Pensée critique : Contre le pouvoir idéologique de l’impérialisme
Par Gercyane Oliveira
L’extrême droite s’est rendue compte qu’il n’est pas nécessaire d’en finir avec la démocratie libérale par un coup d’Etat militaire pour arriver au pouvoir, dit l’historien marxiste indien Vijay Prakash dans cette interview.
Du Brésil à l’Inde, L’extrême droite c’est rendue compte qu’elle n’a pas besoin d’un coup d’Etat militaire pour arriver au pouvoir au XXIe siècle. Pour comprendre ce processus dans un monde de plus en plus conflictuel, nous parlons avec le marxiste indien Vijay Pradhad qui a expliqué les racines de ce phénomène et montré comment la classe ouvrière est en train de se défendre dans chaque pays.
Dans cette interview, il parle avec Gercyane Oliveira des similitudes et des différences politiques entre le Brésil et l’Inde, du mouvement paysan qui est en train de déstabiliser le Gouvernement conservateur de Narendra Modi, des raisons de la guerre en Ukraine, de ses conséquences pour le Moyen-Orient et l’Amérique latine dans un monde dont l’horizon est de plus en plus chargé de la lente décadence de l’empire nord-américain.
GO: L’auteur Raju Das a fait un travail intéressant sur l’économie et la politique en Inde dans lequel il présente les idées générales sur la lutte des classes d’une manière très intéressante. Comment analysez-vous la politique capitaliste en Inde, les tendances fasciste de sa classe dominante et la gauche indienne ?
VP: L’Inde, comme de nombreuses parties du sud mondial a vu disparaître les pactes antérieurs des élites gouvernantes pour fournir des bénéfices sociaux, un refus qui est venu avec la vague néolibérale dans le monde entier et est encouragé par le FMI. Cette fin du bien-être social a érodé la base de pouvoir des anciennes élites gouvernantes et leur orientation plus désalignée et développementaliste. À mesure que la gauche s’affaiblit à cause du paradigme de mondialisation stimulé par les États-Unis s’ouvre la porte pour que la droite arrive. L’apparition de la droite suggère trois nouvelles découvertes importantes.
Tout d’abord, que l’extrême droite ne pense plus qu’elle a besoin d’en finir avec la démocratie libérale et qu’elle a besoin de la force directe, d’un coup d’Etat militaire, pour arriver au pouvoir. Maintenant, elle peut arriver au pouvoir en utilisant les instruments de la démocratie libérale. Cela a été prouvé en Inde mais aussi au Brésil. Les limites constitutionnelles de la loi et l’avalanche d’argent dans la politique sont là. C’est la première découverte.
La seconde, c’est que la droite a été capable de dire que l’économie allait s’engloutir et libèrerait des postes de travail. Cette promesse ne reposait sur aucune théorie économique sérieuse mais était attractive. Le refrain de Donald Trump de « faire que les États-Unis redeviennent grands » ou le slogan de Modi « de faire en Inde », c’est la même chose, une promesse vide de faire croître l’économie. Mais ce ne sont pas des hommes qui sont contre la mondialisation ou qui veulent se développer. En effet, ils sont en faveur de la mondialisation mais ils lancent ces bruits de façon rhétorique et non pratique.
Et troisièmement, ces néofascistes d’extrême droite obtiennent des majorités importantes aux élections en faisant passer le terrain de discussion des questions de classe aux questions sociales. L’éloge des militaires et de la discipline ou les opinions contre les femmes et les minorités sociales aiguisent la base de l’extrême droite à qui on dit que ses problèmes économiques sont là à cause de la discipline dans la société ou qu’ils sont là parce que les femmes et les minorités sociales sont en train d’accepter le travail. Ce sont des visions séductrices qui ne sont destinés qu’à produire un électorat suffisamment engagé pour garantir la réélection.
