Honduras : La triple crise
Par Nery Chaves García
En tant que laboratoire des coups d'Etat du XXIème siècle, le Honduras subit une crise sanitaire, économique et politique dont il ne semble pas près de sortir.
La pandémie de COVID-19 et les ouragans Eta et Iota ont aggravé le crise politique, économique et sociale et la crise concernant les droits de l'homme installée au Honduras. Une crise qui, loin de se résoudre, s'aggrave dans un Honduras gouverné par une dictature qui dure depuis 11 ans et qui a condamné la population à la spoliation, au déplacement forcé et à la violence.
11 ans de dictature
Le coup d'Etat au Honduras a été le premier coup d'Etat exécuté en Amérique Latine au XXIème siècle. Le 28 juini 2009, le président Manuel Zelaya a été expulsé du pays et conduit au Costa Rica. En pyjama, Zelaya a dénoncé le coup d’État organisé par des secteurs du Parti Libéral, le Parti National et les Forces Armées.
Depuis lors, la crise a été permanente au Honduras. Le coup d'Etat a instauré la dictature du Parti National qui a réussi à se maintenir au pouvoir après une succession d'affaiblissements de la démocratie et des principes qui faisaient contrepoids entre les pouvoirs :
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En 2012, le Parti National a coopté les membres de la Cour Constitutionnelle qui aujourd'hui blinde juridiquement les manœuvres politiques de la dictature.
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En 2015, la Cour Constitutionnelle a statué en faveur de Juan Orlando Hernández (JOH) et donné son aval à sa participation aux élections présidentielles de 2017.
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En 2017, une fraude aux élections a permis à Juan Orlando Hernández de rester au Gouvernement.
Mais ces coups d'Etat permanents ont amené avec eux d'importants processus de résistance. Sur le plan politique, le parti LIBRE et le parti Anti-corruption (PAC) sont nés. Liberté et Refondation (LIBRE) est de tendance progressiste et est dirigé par Manuel Zelaya, alors que le parti Anti-corruption est de droite. Tous 2 ont réussi à dynamiter la légitimité de Juan Orlando Hernández, ce qui a fait chanceler le Parti National et a diminué sa capacité de gouvernement. Sur le plan des organisations, le Conseil Civique des Organisations Populaires et Indigènes du Honduras (COPINH) et l'Organisation Fraternelle Noire du Honduras (OFRANEH) ont été très importantes dans la résistance au régime dictatorial du Parti National.
Sur cette base politique dictatoriale, d'inégalités et mortifère, la pandémie promettait d'être catastrophique. Selon la Commission Economique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL), 40% de la population hondurienne se trouve en état de pauvreté extrême et 67,4% en état de pauvreté relative.
Système de santé privé et sélectif
L'affaiblissement du système de santé publique est structurel. Il a environ 30 ans de retard dans l'investissement, une période qui coïncide avec l’installation du néolibéralisme en Amérique Centrale grâce au programmes d'ajustement structurel (PAES) du Fonds Monétaire International (FMI). Pour 2018, selon le Centre d'Etude pour la Démocratie (CESPAD), au Honduras 9 personnes sur 10 ne sont pas couverte par une sécurité sociale et environ 1 500 000 n'ont pas accès à la santé. A cela s'ajoute le fait qu'on engage peu de personnel de santé - médecins et infirmiers – et qu'on manque de chambres à l'hôpital : dans tout le pays, il existe 5 hôpitaux régionaux pour 9 000 000 d'habitants.
C'est dans ce panorama complexe et désolant qu'est arrivée la pandémie de COVID-19. Pour le 4 janvier, le Honduras avait un nombre cumulé de 123 369 cas de COVID-19 et de 3 180 de cette maladie. La stratégie de JOH contre la pandémie s'est caractérisée par l'improvisation, la négligence, la corruption et l'accaparement.
Les affaires de corruption, comme d'habitude, sont pratiquement innombrables et de diverses sortes. Ils vont de l'achat de 250 000 tests de dépistage du coronavirus sans les kits d'extraction à l'achat de ventilateurs à des entreprises qui n'en avaient jamais vendu auparavant et n'étaient même pas des fournisseurs de l'Etat. Le Conseil National anti-corruption (CNA) a réalisé 11 enquêtes et identifié un préjudice de 811 634 132 de lempiras (environ 33 673 251$) pour les finances publiques en 7 mois de pandémie.
