BOLIVIE : Un marquage humain dégradant
Par Juan Carlos Zambrana Marchetti
Le marquage des corps au fer rouge était une pratique courante à l’époque coloniale, mais pendant l’Inquisition, la condamnation à la torture et à la mort relevait d’un marquage moral dégradant au moyen de qualificatifs comme “hérétique” ou “sorcière”, entre autres. Cela ne date pas d’une époque révolue, car en plein XXe siècle, dans l'Allemagne nazie, un double marquage des juifs avait cours, moral d’abord avec des termes comme “sale juif” pour les identifier et les rabaisser instantanément, les dépouillant de toutes valeurs et droits propres au genre humain, physique ensuite, en leur apposant des matricules avant de les envoyer dans les chambres à gaz.
Ces marquages ont été réalisés en toute impunité par des régimes totalitaires, mais l’Histoire révèle de nouvelles formes de stigmatisations utilisées par des gouvernements dits démocratiques. Ce fut le cas de l’étiquetage de “communiste” pendant la deuxième moitié du XXe siècle sur le continent américain, lors de la croisade anticommuniste du sénateur Mc’Carthty aux Etats-Unis à partir de 1950.
Devant l’impossibilité d’éliminer physiquement des personnes qui n’avaient commis aucun crime, on eut recours à leur mort civile en leur attribuant sans aucune raison valable une forme de criminalité les associant à la “menace” que représentait la dictature de Staline pour le peuple américain. Les victimes furent ainsi soumises d’abord à la condamnation sociale, puis à l’isolement et à la misère par manque de travail et d’accès au crédit pour finalement les achever par la persécution judiciaire et l’emprisonnement.
L’Amérique du Sud a elle aussi souffert du fléau de ces pratiques de marquage humain dégradant contre de vastes secteurs de la société. C’est le cas de l’appellation “indien” qui sert à rabaisser déprécier certaines personnes et leur ôter le statut social qui est le leur aujourd’hui, pour les ravaler au statut de sous-homme qui était celui de leurs ancêtres à l’époque coloniale.
En Bolivie par exemple, toute la charge négative associé au terme “indien” durant de nombreux siècles a été transférée à l’appellation de “masiste” qui signifie affilié au MAS (Mouvement vers le Socialisme), le parti politique de “l’indien” Evo Morales. Ceci bien évidemment après avoir stigmatisé ce parti politique d’une prétendue fraude électorale qui a été amplement démentie depuis lors.
Pour ce qui concerne le marquage personnel pour des raisons politiques, la Droite a osé traiter Evo “d’indien”, de “puant”, de “voleur”, de “race maudite” et même de “bête sauvage”, et, au-delà de ces qualificatifs à connotation raciste, a aussi tenté de lui attribuer des activités criminelles de “terrorisme”, de “narcotrafic” et plus récemment de “pédophilie”. Aucun de ces crimes, qui doivent être jugés avec probité et condamnés avec sévérité le cas échéant, n’a été prouvé devant un Tribunal, mais ont tous été utilisés politiquement, et continuent de l’être, pour détruire le Processus de Changement et plus généralement remettre l’indien à genoux.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître dans des sociétés avancées, en Bolivie les prisons sont remplies de “présumés” coupables dont les délits n’ont pas été prouvés devant la Justice. Des personnes sont placées en détention “préventive” dans des procès délibérément paralysés et ont été emprisonnées, de surcroît, sur la simple base d’accusations aberrantes de la part d’opposants politiques.
Le marquage humain dégradant est un autre délit qui s’ajoute à la liste sans fin des abus de pouvoir contre le citoyen ordinaire commis chaque jour en Bolivie. Cette sorte de délit consistant à porter de fausses accusations contre autrui devrait être sévèrement pénalisé, surtout lorsqu’il repose sur des motivations politiques destinées à changer le cours de l’Histoire de l’ensemble d’un pays.
Qu’attend le Congrès pour en finir une fois pour toutes avec cet enfer d’abus de pouvoir et de corruption judiciaire ? Il pourrait le faire en sanctionnant et en promulguant deux lois très simples : l’une en extirpant à la racine la figure juridique aberrante de la détention “préventive”, et l’autre en instituant le respect du principe juridique de présomption d’innocence. Dans les deux cas, les normes établies devront être inattaquables. Par exemple, en punissant le délit de fausse accusation d’une peine de dix ans de prison applicables aux dénonciateurs, aux avocats, aux procureurs et aux juges qui osent engager des procès en l’absence de présentation et d’examen des preuves matérielles du délit supposé. L’on devrait aussi sanctionner, à un second niveau de la fausse accusation, le délit de marquage humain dégradant, c’est-à-dire l’action d’associer, quel que soit le moyen utilisé, le nom ou l’image d’une personne à des qualificatifs humiliants, ou à un délit pour lequel elle n’a pas été juridiquement déclarée coupable.
De telles lois devraient être approuvées à l’unanimité par le Congrès Bolivien, aussi bien par les 2/3 des représentants parlementaires du MAS dont les leaders sont persécutés à ce jour, que par le tiers restant, dont les leaders gouvernent actuellement mais qui seront poursuivis pour crimes, corruption et autres délits après les élections du 18 octobre prochain.
Il est grand temps pour la Justice bolivienne de sortir du Moyen-Age et d’adhérer à la modernité.
Traduction Frédérique Buhl pour Bolivar Infos
Source en espagnol:
https://www.resumenlatinoamericano.org/2020/09/04/bolivia-marcacion-humana-degradante/
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