Amérique Latine : Le Che et la révolution sociale dans Notre Amérique
Tout part de la conception erronée de vouloir construire le socialisme avec des éléments du capitalisme sans réellement en changer la signification. C'est ainsi qu''on arrive à un système hybride qui mène à une voie sans issue difficile à percevoir dans l'immédiat mais qui oblige à de nouvelles concessions aux éléments économiques, c'est à dire à un retour en arrière (Che, 1966)
Le Che pense la Révolution pendant qu'il la fait. Le marxisme, pour lui, est une théorie œcuménique qui est née et qui existe pour expliquer et transformer un système universel inhumain. Cela suppose une stratégie mondiale et une façon de faire solidaire de la même ampleur : l'internationalisme sous-tendu par un devoir et une nécessité inhérents aux authentiques processus socialistes qui se propose d'avancer sans complexes ni hésitations vers l'utopie communiste.
Quels concepts la pensée du Che sur la révolution dans Notre Amérique contient-elle ? Il y en a beaucoup : l'impérialisme et le sous-développement, les classes sociales et leurs luttes, le rôle de l'Etat et le caractère de la révolution. Il y a aussi ses idées sur la stratégie et la tactique et au sujet de l'avant-garde et des sujets sociaux de la révolution. Parmi les sources qui ont nourri sa pensée, il y a sa connaissance de l'histoire de l'Amérique Latine et ses expériences de jeunesse sur le continent, sa participation à la lutte armée de Cuba, son expérience de dirigeant de notre révolution et les analyses qu'il fait sur la transition socialiste.
Il a la certitude qu'un changement révolutionnaire de nature socialiste est possible sur la continent et ses conceptions sur la façon d'atteindre cet objectif découlent de cette certitude.
Certaines de ses idées sont marquées par les débats qu'il a été obligé d'avoir face aux secteurs traditionnels de la gauche latino-américaine qui veulent faire du triomphe de la Révolution cubaine une exception dans l'histoire.
Cela explique son insistance sur certaines leçons de notre Révolution. Ce n'est pas un hasard s'il commence sa première œuvre qui aborde ce sujet ainsi : « La victoire armée du peuple cubain sur la dictature a été, en outre (…) un élément qui a modifié les vieux dogmes sur la conduite des masses populaires en Amérique Latine. » Et il consacre tout un essai à analyser si c'est ou non une exception en Amérique Latine et dans presque tous ses autres travaux et tous ses autres discours sur la région, il fait allusion à ce débat, nécessaire pour défricher les nouveaux concepts.
La lutte idéologique et théorique dans le domaine du mouvement révolutionnaire et la lutte simultanée contre l'impérialisme et la domination bourgeoise pour arriver au pouvoir et développer la révolution socialiste : c'est ce qui guide sa pensée sur la révolution sociale au sud du Rio Bravo. C'est l'un de ses héritages primordiaux et il est indispensable de stimuler le croisement des idées parmi les combattants révolutionnaires qui contribuent à titre personnel ou collectivement à formuler des réponses aux complexes et changeantes réalités de la région à la recherche d'authentiques révolutions.
Il ne réduit jamais notre expérience à une répétition dogmatique : « La Révolution cubaine a été une expérience qui ne doit pas être unique en Amérique. » Et il critique ceux qui « essaient d'implanter l'expérience cubaine sans se demander vraiment si elle est opportune ou non. »
Pourquoi la lutte armée ?
Sur la lutte de guérilla, il dit : « Il est important de souligner que la lutte de guérilla est une lutte des masses, c'est une lutte du peuple. »
Nous trouvons cette même considération, exprimée dans les même termes, dans au moins 10 endroits différents de ses écrits.
