Amérique Latine : Affronter la guerre de 5° génération avec des arcs et des flèches ?
Autour du monde, une énorme gamme d'organismes gouvernementaux et de partis politiques exploitent les plateformes et les réseaux sociaux pour diffuser de la désinformation et des informations de merde, exercer la censure et le contrôle et saper la confiance dans la science, les médias et les institutions publiques.
La consommation d'informations est de plus en plus numérique et l'intelligence artificielle, l'analyse du Big Data (qui permet à l'information d'être interprétée par soi-même et de se rapprocher de nos intentions) et les algorithmes de la « boîte noire » sont utilisés pour mettre à l'épreuve la vérité et la confiance, les pierres angulaires de ce qu'on appelle la société démocratique occidentale.
Les patrons de l'infrastructure qui permet l'utilisation d'internet dans le monde sont très peu nombreux et les services apportés par celle-ci également. La propriété des câbles de fibre sous-marins, les entreprises qui se trouvent sur le NAP des Amériques et le contrôlent. Nous verrons que les grands centres de données comme Google, Facebook, Amazon ou ce qu'on appelle les « services dématérialisés » comme Google Drive, Amazon, Apple Store, OneDrive, sont des corporations transnationales, pour la plupart à capitaux étasuniens.
Aujourd'hui, sur les 6 principales firmes cotées en bourse, 5 sont du domaine des TIC: Apple, Google, Microsoft, Amazon et Facebook.
Mettre à jour la lutte
C'est que le monde change constamment, souvent au rythme de la technologie et il semblerait que la gauche, les mouvements et les médias populaires nous poussent à combattre sur de mauvais champs de bataille ou sur des champs de bataille déjà périmés en arborant des slogans qui n'ont aucune corrélation avec ce nouveau monde.
Pendant ce temps, les corporations de médias hégémoniques développent leurs stratégies, leurs tactiques et leurs offensives sur de nouveaux champs de bataille où on se bat avec de nouvelles armes, où la réalité importe peu, où peut-être il ne s'agit déjà plus de guerre de 4° génération, celle qui s'attaque à la perception et aux sentiments et non au raisonnement mais d'une guerre de 5° génération dans laquelle les attaques des mega-entreprises transnationales qui vendent leurs « produits » (comme l'espionnage) aux Etats sont massives et immédiates.
Aujourd'hui, nous devrions être attentifs à l'intégration verticale des fournisseurs des services de communication qui produisent des contenus dans la compagnie, à l'arrivée des contenus directement sur les appareils mobiles, à la trans-nationalisation de al communication qui transforment l'information en campagnes de terrorisme médiatique... pendant que nous dénonçons à peine la facilité avec laquelle on transforme la démocratie en dictature gérée par les grandes corporations.
Nous devrions être attentifs aux problèmes que posent la surveillance, la manipulation, la transparence et la gouvernance d'Internet, la vidéo en tant que format qui dominera pendant les prochaines années, être attentifs au fait que les télévisions mêmes vont se transformer en un écran de plus sur lequel arrivent les contenus manipulés par les grandes corporations.
Mais à partir du terrain populaire, nous continuons à réclamer la démocratisation de la communication et de l'information, persuadés qu'une distribution équitable des fréquences de radio et de télévision entre le secteur publics, le secteur commercial et le secteur populaire peut représenter la fin de la concentration des médias. Nous combattons dans des guerres qui n'existent déjà plus quand le champ de bataille est sur Internet, dans le Big Data, dans les algorithmes, dans l'intelligence artificielle.
L'insistance du discours ancré dans le passé avec un ordre du jour conçu dans les pays du centre qui n'incluent pas nos réalités fatigue. On insiste que le nécessaire renouvellement de la gauche, sur la nécessaire recherche de nouvelles voies – dans les catharsis collectives de séminaires, de forums, de réunions, de conciliabules, d'écrits – mais on ne cherche pas de solutions spécifiques à l'isolement et l'endogamie de nos sites populaires, communautaires, populaires, qui sont des alternatives aux messages hégémoniques.
Ces sujets ne sont pas à l'ordre du jour des mouvements, des partis ni des Gouvernements (même les progressistes) plus préoccupés de continuer à diaboliser les nouvelles technologies, par la manie de dénoncer que de définir des stratégies et des lignes d'action. Aujourd'hui, les Gouvernements de la restauration conservatrice tirent sur l'UNASUR qui, à son apogée, n'a pas pu concrétiser une chaîne de fibre optique qui lui soit propre qui aurait au moins chatouillé le contrôle des mega-corporations.
