Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Guyana : Qui est Mohamed Irfaan Ali ?

15 Août 2020, 17:44pm

Publié par Bolivar Infos

 

Par Marco Teruggi

 

Au Guyana, 5 mois se sont écoulés entre les élections présidentielles et l'annonce des résultats. Mohamed Irfaan Alí, le nouveau président, a été investi le 2 août. Derrière cette crise, il y a l'histoire politique peu connue d'un pays pétrolier qui aura une croissance de 44% pendant la récession mondiale.

 

Quand Mohamed Irfaan Alí a été proclamé président de la République Coopérative du Guyana, le dimanche 2 août, 5 mois s'étaient écoulés exactement depuis les élections qui avaient eu lieu le 2 mars 2020. Entre ces 2 dates, il y a eu des dénonciations, des protestations, des accusations, des médiations internationales : les résultats qui semblaient définitifs ont été finalement suspendus.

 

Une vraie crise. Mais ce sujet n'a pas passionné les médias. Ce n'est pas surprenant. Le pays, situé au nord de l'Amérique du Sud, a une frontière avec le Venezuela, le Brésil et le Suriname et il a l'habitude d'être loin des radars des analyses politiques concernant l'Amérique Latine.

 

Guyana: un peu d'histoire

 

Le Guyana a pris son indépendance par rapport au Royaume Uni en 1966, après de longues années de lutte. La cadre de l'ancien empire est resté gravé dans la langue : c'est le seul pays d'Amérique du Sud où on parle anglais.

 

La composition ethnique du pays garde aussi l'empreinte du colonialisme anglais : 50% de la population est originaire d'Inde, 30% est afro-guyanaise, 10% est amérindienne et 10% est composée d'asiatiques et de métis.

 

« Un phénomène intéressant est que le colons anglais qui ont créé le pays et y ont laissé leur culture administrative et politique n'y ont laissé aucune descendance, » explique Alejandro Kirk, le reporter de Telesur qui a couvert les élections du mois de mars.

 

Le nouveau président Irfaan Alí appartient au groupe d'origine indienne alors que le président sortant, David Granger, était un afro-guyanais. Ils font chacun parti de l'un des 2 principaux partis du pays : le Parti Populaire Progressiste (PPP), à majorité indienne, et le Congrès National du Peuple (CNP), à majorité afro-guyanaise. La division ethnique de la politique a débuté en 1958, quand a été créé le CNP, issu du PPP.

 

« Le PPP a toujours été majoritaire mais le CNP a gouverné dans des coalitions à plusieurs occasions dont la dernière, jusqu'à cette semaine, avec l'Association pour l'Unité Nationale (APNU) et l'Alliance pour le Changement (AFC), » explique Kirk. On a fréquemment accusé le PNC de fraude électorale, ajoute-t-il.

 

Une crise de 5 mois

 

Alí a gagné avec 233 336 voix contre 217 920 pour Granger et 5 214 pour le reste des partis. La population du Guyana est faible : presque 800 000 habitants. La crise a commencé le lendemain des élections, le 3 mars, avec le décompte des voix.

 

« Le processus a commencé à être retardé au centre informatique par des incidents grossiers quand la victoire du PPP est devenue évidente mais il manquait la région de Georgetown, où le CNP (APNU/AFC) gagne toujours, » explique Kirk. Georgetown, la capitale, est majoritairement afro-descendante ainsi que l’administration, l'Armée et la Police.

 

« Grotesques, parce que le fonctionnaire en charge des ordinateurs s'est dit épuisé et s'est retiré dans une salle contigüe d'où est sorti plus tard une feuille Excel avec des données vérifiées sans le décompte des voix donnant la victoire au APNU/AFC, » rappelle celui qui a couvert les élections. Et à partir de là, ça a été le chaos. »

 

Il y a eu beaucoup d'observateurs internationaux à ces élections : l'Organisation des Etats Américains, l'Union Européenne, le Commonwealth, le Centre Carter. Mais on est arrivé au point extrême du grotesque : la présidente de la Commission Electorale (GECOM) a été enlevée et on a prétendu donner un résultat définitif.

 

Là a commencé une logue procédure judiciaire qui a décidé de recompter les voix sous le contrôle de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Ce nouveau décompte a donné la victoire au PPP.

 

C'est sous « la pression internationale, » explique Kirk, que la victoire a été donnée au PPP. Et Mohamed Irfaan Alí, 40 ans, né à Leonora, docteur en planification urbaine, membre du Congrès de 2006 à 2015, ex-ministre du Logement et membre du PPP depuis 20 ans est devenu président.