Il ne laisse pas de place aux ambiguïtés : « Il est bien établi que la guerre de guérilla est une phase de la guerre qui n'a pas en soi d'opportunités d'obtenir la victoire. » « alors, bon, il faut noter qu'on en peut pas aspirer à la victoire sans former une armée du peuple. »
Il soutient qu'en Amérique Latine, les conditions objectives sont réunies pour la Révolution. Il le déduit de ses expériences sur le continent et des études sur l'histoire de la société latino-américaine qu'il a faites depuis sa jeunesse mais il pense que cela n'est pas possible n'importe où et n'importe quand. « Cette violence doit se déchaîner exactement au moment précis où ceux qui dirigent le peuple trouvent les circonstances les plus favorables. »
« Elles dépendent, subjectivement, de 2 facteurs qui se complètent et qui, à leur tour, vont se renforcer au cours de la lutte : la conscience de la nécessité du changement et la certitude que ce changement révolutionnaire est possible. »
Il ajoute à ces facteurs un autre élément subjectif : « la ferme volonté de l'obtenir » et un dernier élément, objectif : « les nouvelles corrélations de force dans le monde. »
Il tient toujours compte des facteurs à considérer au début et pendant le développement de la lutte armée et ne verse jamais dans les slogans, les dogmes, les clichés.
Pourquoi met-il en avant l'importance des facteurs subjectifs et le rôle actif de l'avant-garde ? Si c'est valable en soi et si cela s'inscrit dans une interprétation correcte de Marx et de Lenine et dans la tradition de la pensée et des façons de faire révolutionnaires de Notre Amérique, il y a des raisons liées à des circonstances particulières qui expliquent cette position. Face à la « culture politique » défensive de l'attente, avec Fidel, il prône la culture politique de la volonté et de l'offensive : « Le devoir des révolutionnaires latino-américains n'est pas d'attendre que le changement de corrélation des forces produise le miracle de l révolution sociale en Amérique Latine mais de profiter entièrement de tout ce qui favorise le mouvement révolutionnaire, ce changement de corrélation des forces et de faire les révolutions. » Il insiste : « Ce qui est décisif, c'est la décision de lutter qui mûrit jour après jour, la conscience de la nécessité du changement révolutionnaire, la certitude qu'il est possible. »
« Les révolutionnaires ne peuvent prévoir d'avance toutes les variantes tactiques qui peuvent se présenter dans le cours de la lutte pour leur programme de libération. La capacité réelle d'un révolutionnaire se mesure à sa capacité à trouver des tactiques révolutionnaires adéquates à chaque changement de situation en ayant présentes à l'esprit toutes les tactiques et en les exploitant au maximum. »
Son désir d’exalter le rôle de la lutte armée dans la création et le développement des conditions subjectives de la révolution l'amène à aller en partie au-delà de sa signification : « Ces conditions se créent grâce à la lutte armée qui va rendre plus claire la nécessité du changement. »
Ses affirmations extrêmes s'expliquent par l'impératif de mettre au centre la lutte armée, que les révolutionnaires, pendant longtemps, n'ont pas voulu considérer comme une éventualité dans les luttes de gauche.
Les luttes pacifiques et la voie pacifique
« Ce serait une erreur impardonnable de sous-estimer le profit que pourrait tirer le programme révolutionnaire d'élections, de même q'il serait impardonnable de se limiter seulement au processus électoral et de ne pas voir les autres moyens de lutte, y compris la lutte armée, pour obtenir le pouvoir (…) car si tu ne peux pas atteindre le pouvoir, toutes les autres conquêtes sont instables, insuffisantes, incapables de donner les solutions dont on a besoin. »
Il évoque la situation particulière de l'Uruguay quand il le visite en 1961 et il respecte aussi le projet de la gauche chilienne. C'est comme s'il avait voyagé dans le temps, dans le Chile de 1973. Il dit « Et quand on parle de pouvoir obtenu par la voie électorale, la question que nous posons est toujours la même : si un mouvement populaire occupait le Gouvernement d'un pays à la suite d'une élection populaire large et décidait, en conséquence, de commencer les grandes transformations sociales contenues dans le programme avec lequel il a triomphé, ne serait-il pas immédiatement en conflit avec les classes réactionnaires du pays ? L’Armée n'a-t-elle pas toujours été l'instrument d'oppression de cette classe ? S'il en est ainsi, il est logique de penser que cette armée prendra le parti de sa classe et entrera en conflit avec le Gouvernement constitué. »
Et il ajouté : « Ce Gouvernement peut être renversé par un coup d'Etat (…), l'armée peut, à son tour, être vaincue par l'action armée du peuple qui soutient son gouvernement. »
Il faut donc préparer le peuple subjectivement et matériellement à l'usage des armes.