Aujourd'hui, la scène numérique peut devenir une voie pour reconnecter le progressisme à sa base et en particulier aux jeunes, c'est à dire avec l'avenir. Mais on n'a pas avancé dans un ordre du jour de communication commun, même pas sur des sujets stratégiques pour l'avenir de la souveraineté technologique comme la gouvernance d'Internet, le copyright, l'innovation, le développement de nos industries culturelles.
On parle de nouvelles voies mais peu de gans semblent disposés à les parcourir parce que certainement, elles affectent leur identité, leur mémoire et leur vie. On insiste pour dénoncer la désinformation, l'information de merde, le terrorisme médiatique (nous sommes docteurs en dénonciation) mais nous ne nous préparons pas à apprendre à utiliser les nouveaux outils, les nouvelles armes d’une guerre culturelle dans le cyber espace.
Chaque site de média ou d’organisation sociale destine ses messages à une masse critique particulière, à ceux qui sont convaincus par son message, dans une gymnastique endogamique das définir un ordre du jour propre, latino-américaniste, pour défendre les Droits de l'Homme et des travailleurs, une ligne éditoriale qui puisse les unir et ainsi entrer avec force dans la guerre culturelle, dans la bataille des idées.
Leurs langages – nous parlons en général et à cause de cela, il faut souligner les efforts de l'activisme médiatique de Fora de Eixo, Facción ou Emergentes, par exemple – ne s'accordent pas au moment historique, culturel et technologique. Ils sont ancrés dans la science de la dénonciation et en rendent pas visibles les luttes, les souhaits des peuples ou des sociétés qu'ils disent représenter.
Le rapport d'Oxford
Un rapport de Samantha Bradshaw et Philip Howard, chercheurs à l'Université d'Oxford (Challenging Truth and Trust: A Global Inventory of Organized Social Media Manipulation), confirme que la manipulation sur les plateformes de médias sociaux est devenue une menace pour la vie publique.
En 2017, le 1° inventaire des troupes d'occupation cybernétiques mondiales réalisé par ces chercheurs révéla l'organisation mondiale de la manipulation des médias sociaux par des Gouvernements et des acteurs des partis politiques. Cette année, il révèle les nouvelles tendances de la manipulation organisée des médias et leurs capacités, leurs stratégies et leurs ressources de plus en plus importantes sur lesquelles s'appuient ce phénomène et donne des preuves que des campagnes de manipulation ont été organisées par les médias dans 48 pays, 20 de plus que l'année précédente.
Dans chaque pays, on a constaté qu'au moins un parti politique ou une agence gouvernementale utilisait les médias sociaux pour manipuler l'opinion publique du pays dans de pays où les partis politiques diffusent de la désinformation pendant les élections ou où les institutions sont menacées par des informations de merde et par l'ingérence étrangère dans les affaires intérieures et développent leurs propres campagnes de propagande cybernétique.
Dans le 5° de ces 48 pays, surtout dans les pays du Sud, on a trouvé des preuves de campagnes de désinformation mises en place sur les applications de tchat comme WhatsApp, Telegram et WeChat. La manipulation des réseaux est un grand négoce dans lequel des Gouvernements, des fondations, des ONG et des partis politiques ont dépensé plus de 500 millions de dollars en recherches, en développement et en mise en place d'opérations psychologiques et de manipulation de l'opinion publique.
Dans certains pays, cela comprend « des efforts pour arrêter l’extrémisme » mais dans la plupart des pays, cela implique la propagation d’informations de merde et de désinformation pendant les élections, les crises militaires et les complexes désastres humanitaires.
La guerre de 5° génération
Si la guerre de 1° génération est basée sur la mobilisation de la main d'oeuvre, la guerre de seconde génération sur la puissance de feu et la guerre de troisième génération sur la liberté de manœuvre, les paradigmes changent de façon importante dans la guerre de 4° génération dans laquelle aussi bien les ressources employées que les intérêts et les objectifs à atteindre englobent aussi bien l'intérêt public que l'intérêt privé (l'intérêt des corporations). L'idée principale est que l'Etat a perdu son monopole sur la guerre et au niveau tactique, va de l'aspect de armement jusqu'à l'aspect psychologique.
