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Colombie : Bilan politique de la grève illimitée

4 Mai 2021, 17:46pm

Publié par Bolivar Infos

Par Javier Calderón Castillo

 

Le président Iván Duque a présenté un projet de réforme fiscale au Congrès de la République le 20 avril dernier. Grâce à celle-ci, il pendait recueillir 8 000 000 000 de $ sous prétexte de faire face à la crise sanitaire. Cette proposition a été rejetée par la majorité de divers secteurs politiques et sociaux du pays, ce qui a provoqué une vague de protestations massives (grève nationale) dans toutes les villes de Colombie qui a débutée le 28 avril. Après 5 jours de mobilisation et de répression policière (avec des 16 morts confirmées et de nombreux blessés) le Gouvernement s'est vu obligé, ce 2 mai, de retirer ce projet et de convoquer un dialogue politique.

 

La réponse a été rejetée dès le début par la majorité des groupes parlementaires dont certains partis proches du Gouvernement et d'autres qui avaient apporté leur soutien au président et lui avaient permis de gouverner comme le Parti Libéral dirigé par l'ex-président Cesar Gaviria. Cette proposition était vouée à l'échec dès le début.

 

Répondant à de multiples intérêts, ces secteurs politiques et une bonne partie de la société civile ont montré leur désaccord avec la structure de la réforme et même avec l'idée d'instaurer plus d'impôts dans la mesure où suite à la précédente réforme fiscale de Duque, en 2019, le mal-être avait augmenté au rythme des énormes exemptions d'impôts accordées au grand capital qui a bénéficié de plus de 4 000 000 000 de $ depuis lors.

 

La situation sociale n'est pas favorable non plus. Les hauts indices de pauvreté ont augmenté considérablement : les rapports officiels estiment la pauvreté monétaire à 42,5 % (21 100 000 000 de personnes) et la pauvreté extrême à 15,2 % (7 600 000 000 personnes), le chômage à 14,5 %, 51,2 % de travail illégal. Il existe de sérieuses difficultés pour la vaccination (5 000 000 de doses ont été appliquées sans que Pfizer et Sinovac n'augmentent le rythme des livraisons) avec de nouveaux pics de contagion qui obligent à fermer partiellement les commerces.

 

Tout cela se déroule en une année pré-électorale dans laquelle toutes les formations politiques commencent à penser et à agir avec plus de calcul politique envers leurs électeurs. Bien qu'il reste 10 mois avant les élections législatives et 1 an avant les présidentielles, le Gouvernement a déjà le soleil derrière son dos et n'a plus assez de force pour ajouter la totalité des factions de droite à son ordre du jour de gouvernement.

 

Effets politiques du retrait de la réforme fiscale

 

Le retrait du projet de réforme fiscale est une défaite politique et symbolique pour l'uribisme et pour le président Duque. A 1 an des élections, ce revers fera fuir ses alliés au Congrès avec lesquels il a réussi à pouvoir gouverner de façon stable en 2019 mais qui ne se définissent pas comme des partis proches du Gouvernement : le Parti Libéral de l'ex-président Cesar Gaviria et Cambio Radical de l'ex-vice-président de Santos, Germán Vargas Lleras. Ces partis demandent déjà à leurs mdembres qui sont ministres de se retirer du Gouvernement, ce qui rendrait Duque incapable de gouverner, en n'ayant plus la majorité au Congrès. Gaviria et Vargas Lleras, en rejetant la réforme et en s'éloignant de Duque cherchent à canaliser le mécontentement social et à s'octroyer une médaille de victoire en pensant à 2022.

 

Le ministre des Finances a présenté sa démission sans même qu'elle ait été acceptée par le président Duque. Une négociation organisée par l'uribisme a débuté entre les partis de droite pour pouvoir gouverner. Dans ce cadre, l'offre de ministères peut donner lieu à une crise ministérielle qui s'achève par différents changements.

 

La coalition du Pacte Histórique, dirigée par Gustavo Petro et Iván Cepeda sort très renforcée. Ses parlementaires ont été à la tête de l'opposition à la réforme et se sont rapprochés des citoyens et du soutien à la grève générale. Mais ce triomphalisme peut conduire à des erreurs comme faire revenir le mal-être à une structure de changment.