Il fait aussi la distinction entre lutte pacifique et voie pacifique et indique les conséquences de cette confusion : « Souvenez-vous de notre insistance : la voie pacifique n'est pas la réussite d'un pouvoir officiel aux élections ou grâce à des mouvements d'opinion publique, sans combat direct mais l'instauration du pouvoir socialiste, avec tous ses attributs, sans utiliser la lutte armée. »
Plusieurs fois, il évoque le thème de la fonction de la classe ouvrière et du paysannat dans la révolution. En ce qui concerne la relation guérilla-paysans-ouvriers, il affirme que la guérilla doit chercher le soutien « des masses paysannes et ouvrières de la zone et de tout le territoire dont il s'agit. »
Il ne développe pas ses idées à propos des luttes revendicatives et politiques ouvrières et de l'insertion de cette façon d'agir dans un processus révolutionnaire marqué par la lutte armée. Cependant, il ne cesse de dire que « l’éventualité du triomphe des masses populaires de l'Amérique Latine est clairement exprimée par la voie de la lutte de guérilla basée sur l'armée des paysans, sur l'alliance des ouvriers avec les paysans, sur la défaite de l'armée dans la lutte frontale, sur la prise de la ville à partir du champ, sur la dissolution de l'armée... »
Cette dernière affirmation montre l'attachement du Che à l'expérience cubaine.
Sur les forces armées
Le Che, à cause des réalités historiques de l'époque à laquelle il vit, pense que les forces armées ont presque toujours une conduite monolithique et sont un instrument docile de l'impérialisme même si des « personnes isolées » peuvent intégrer la révolution.
C'est toujours vrai dans la majorité de nos pays mais les expériences du Pérou, sons le mandat de Velasco Alvarado et d'Omar Torrijos au Panamá – peu de temps après la mort du Che – sont des indices des réserves de patriotes et des réserves anti-impérialistes qui peuvent exister dans les forces armées de certains pays. Ce qui s'est passé depuis 1999 avec le processus révolutionnaire bolivarien dirigé par un dirigeant civil et militaire exceptionnel montre que ce que dit le Che ne s'applique pas partout.
Les Gouvernements démocratiques
Lorsque certains Gouvernements démocratiques ont respecté la Révolution cubaine, le Che a manifesté envers eux le même respect. En juillet 1960, il déclare : « Ce n'est pas ma mission d'énumérer les Gouvernements d'Amérique, d'énumérer les coups de poignard qui nous ont été donnés ces derniers jours et de jeter de l'huile sur le feu de la rébellion. » Malgré les actions anti-cubaines de ces Gouvernements et leur complicité avec les agressions des Etats-Unis, il évite l’affrontement public : à ce moment-là, les relations diplomatiques ne sont pas rompues et cuba n'a pas encore été expulsée de l'OEA. Avant tout, il respecte la souveraineté de ces pays.
En août 1961, après que le caractère socialiste de la Révolution Cubaine ait été déclaré, dans son mémorable discours de Punta del Este, Uruguay, il déclare aux représentants de toute la communauté américaine : « Nous, nous n'avons jamais abandonné les pays latino-américains et nous luttons pour que s'on ne nous expulse pas, pour qu'on ne nous oblige pas à quitter le sein des républiques latino-américaines. »
A propos de l'Alliance pour le Progrès, il affirme : « Et nous, nous avons intérêt à ce que cela n'échoue pas dans la mesure où cela représente pour l'Amérique Latine une réelle amélioration des niveaux de vie de tous ses 200 millions d'habitants. »
Et même après l'expulsion de Cuba de l'OEA, il fait des distinctions entre les Gouvernements d'Amérique Latine et déclare que Cuba est prête à avoir des relations avec certains d'entre eux - l'Uruguay, le Chili et le Costa Rica – « mais les Etats-Unis ne le permettent pas. »
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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