

 

4)La visite surprise a atteint Marco Rubio lui-même, le secrétaire d'Etat Mike Pompeo et même le vice-président Mike Pence qui ont pris leurs distances avec Corker en affirmant que les sanctions viendraient, montrant aux yeux de tous une action désordonnée sans unité entre les agents de poids du Gouvernement et du Congrès à propos du Venezuela. Cela reflète assez bien leur ignorance de cette réunion et de la création d'un canal alternatif hors de leur contrôle qui complique encore plus la situation intérieure.

 

5)Répéter de façon obsessionnelle que les sanctions vont se poursuivre est une tentative pour donner une image de force et de détermination pour compenser le fait qu'un sénateur influent comme Corker ait ouvert un canal alternatif de négociations avec le Gouvernement vénézuélien qui, selon le Gouvernement Trump, a été élu lors d'une « farce électorale. » Le plus petit rapprochement était hors de l'équation destinée à maintenir une tension permanente pour justifier l'escalade. Les événements d'hier affaiblissent cette unité de commandement pour la vente et l'exportation.

 

6)Le Gouvernement renforce sa ligne de dialogue avec les secteurs du pouvoir à l'intérieur des Etats-Unis en déplaçant les acteurs traditionnels de l'opposition vénézuélienne qui cherchent à continuer à faire office de médiateurs pour justifier leur existence politique. Justement, l'exigence du député Luis Florido : « La pression doit continuer pour la libération des 448 prisonniers politiques vénézuéliens » est un exemple du fait qu'ils n'ont pas été pris en compte et que leur rôle de fusible dans la machinerie du pouvoir étasunien peut être de moins en moins nécessaire à mesure que le temps passe. Un affront qui vide de son contenu la MUD et ses divers pseudonymes créés récemment.

 

La réception de Trump

 

Après avoir quitté le pays avec une large couverture médiatique qui le montrait souriant et en excellente forme physique, ce qui s'opposait à l'image de « l'otage torturé » que les médias ont essayé de donner, Joshua Holt a été reçu dans la soirée par le président Trump dans le Salon Ovale de la Maison Blanche.

 

La couverture de cet événement a également été large aux Etats-Unis. Trump a fait de cette réception un événement spécial destiné montrer le retour de Holt comme une victoire de sa politique étrangère. Au Salon Ovale, Corker l'accompagnait mais on notait l'absence du Secrétaire d'Etat et du Vice-président qui, un peu plus tôt, cherchaient à changer la direction des démarches faites par Corker grâce à Twitter. 

 

Gagner du temps est essentiel pour être en concordance avec le démarrage du nouvel ordre international.

 

Ces absences ne sont pas sans importance puisqu'elles semblent être une décision consciente pour ôter à la négociation parallèle engagée par Corker son impact sur a politique intérieure. Le vernis de pré-campagne électorale que Trump a cherché à donner à cette réception n'est pas non plus sans importance. Dans le contexte d'un politique étrangère erronée envers l'Iran et la Corée du Nord, Holt est arrivé à point nommé pour qu'il montre ses muscles en politique étrangère et gagne du soutien à l'intérieur.

 

Beaucoup de ce qui se passe autour de Holt a à voir avec la façon dont c'est répercuté à l'intérieur.

 

Corker et la politique intérieure

 

Corker est un homme politique influent dans l'establishment. Il a en mains la contrôle de la politique étrangère du Gouvernement Trump et c'est lui qui confirme le Secrétaire d'Etat et le financement du Département d'Etat.

 

Entrepreneur, représentant de l'état du Tennessee, en tant que républicain de ligne dure, il fait partie de la tendance qui souhaite renégocier le pacte nucléaire avec l'Iran mais soutient une négociation avec la Corée du Nord et une politique étrangère plus rationnelle que celle de Trump. Il a critiqué 2 fois fortement le Président parce qu'il n'avait pas une politique cohérente.

 

Depuis l'arrivée de Trump à la présidence, les relations avec Corker ont été une montagne russe allant de l'affrontement public sur Twitter jusqu'à des jeux internes au Parti Républicain et au Congrès pour faire diminuer les soutiens du Président.

 

Au début de son mandat, Corker semblait être un Secrétaire d'Etat possible mais c'est finalement Rex Tillerson qui a été nommé. Les raisons des affrontements peuvent éventuellement venir de cet affront initial. 

 

Trump a besoin, étant donné qu'il est à un point culminant de sa politique étrangère, de réduire l'affaiblissement de son ordre du jour diplomatique au Comité des Affaires Etrangères du Sénat et au Congrès en général. Les critiques croissantes de Corker sur la rupture du pacte nucléaire avec l'Iran, l'audience difficile de confirmation de Pompeo et le conflit permanent à cause des réformes fiscales proposées par le Gouvernement ne sont que quelques-un des coups qu'il a reçus de toute part ces dernières semaines. La dernière avanie eut lieu quelques jours avant la réception de Joshua Holt.