Etant donné l'énorme supériorité technologique atteinte pendant l'étape antérieure face à cette asymétrie des forces entre les ennemis, seul est concevable l'usage de forces irrégulières secrètes qui attaquent l'ennemi par surprise en essayant de provoquer sa défaite en déstabilisant son rival en utilisant des tactiques de combat non conventionnelles.
Dans la guerre de 5° génération (aussi appelée guerre sans limites) introduite en 2009 comme concept stratégique opérationnel dans les interventions des USA-OTAN, peu importe de gagner ou de perdre mais d'anéantir la force intellectuelle de l'ennemi en l'obligeant à chercher un compromis par n'importe quel moyen même sans utiliser les armes. Il s'agit d'une manipulation directe de l'être humain à travers sa partie neurologique (ondes binaurales et composantes en cristal de magnésie du cerveau et les méthodes concernant ses possibles manipulations).
Et les médias de masse et les réseaux sociaux font partie intégrante du schéma de cette guerre destinée à provoquer la déstabilisation dans la population. Grâce à des opérations psychologiques prolongées, on cherche à porter atteinte à la psychologie collective, à porter atteinte à la rationalité et à l'émotivité et à contribuer à l'affaiblissement du politique et de la capacité de résistance.
Et on a des mécanismes scientifiques de contrôle total grâce non seulement à la manipulation des médias de masse concentrés mais aux systèmes financiers comme le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, la Banque Inter-américaine de Développement, des milliers de fondations et d'organisations non gouvernementales.
Zbigniew Brzezinski, ex-secrétaire d'Etat étasunien, affirmait que la clef était l'attaque de la ressource émotionnelle d'un pays grâce à la révolution technologique. La tactique pour maintenir la désintégration politique dans la société consiste à créer des complexes d'infériorité et à devenir la référence extérieure dans tous les domaines en évitant que les projets et les modèles collectifs ou alternatifs se renforcent dans leur identité car la référence sera quelque chose de différent d'eux-même : le monde développé et son modèle dominant.
Les médias de masse se chargent de conditionner les esprits dans les pays sous-développés car le « Tiers Monde affronte, maintenant, le spectre des aspirations insatiables, » écrivait Brzezinski il y a déjà 44 ans.
Réseaux sociaux, isolationnistes
Les réseaux sociaux sont un ensemble de plateformes numériques de détente et d'interaction sociale entre leurs différents usagers, que ce soient des personnes, des groupes sociaux ou des entreprises, qui permettent l'envoi de messages, la communication en temps réel et la diffusion de contenu de différentes façons entre les usagers qui se trouvent connectés entre eux, c'est à dire, les « amis » ou les « sympathisants. »
L'apparition massive des réseaux sociaux, dit l'experte britannico-équatorienne Sally Burch, a révolutionné nos sociétés mais a causé aussi de l'inquiétude parce que s'ils ne sont pas régulés, ils sont utilisés pour la désinformation, pour imposer un imaginaire collectif avec la diffusion de fausses informations qui créent des réalités virtuelles éloignées des réalités réelles, pour s'approprier des données personnelles à des fins commerciales et pour la manipulation politique, même pour violer l'intimité des citoyens en envahissant leurs lieux de travail, d'éducation, de loisirs et même de socialisation.
Les réseaux sociaux ont accès aux données personnelles de leurs usagers let les manipulent (adresses mail, numéros de téléphone, penchants, goûts, amis) gentiment fournis par eux-mêmes en construisant leur profil. Leur intérêt principal est la massivité : le même message peut être envoyé à des millions de personnes à la fois grâce à divers supports (ordinateurs, tablettes, téléphones portables).
Il s opèrent sur la base algorithmes qui organisent l'information pour nous montrer plus ce qui nous plaît et moins ce qui ne nous plaît pas. Quand nous validons un commentaire, une publicité ou une information, nous alimentons le système pour qu'il s'adapte à nos goûts ponctuels. Puisque les algorithmes privilégient le contenu identique à celui que nous avons choisi (avec un « j'aime ») en restreignant les occasions de recevoir une information réelle, non filtrée. L'usager accède seulement à des opinions identiques à la sienne (en effet antidémocratique, sans doute), ajoute Burch.
Par exemple, un algorithme utilisé par Facebook est basé sur les affinités (le nombre de fois où vous vous connectez avec quelqu'un en publiant sur son mur, en validant - « j'aime » - ses contenus. Son poids est le nombre d'interactions qu'a une publication et le temps ôte de l'intérêt à l'information et elle recule dans la queue des informations.