 

La population a gagné à sortir massivement et à manifester son désaccord. Elle l'a fait à cause d'une accumulation de plaintes non traitées et à cause de la déconnexion du Gouvernement de la majorité. Le Gouvernement est perçu comme une élite et la réforme fiscale n'a fait que décider les groupes modérés qui attendait un dialogue de la part du Gouvernement. La mobilisation continuera tant que le Gouvernement et le Congrès ne donneront pas une réponse sociale et pacifique. 

 

La jeunesse a gagné. Elle a parlé clair et jour un rôle central dans ce différend. Dans les prochains mois, elle sera le centre d'actions de l'Etat destinées à criminaliser cette volonté car le Gouvernement sait qu'il y a dépolitisation et que la peur dissuade.Peut-être est-il trop tard pour renverser ce sentiment commun anti-uribiste (principalement) construit dans la jeunesse colombienne. Des personnes qui ont voté pour Uribe et Duque se déclarent aujourd'hui anti-uribistes, repus de la corruption et solidaires de la mobilisation. Il y a une « re-politisation » du pays.

 

La situation a donné une forte impulsion à la gauche et au progressisme qui ont la responsabilité d'orienter la suite du différend. Si on oriente et administre ce mécontentement, cela se reflètera dans les élections et ils seront au gouvernement. S'ils ne le font pas bien, le désaccord pourra être fagocité par l'anti-politique (vote blanc, nul, tous pareils, etc...)

 

Le président Duque a lancé l'Armée dans les rues samedi 1 er mai. Cette menace de militarisation a été renversée rapidement car 24 heures après, il s'est vu obligé de retirer sa réforme. Les gens n’ont pas eu peur et l'armée doit réfléchir pour en pas porter le poids d'un Gouvernement tellement affaibli. Le scénario le plus probable est qu'elle pense à une alternative qui lui soit propre (pas un coup d'Etat mais un accord avec la droite non uribiste en accord avec les Etats-Unis de Biden).

 

Les maires de Bogotá, Claudia López, et de Cali, Iván Ospina, sont affaiblis. Ce sotn les grands perdants parce qu'ils ont soutenu la réforme fiscale et n'ont pas réussi à éviter les abus de la force publique. A Cali, le chiffre officiel est de 7 morts, il ya eu des disparus et beaucoup de blessés. Ces maires n'ont pris leurs distances avec Duque contre la militarisation que quand celui-ci a décidé de retirer la réforme.

 

Les mobilisations ont dépassé le pouvoir des médias traditionnels (RCN et el Tiempo, etc...) qui, dès le début, ont stigmatisé l'appel à la grève. D'autre part, les réseaux sociaux ont gagné : ils sont le centre de l'interaction, de la discussion et de l'information (et de la désinformation).

 

Scénarios

 

Dialogue de l'élite. Le président Duque, en retirant la réforme fiscale a appelé au dialogue mais on ne sait pas s'il répètera le scénario qu'il a mis en scène en 2019 quand il a décidé de se mettre d'accord avec Changement Radical et le Parti Libéral – avec les chambres de commerce – et n'a jamais rencontré les représentants de la grève, ni syndicaux ni sociaux. C'est le scénario le plus probable mais les forces politiques de droite pensent aux élections de 2022 et pourraient laisser l'uribisme sans marge de manœuvre. C'est pourquoi la privatisation des rares entreprises d'Etat qui restent serait la solution pour financer la dernière année de gouvernement.

 

L'autre scénario possible est le dialogue national avec tous les secteurs, ce qui implique de reconnaître un ordre du jour de plaintes plus large que leproblème fiscal et comprendrait la politique concernant la paix et les revendications sectorielles. C'est un scénario peu probable mais cela pourrait être une solution pour faire baisser la rage et achever le mandat avec un dialogue social en héritage.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2021/05/03/colombia-balance-politico-del-paro-nacional/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2021/05/colombie-bilan-politique-de-la-greve-illimitee.html