L'une des affaires de corruption les plus importantes a été celle qui a bénéficié aux Forces Armées grâce à l'achat de 4 ventilateurs pulmonaires modèle Evita V300 pour l'hôpital militaire. Ces ventilateurs sont les meilleurs qui aient été achetés par la Commission Permanente d'Urgence (COPECO). Avec des fonds publics, on a approvisionné un hôpital qui, pour les civils, fonctionne comme une clinique privée. Cet hôpital a soigné JOH quand on a pensé qu'il avait attrapé la maladie et cette institution est réservée aux proches du Gouvernement. Ainsi, la santé serait garantie aux militaires et au régime dictatorial.
De plus, l'improvisation a été très importante dans la stratégie de JOH contre le coronavirus. Parmi les décisions sans aucun fondement scientifique qu'il a prises, se trouve la réouverture de l'économie – qualifié « d'intelligente » par le Gouvernement, pendant un pic de contagion au mois de juin. Ila aussi mis en œuvre le traitmeent « maïs et catracho » pour combattre le coronavirus : un médicament à base de chloroquine snas aucune preuve scientifique d'efficacité. Par contre, selon une étude clinique publiée dans la revue The Lancet, l'utilisation de la chloroquine ou de l'hydrochloroquine a été associée à une augmentation des risques pour des patients atteints de cette maladie car elle augmente les arythmies ventriculaires et par conséquent, augmente la mortalité.
Les ouragans Eta et Iota
Comme si la pandémie ne suffisait pas, 2 ouragans sont passés sur le Honduras fin 2020: Eta et Iota. Tous 2, à quelques jours d’intervalle, ont fait plus de 100 morts, plus de 10.000.000.000 de dégâts aux infrastructures et selon le Forum Social pour la Dette Extérieure (FOSDEH), environ 860 emplois seront perdus : 240 000 de plus que les estimations concernant la pandémie et on pense que l'indice de pauvreté atteindra 75% ou 80%.
C'est le nord du pays, le moteur économique du Honduras, qui a été le plus touché par les ouragans. En 2 semaines, le pays a perdu presque 40% de son Produit Intérieur Brut (PIB), selon Alejandro Kaffati, économiste et chercheur au FOSDEH. Face à cela, diverses organisations considèrent que JOH et Max González, le ministre de la Commission Permanente d'Urgence (COPECO) sont les principaux responsables des dégâts matériels et humains des ouragans. La négligence des 2 autorités est évidente car elles ont donné l'alerte la veille de l'arrivée d'Eta dans le pays.
Les alertes concernant les dégâts faits par Eta et Iota sont importantes car un scénario similaire s'était produit en 1998 quand l’ouragan Mitch avait touché le Honduras et le Nicaragua. Cet événement naturel et les désastres sociaux qu'il a produits sont reconnus comme un point d'inflexion dans la région car il a eu une incidence sur l'augmentation du flux migratoire au Honduras. Récemment, une nouvelle caravane de migrants est partie pour les Etats-Unis. Ces 300 personnes fuient les dégâts faitspar les ouragans et les actions insuffisantes du Gouvernement.
La situation au Honduras est profondément désolante et ne semble pas devoir changer. Tandis que la population survit à grand peine à la dictature, à la pandémie, aux ouragans, les partis politiques se concentrent sur les élections primaires prévues pour le 14 mars 2021 et les présidentielles de novembre (toujours sans date précise).
Dans ce domaine, de LIBRE fait pression sur le Tribunal Suprême Electoral (TSE), pour qu'il garantisse un modèle électoral réel et que les possibilités de fraude s'amenuisent ainsi que pour qu'il promulgue une nouvelle loi électorale. Pour sa part JOH, de plus en plus affaibli, ne fait pas partie des élections primaires du Parti National et le nom qui monte est celui de l'actuel maire de Tegucigalpa, Nasry Afura. Afura est l'objet d'une enquête pour malversation de fonds, une situation qui ne le discrédite pas et ne l'empêche pas de se présenter dans le second pays à avoir les plus hauts indices d'impunité. Ainsi, pour le Honduras, il ne reste plus que la voie de l’organisation politique.
Source : Pressenza
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2021/01/08/honduras-la-triple-crisis/
URL de cet article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/2021/01/honduras-la-triple-crise.html