Les victoire de Modi se sont faites dans cette direction. Le Brésil est un peu différent parce qu’en Lula, il a un cadre dirigeant d’une politique de classe ouvrière qui remonte aux grandes grèves industrielles des années 80 et à sa période de gouvernement. Il n’y a pas une figure comme Lula en Inde, c’est pourquoi la social-démocratie indienne est complètement brisée et l’extrême droite se trouve dans beaucoup de ses mouvements politiques.
- L’Inde a un mouvement communiste fort mais extrêmement divisé. Dans ce scénario, se détache aussi bien leur Parti, le PCI marxiste que d’autres phénomènes comme un mouvement guérillero maoïste de longue date, les naxalites. À votre avis, y a-t-il une possibilité d’engager un dialogue ?
- La gauche indienne est très divisée, comme tu dis. La classe ouvrière et le paysannat sont en mouvement dans beaucoup d’endroits mais ils ont aussi divisés. Le but d’un parti de gauche est d’unir les nombreuses luttes différentes de la classe ouvrière et du paysannat et de faire que leur lutte ait une base politique enracinée dans une théorie de la transformation sociale. Mais comme dans tous les pays, la gauche elle-même se divise sur la base de sérieux désaccords de ligne et de tactique.
La première grande division du mouvement communiste qui a débuté en 1920 a eu lieu en 1964 entre le parti communiste de l’Inde (PCI) et le Parti communiste de l’Inde marxiste (PCI M) auquel il appartenait. Le PCIM disait que la bourgeoisie indienne n’était pas une alliée, que c’est ce que suggérait le PCI et aussi que celui d’URSS était un parti frère mais pas le centre de la révolution mondiale. Ensuite, en 1967 une section s’est séparée du PCIM pour former les courants maoïstes qui eux-mêmes se sont scindés de nombreuses fois.
Le maoïsme indien pensait que l’État indien était semi féodal et semi capitaliste ce qui signifie que son système parlementaire devait être ignoré en tant que lieu de la politique et que la voie armée serait celle du succès. Les maoïstes sont actuellement en grand désordre. Leur dernier Congrès proprement dit a eu lieu en 2007. Beaucoup de leurs dirigeants sont en prison et l’activité armée a diminué. Un secteur des maoïstes, le PCI marxiste–libération est descendu dans l’arène en 1992. Ces secteurs de la gauche communiste (PCI, PCIM, libération et une multitude d’autres groupes) travaillent ensemble aussi bien dans les élections et dans les luttes de masse. Ils travaillent aussi en étroite collaboration avec des secteurs de gauche plus petits qui opèrent sur la base de questions syndicales contre une usine ou contre le schéma de privatisation de l’eau.
L’objectif principal n’est pas l’unification sur une plate-forme superficielle d’unité mais de travailler ensemble autant que possible, de construire l’unité de la classe ouvrière et du paysannat. Notre objectif est d’unifier la classe ouvrière et le paysannat, pas d’unifier tous les groupes de gauche mais la division entre les groupes de gauche désoriente la classe ouvrière et le paysannat si les groupes de gauche passent tout leur temps à se battre entre eux en public.
- Votre parti est très actif à Kerala, une région connue comme l’état rouge de l’Inde. Kerala semble être pratiquement le seul endroit du pays où la division en castes a perdu son poids social, politique, culturel et idéologique. Quels facteurs peuvent être un défi à l’expansion de cette démocratie socialiste au niveau national ?
–Kerala est un état de l’Inde de 35 000 000 d’habitants. Le parti auquel j’appartiens, le PCIM, fait partie du front de gauche qui gouverne l’état et a transformé la vie sociale de Kerala pendant le siècle dernier. Il y a des questions spécifiques concernant le développement social de Kerala qui font que son propre projet n’est pas exportable. Le mouvement de réforme, face et aux côtés des communistes, a joué un rôle important dans la rupture des hiérarchies de caste et du patriarcat. Cela a modelé la société en facilitant la défense des valeurs égalitaires.