 

Pour le calmer, Trump a offert à Corker il y a à peine quelques jours, d'être ambassadeur en Australie, une charge qu'il a refusée parce qu'elle est évidemment un cadeau qui n'a pas de commune mesure avec la capacité de chantage qu'il a en tant que chef du Comité des Affaires Etrangères.

 

La politique intérieure joue un rôle clef, la décision d'ouvrir un canal de dialogue en marge du Département d'Etat et de Marco Rubio ne répond pas à un objectif unique. La libération de Holt représente un capital politique additionnel pour Corker, une réussite individuelle qu'il va pouvoir utiliser à présent pour faire pression sur Trump pour obtenir des concessions politiques et prendre de l'influence sur les affaires étrangères stratégiques qui améliorent son profil politique.

 

Tout tend à faire monter les paris pour qu'il apparaisse comme un futur Secrétaire d'Etat ou un futur vice-président. C'est ce que suggère l'utilisation qu'il fait du Comité des Affaires Etrangères pour fustiger le désastre qu'est la politique étrangère de Trump.

 

Dans l'affaire Joshua Holt, la compétition féroce entre l'élite étasunienne pour les restes d'un système politique décadent et en plein processus de décomposition se manifeste également.

 

Notes finales et ce que gagne le Gouvernement vénézuélien

 

En même temps, ce cadre de compétition inter-élite se reproduit du côté vénézuélien.

 

En 2014, Corker fut accusé par Marco Rubio de bloquer un projet de sanctions contre le Venezuela à partir du Comité des Affaires Etrangères qu'il préside. En 2015, il est venu au Venezuela pour avoir diverses réunions avec des dirigeants de l’opposition comme Leopoldo López et des fonctionnaires de l'Etat comme Tarek William Saab, alors Défenseur du Peuple.

 

Pendant la visite peu médiatisée de son principal conseiller Caleb McCarry, le Département d'Etat n'a pas su comment répondre et Marco Rubio lui-même a révélé à la presse un communiqué dans lequel il s'opposait à toute négociation qui reconnaîtrait comme un acteur valide le Gouvernement vénézuélien bien que cela implique la libération de Holt qui s'est effectivement passée ainsi.

 

Les démarches secrètes de Corker et sa visite surprise au Venezuela remettent sévèrement en question l'efficacité de l'ordre du jour de Marco Rubio et de Mike Pence dans lequel on a récemment inclus Mike Pompeo pour des raisons logiques pour obtenir des bénéfices politiques à propos de la situation au Venezuela.

 

Corker utilisera probablement Holt pour déplacer sur le Gouvernement Trump (et surtout sur Marco Rubio) les coûts politiques de l'engagement du dialogue avec Maduro et apparaître comme un interlocuteur efficace pour diriger la politique étrangère envers le Venezuela et d'autres zones d'intérêt géostratégique.

 

Le Gouvernement vénézuélien, pour sa part, exploite ces contradictions de l'élite politique étasunienne pour ralentir le plus possible l'application des sanctions plus sévères et créer un réseau de communication à l'intérieur de l'establishment qui favorise une baisse des tensions en profitant de l'opposition de Corker au Gouvernement de Trump.

 

Et cela a évidemment des conséquences intérieures : sur le front de l'opposition, on réplique déjà d'une façon beaucoup plus vile et méprisable à ces contradictions de l'establishment étasunien. Ce qui est normal pour un sous-produit politique issu de la même ligne d'assemblage.

 

Les temps géopolitiques soufflent en faveur du Venezuela et gagner du temps est une condition essentielle pour que le bloc euro-asiatique commence définitivement à être le pilier d'un nouvel ordre international dans lequel les Etats-Unis et l'Europe ne seraient plus le centre névralgique.

 

A première vue, la libération de Holt et les intérêts de Corker peuvent nous tromper et nous faire penser que le bras du Gouvernement a été tordu ou que la concession a été très importante sans rien avoir en échange. En apparence, cette question peut avoir une certaine logique mais en politique, et encore plus quand on l'exerce dans un moment où sur le pays planent de grandes menaces – l'entrée de la Colombie dans l'OTAN comme « partenaire mondial,» par exemple – il faut voir le film complètement et pas seulement la photo.

 

Et ce sont précisément les mesures de force prises après le 20 mai qui, pour l'instant, éloignent les possibilités d'une intervention militaire, de l'application d'un embargo sur le pétrole et ont provoqué l'obtention d'un éventuel interlocuteur comme Corker qui préfère se sacrifier en reconnaissant Maduro avant d'achever sa carrière politique comme simple sénateur. Dans les conséquences de cette contradiction, ils continuent à perdre le bras de fer qu'ils ont engagé avec nous.

 

En sachant profiter de ces circonstances objectives, nous gagnons du temps et le temps est l'oxygène qui permet notre existence en tant que nation en ce moment complexe.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

http://misionverdad.com/COLUMNISTAS/que-gano-el-gobierno-con-la-liberacion-de-joshua-holt

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/05/venezuela-en-liberant-joshua-holt-maduro-impose-la-negociation-a-washington.html