 

La plus forte croissance du monde

 

Le Produit Intérieur Brut du Guyana augmentera de 44% cette année, selon le dernier rapport de la Commission Economique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes. C'est le seul pays de la région et l'un des rares dans le monde qui n'enregistrera pas de baisse . Cela ne signifie pas que le pays n'est pas affecté par la récession : le pronostic de croissance initial pour 2020 était de 80%.

 

L'ampleur du saut est en rapport avec les gisements de pétrole et les prévisions concernant la production qui, selon les estimations, passera de 52 000 barils par jour à 750 000 en 2025. Le Guyana deviendra alors l'un des premiers pays producteurs de pétrole per capita.

 

Au centre de l'exploration et de l'exploitation se trouve la compagnie transnationale Exxon Mobil qui dirige la production par l'intermédiaire du bloc Stabroek d'eaux profondes qui, estime-t-on, possède plus de 8 000 000 000 de barils de pétrole de réserve.

 

« La lutte pour le pouvoir a été déterminée précisément par le problème de al richesse pétrolière qui donnera au gagnant l'occasion de rester au pouvoir pendant des décennies, » explique Kirk.

 

Autour du problème du pétrole, il y a les contrats signés entre le précédent Gouvernement et Exxon Mobil. Selon l'ONG Global Witness, le contrat concernant la production signé en 2016 est fortement en faveur de l'entreprise et privera le pays de quelques 55 000 000 000 de dollars tant qu'il sera en vigueur. Cet accord a été qualifié « d’exceptionnellement mauvais » par l'ONG.

 

Cette action de Granger avait été dénoncée par le PPP en décembre 2018 grâce à une motion de censure contre le président qui, en ayant été approuvée, devait être suivie par la tenue d'élections dans un délai de 90 jours. Les élections auront lieu, finalement, un an plus tard et 5 mois après, on a su qui était le nouveau président.

 

L'avenir du Guyana

 

Irfan Alí a promis de modifier les accords défavorables au pays. Selon Kirk, il n'a encore aucun pouvoir réel : « Celui a conduit la clameur et les négociations, c'est l'ex-président et aujourd'hui, le vice-président Bahrrat Jagdeo, dirigeant du PPP. »

 

Le PPP a été fondé en 1950 par Cheddy Jagan, de formation marxiste. Il était alors de tendance socialiste comme le CNP. Après des décennies, les partis ont subi des transformations internes.

 

« Selon des personnalités des 2 forces politiques, il n'existe pas de grande différence idéologique entre les 2. Il sont abandonné leurs projets révolutionnaires et parient sur l’administration de la richesse pétrolière remise à la compagnie transnationale nord-américaine Exxon Mobil dont le rôle dans tout ce processus reste à définir, » explique Kirk.

 

Il est trop tôt pour savoir ce que cherchera à faire le nouveau Gouvernement et quelle marge de manœuvre il aura. Kirk indique que sa victoire a été reconnue dès le début par les Etats-Unis, le Royaume Uni, l'Union Européenne ainsi que par les syndicats patronaux du pays, ce qui pourrait indiquer certaines orientations.

 

Le Guyana, à cause de sa grande réserve de pétrole et de sa situation géographique, est un territoire stratégique. « La richesse pétrolière découverte en Guyana en fait une alternative au pétrole du Venezuela. Les Etats-Unis, par l'intermédiaire d'Exxon Mobil, cherche à compenser et peut-être à remplacer le Venezuela comme source contrôlée et fiable d'hydrocarbures, » déclare Kirk mais il signale aussi 2 éléments concernant les niveaux de production : ce sera pour un temps limité « et toujours suspendu au conflit entre le Guyana et le Venezuela pour l'Esequibo».

 

En ce qui concerne le conflit entre le Guyana et le Venezuela, « le PPP a toujours été plus enclin à maintenir une relation de coopération avec le Venezuela en conservant le statu quo. » Il est donc possible que le nouveau Gouvernement gèle ou ne donne plus la priorité à cette procédure bien qu'elle soit déjà aux mains de la Cour Internationale de Justice de la Haye » qui a engagé, le 30 juin dernier, le débat destiné à décider si elle est compétente pour traiter la demande du Guyana.

 

Le pays qui est hors des préoccupations des grands médias acquiert alors une importance que certains Gouvernements ont très bien saisie. La croissance de son Produit Intérieur Brut sera élevée pendant les prochaines années mais, on le sait, cela ne signifie pas automatiquement une amélioration des conditions de vie de la population.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2020/08/14/guyana-quien-es-mohamed-irfaan-ali-y-por-que-guyana-surge-ahora-en-nuestro-radar/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2020/08/guyana-qui-est-mohamed-irfaan-ali.html