Colombie : Interview de María Fernanda Barreto par Carlos Aznárez,
Pour approfondir l'information sur ce qui est en train de se passer en Colombie avec l'arrivée d'un important contingent de troupes nord-américaines, nous avons interviewé la Colombo-vénézuélienne María Fernanda Barreto, analyste de la politique internationale et membre du Réseau des Intellectuels et des Artistes en Défense de l'Humanité.
Comment analystes-tu, en un moment aussi critique que celui-ci, le débarquement sur le sol colombien d'un nombre important de soldats nord-américains appartenant à ce qu'on appelle habituellement les Brigades de la Force de Sécurité Spécialisées en Assistance qui sont en réalité un groupe d'élite de l'Armée nord-américaine ?
María Fernanda Barreto : L'analyse qu'on peut faire à ce sujet est assez complexe mais en général, je dirais que ce qui m'a le plus surpris, c'est le moment où cette annonce a été faite. Il faut dire que c'est l'Ambassade des Etats-Unis à Bogotá qui a donné cette information et non le Gouvernement colombien. Ça a été, non l'arrivée d'un contingent étasunien en Colombie, parce qu'en réalité, il y a longtemps que des militaires étasuniens viennent dans le pays, surtout à partir de la soi-disant guerre contre le trafic de drogues et encore plus régulièrement à partir de la signature du Plan Colombie. La particularité de cette arrivée est qu'elle ait été annoncée parce que cette sorte d'arrivées se fait l'habituellement clandestinement. Alors, on pourrait dire qu'il y a derrière celle-ci une opération psychologique ou un mouvement politique qui sans aucun doute vise le Venezuela. Evidemment, sans négliger la participation des Etats-Unis et de ce nouveau contingent au conflit social et armé interne à la Colombie.
Quand tu dis que ce pourrait être un fait psychologique, ça me rappelle beaucoup le jour où Jhon Bolton a montré, en janvier 2019, presque comme s'il ne le faisait pas exprès, un dossier dans lequel on parlait d'envoyer 5 000 soldats en Colombie.
María Fernanda Barreto : Oui, je me souviens de ça, évidemment. Et en plus, ces jours-ci, par exemple, l'Ambassade des Etats-Unis à Bogotá a publié sur le compte Tweeter du Commandement Sud un exercice physique de ses marins réalisé à l'ambassade soi-disant pour appeler le peuple à faire de l'exercice. Mais c'est aussi une preuve qu'il y a des marins à l'Ambassade des Etats-Unis à Bogotá. Ici, il y a quelque chose à analyser, cela ne veut pas dire qu'ils ne vont pas, à coup sûr, remplir des tâches militaires. Sans doute oui mais ils ont dit que ce contingent était composé de conseillers mais finalement, on ne connaît pas leur nombre parce que nous savons que cette unité compte plus ou moins 800 personnes en armes. Mais ils disent qu'ils sont 52 ou 53 qui viennent en tant que conseillers Mais dans le domaine qu'ils connaissent et dans lequel ils donnent des conseils, il est très étrange qu'ils viennent en Colombie en ce moment. Nous savons tous que les Etats-Unis sont aux portes d'une élection et que c'est très difficile, en ce moment, pour Donald Trump qui est face à des protestations populaires inédites dans l'histoire récente des Etats-Unis. Alors, qu'ils nous disent que dans le tableau géopolitique de l'impérialisme concernant Notre Amérique, les Etats-Unis vont chercher une solution militaire au problème que constitue la Révolution Bolivarienne, s'il en était ainsi, cette solution militaire devrait s'appliquer au plus tard fin septembre si on prend en compte le fait que les élections ont lieu, aux Etats-Unis, dans les premiers jours de novembre. Alors, sans cesser de penser qu'il peut exister une menace militaire, je crois que cela a beaucoup aussi d'une opération psychologique.
Il faut rappeler aussi que cela survient peu de temps après l'échec d'une tentative d'invasion du Venezuela qui s'est terminée par une grande débâcle mais qui a été réalisée par des gens qui venaient de Colombie avec le soutien financier des Etats-Unis indubitablement et aussi à laquelle ont participé des gens comme Jordan Goudreau et ses mercenaires de Silvercorp.
María Fernanda Barreto : Oui. La seule chose dont les Etats-Unis nous ont donné la certitude, ces dernières années, au sujet de leurs actions militaires contre le Venezuela c'est que jusqu'à présent, ils n'ont pas été prêts à faire front, comme on dit en Colombie ou à affronter en face l'action militaire mais qu'ils ont décidé d'utiliser l'Etat colombien, le territoire colombien comme tête de pont pour relancer la Doctrine Monroe, surtout dans Notre Amérique mais en particulier pour une agression contre le Venezuela. Ce serait surtout une action illégale comme en ont déjà fait la preuve « l'Opération Gedeón » et l'année dernière, la Victoire des Ponts. Ils étaient en train de poster des contingents paramilitaires et des compagnies militaires privées, à la base étasuniens mais aussi de l'OTAN et israéliens.