Les désavantages des réseaux sociaux sont l'absence des autres, l'incitation à cesser de nous socialiser en personne et à construire des sociétés cyber-dépendantes, des niches dans lesquelles la pensée contraire, l'autre, n'a pas de place.
La fin de la transparence ?
Même s'il a annoncé l'arrêt de toutes ses opérations, le cabinet de conseil britannique Cambridge Analytica (CA) qui a été à l'origine du scandale de l’utilisation de 87 millions de données d'usagers de Facebook, a simplement changé de peau et continuera ses manipulations menaçant la transparence des élections dans divers pays parmi lesquels l' Argentine, la Colombie et la Mexique.
La compagnie britannique a accusé les dénonciations de la manipulation politique qui ont inondé les médias internationaux d'avoir provoqué sa faillite mais ce qui est sûr (et qu'elle ne dit pas), c'est que ses principaux employés travaillent déjà dans une entreprise qui poursuit des buts semblables appelée Emerdata Limited dans le conseil d’administration de laquelle apparaissent une série de noms directement liés à Cambridge Analytica, selon ce qu'a découvert en mars Business Insider.
Alexander Taylor a été nommé directeur d' Emerdata le 28 mars en remplacement d' Alexander Nix, démissionnaire, qui a reconnu qu'il a travaillé aux élections dans des pays de tous les continents y compris les Etats-Unis, le Royaume Uni, l'Argentine, le Nigeria, le Kenia et la République Tchèque et qu'il a dû s'éloigner à la suite de la divulgation d'une vidéo enregistrée par la télévision britannique en caméra cachée sur laquelle il fait toutes sortes de commentaires inappropriés comme de proposer beaucoup d'argent à un candidat et le menacer de le publier pour essayer de le faire chanter.
Selon Business Insider, parmi les responsables d'Emerdata apparaît Johnson Chun Shun Ko, un membre chinois de Frontier Services Group, la firme militaire présidée par l'éminent partisan de Trump Erik Prince, fondateur de l'entreprise militaire étasunienne Blackwater et « par hasard » frère de la secrétaire des Etats-Unis à l'Education, Betsy DeVos, un pilier du réseau capitaliste international Red Atlas.
L'Observatoire de la Communication et de la Démocratie signale que récemment, quand le scandale a pris une dimension mondiale, Facebook – la principale entreprise impliquée dans les changements de tendance dans les urnes britanniques (referendum sur le Brexit) et étasuniennes (élection de Donald Trump) en 2016 - a reconnu que la conseillère britannique avait eu accès (ou acheté?) aux informations personnelles d'au moins 87 millions d'usagers et les avait utilisées pour créer des profils d'électeurs.
Facebook gère plus de 300 millions de gigabits d'informations personnelles de ses usagers, un arsenal de profils qui lui permet de disposer d'une des plateformes en ligne les plus importantes du monde, indispensable pour tirer profit de modèles d'affaires qui augmentent la quantité de consommateurs et diversifient les marchés à la chaleur de l'augmentation de la production des robots et de l'automatisation industrielle.
Couronnement
tout cela se passe seulement 20 ans après que Sergey Brin et Larry Page aient enregistré le domaine google.com et 11 ans après que Steve Jobs ait présenté à San Francisco, le premier iPhone. Pendant ce temps, Facebook continue à créer des profils d'usagers et les algorithmes que Cambridge Analytica a utilisés sont toujours à la disposition de celui qui veut (ou qui peut) les payer.
Il est difficile pour un pays seul d'avoir la capacité de développer les niveaux de réponse nécessaires pour maintenir ou récupérer sa souveraineté dans certains domaines et c'est pourquoi la somme des volontés est indispensable – gouvernements, enseignement, mouvements sociaux – pour augmenter al force de négociation sur des sujets de base comme l'intelligence artificielle et le big data. IL n’y a pas d'autre issue : nous devons nous approprier le big data pour pouvoir penser en termes d'outils libérateurs.
La seule façon de lutter, dans cette guerre de 5° génération, c'est de se mettre à jour en ce qui concerne l'intelligence artificielle. C'est dans la possibilité de monter de nouvelles plateformes qui évitent les filtres des grandes corporations, c'est dans la nécessité de s'emparer des armes, des outils pour pouvoir combattre dans cette guerre culturelle, la nécessité de concevoir des ordres du jour qui nous soient propres, conformément aux intérêts de nos peuples, de...
(Extrait de Estrategia)
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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