Je t'emmène un peu vers la politique nationale colombienne : toutes les semaines, il y a des exécutions de la part de paramilitaires aussi bien de dirigeants sociaux, de dirigeants du peuple, que d'ex-combattants des FARC. Il y a eu des choses dans la rue, l'ESMAD réprimant à Cali, à Bogotá, des gens qui protestaient. Comment cois-tu le rôle d'Iván Duque et de l'uribisme dans le cadre de cette situation dans laquelle leurs maîtres politiques, dans ce cas Donald Trump, ont un sérieux problème dans leur pays et on ne sait pas s'ils ont du temps à perdre en continuant à soutenir leurs pupilles ?
María Fernanda Barreto : Disons qu'une partie de la géopolitique étasunienne, c'est le président qui la gère mais n'oublions pas que les Etats-Unis sont un empire dominé par les corporations. Ce n'est pas réellement une nation qui exerce l'impérialisme mais un groupe de corporations qui ont leur résidence aux Etats-Unis. De plus, aux Etats-Unis, il y a aussi différents intérêts à piller les Amériques, en particulier la Colombie. Loin de diminuer, le génocide des dirigeants sociaux augmente et cela est également en rapport avec quelque chose qu'ils sont venus annoncer dans toutes les communautés rurales. C'est aussi évident dans le cas de Bogotá et de Medellin, où l'Etat a profité de la pandémie et de la quarantaine pour militariser et para-militariser encore plus le territoire colombien. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le peuple de la Colombie est un peuple qui ne dort pas. C'est un peuple qui continue à lutter. Justement, ces massacres et en particulier les « ethnocides » contre les communautés indigènes et les négritudes colombiennes ont justement lieu parce que le peuple s’est organisé et continue à affronter ce qui est sans doute l'oligarchie la plus violente de Notre Amérique. Alors, ces jours-ci, comme tu l'as signalé, ont eu lieu différentes mobilisations et la seule réponse du gouvernement uribiste est la répression et pas le dialogue. Hier seulement, Uribe Velez appelait l'Etat à augmenter les bombardements aériens sur la ville où soi-disant il y a des groupes qu'ils appellent à présent GAO mais qui évoquent tous les groupes paramilitaires et de la guérilla dont nous savons lesquels sont de son côté. Ce que l'uribisme envisage, c'est une escalade de la violence contre le peuple colombien parce que cette violence fait partie de sa doctrine originelle. En ce sens, je suis optimiste : d'abord parce que le peuple colombien non seulement est fatigué et parce qu'il y a une gauche plus consciente mais aussi parce que la situation de la pandémie est en train d'aggraver les inégalités. Par conséquent, la conscient-ce des gens, du peuple s'aiguise. J'ai l'espoir que toutes les révoltes qui ont eu lieu dans les principales villes de Colombie fin 2019 reprennent et je pense que cela devrait être, sans aucun doute, l'ultime période de l'uribisme. Parce que l'uribisme est de plus en plus rejeté par l'opinion publique et par la justice internationale, parce que les liens de l'uribisme avec le trafic de drogues qu'il dit combattre mais qui, en réalité, est son principal fournisseur de rente, sont de plus en plus évidents.
Comment vois-tu dans l'avenir les possibilités de dialogue avec l'ELN?
María Fernanda Barreto : Malheureusement, je pense que tant que l'uribisme est au pouvoir, ce qui est clair, c'est qu'il n'y a pas de volonté de dialogue de la part du Gouvernement colombien qui, en outre, a voulu réduire tout l'Etat à un Gouvernement. Et sous ce prétexte, non seulement il n'a pas respecté les accords signés avec les FARC mais il les a franchement enterrés. Alors, ne ne crois pas, réellement, qu'avec le Gouvernement d'Iván Duque, il y ait une quelconque possibilité de dialogue avec l'ELN parce que pour discuter, il faut être deux. Bien que la délégation de paix de l'ELN qui est toujours à La Havane ait dit plusieurs fois qu'elle était disposée à discuter, le Gouvernement uribiste a organisé une série d'actions honteuses du point de vue diplomatique contre Cuba en exigeant qu'on lui livre la délégation de paix, violant ainsi les protocoles qu'ils avaient signés pour pouvoir entamer les dialogues. Alors, pour une raison que nous connaissons, la Colombie a une politique étrangère sans précédent parce qu'elle est vraiment inacceptable, même pour les Gouvernements de droite précédents. Tous les Gouvernements de droite qui ont été au pouvoir en Colombie maintenaient un certain niveau de relations avec leurs voisins même malgré les différences idéologiques. Ça a été le cas même entre Uribe et le président Chávez. Il y a toujours eu un certain niveau de relations. Maintenant, toute la politique étrangère de la Colombie dépend des intérêts des Etats-Unis qui contrôlent aussi les marchés intérieurs. A la base, la politique et le Gouvernement colombiens, la seule chose qu'ils offrent, non seulement aux insurgés mais aussi au peuple colombien, c'est la répression et la judiciarisation. Il n'offre jamais le dialogue pour trouver une issue politique et négociée au conflit social armé que vit la Colombie, qui est l'issue à laquelle nous devons tous aspirer, dans Notre Amérique.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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