Dans le nord de l’Inde, par exemple, les mouvements de réforme étaient faibles et dans certains cas, le mouvement de réforme était orienté vers la droite. Là, les communistes doivent mettre en place un ordre du jour contre la hiérarchie sociale et construire des majorités pour lutter pour le socialisme. C’est quelque chose de très difficile. Le Gouvernement de Kerala est un phare d’espoir pour nous tous, dans le monde entier. Il a encouragé, dans une partie pauvre du monde, une variété de politiques sociales qui incluent des personnes innovatrices qui envisagent de construire tout le budget de l’État, un solide système d’éducation, de santé publique, une riche tradition d’action publique assistées par les syndicats, les organisations de femmes et les groupes paysans, des coopératives plus grandes –ce que Karl Marx appelait le communisme possible– qui produisent une gamme de biens et de services incluant la technologie par Internet et l’industrie de la construction. Il faut en apprendre plus sur Kerala pour donner des idées et de l’espoir aux personnes dans les différentes parties du monde.
–La gauche brésilienne a poursuivi une mobilisation paysanne massive et réussie en Inde contre les politiques réactionnaire de Modi qui encourage les intérêts impérialistes. Pourriez-vous nous parler un peu plus de la forte résistance de ces paysans et des défis qu’affrontent les mouvements sociaux ?
–Pendant la pandémie, le Gouvernement de Modi a approuvé trois lois agricoles qui devaient augmenter la production agricole en transformant les paysans en conducteurs Uber. Les agriculteurs ont lutté pendant un an et ont obligé le Gouvernement indien à annuler ces lois. Mais ils sont en train d’approfondir leur lutte en exigeant des prix minimums de soutien, l’électricité subventionnée et une série d’autres revendications qui ont amené le Gouvernement a jouer un rôle plus interventionniste et social dans le système agricole. Les agriculteurs reconnaissent que cette lutte est une lutte existentielle, c’est pourquoi il ne reculeront pas. Cette victoire est la victoire ouvrière la plus significative depuis de nombreuses aux années.
Chaque année, entre 200 000 000 et 250 000 000 de travailleurs et de paysans se déclarent en grève en Inde pour faire pression sur le Gouvernement sur un certain nombre de sujets. Cette année, la grève de deux jours fin mars a été un succès.
–J’aimerais savoir ce que vous pensez du socialisme à notre époque. Après le démantèlement capitaliste de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) le libéralisme a triomphé en tant qu’ordre mondial hégémonique en proclamant la « fin de l’histoire. » Non seulement sous la domination mondiale des intérêts impérialistes des capitalistes mais aussi avec la crise de l’organisation et de l’idéologie dans laquelle se trouve la classe ouvrière, quelles sont les perspectives pour le socialisme aujourd’hui ? La classe ouvrière est-elle toujours la classe qui a l’avenir entre ses mains ? Le socialisme est-il toujours une alternative réelle, une alternative capable de gagner ?
–Les conséquences de la chute de l’URSS ont été catastrophiques. Premièrement, ce fut un désastre pour le peuple soviétique dont les vies se sont effondrées, l’espérance de vie s’est effondrée et le sentiment de mauvais traitements s’est généralisé. Ce choc social dans l’ancienne URSS s’est déroulé avec des commentaires superficiels dans la plupart des gauches. La classe ouvrière de l’URSS s’est vue affaiblie et déçue, on lui a coupé l’accès aux services de base. La vie des femmes s’est détériorée de façon dramatique avec des taux de chômage élevés et des taux de violence élevés, des caractéristiques qui se sont aggravées pendant les années 1990. Je me souviens avoir lu qu’en 1993, à peine 2 ans après la chute de l’URSS, presque les 3/4 de celles qui continuaient à travailler étaient encore qualifiées d’extrêmement pauvres.
La chute de l’URSS, indépendamment des problèmes de l’URSS elle-même, a causé divers problèmes dans la gauche mondiale. Premièrement, comme les États-Unis, les pays capitalistes avancés n’avaient pas les défis politiques et idéologiques d’un pouvoir équivalent, les États-Unis ont pu stimuler un ordre du jour de mondialisation qui a intégré les économies mondiales dans le système du département du Trésor du FMI en tant que corporation multinationale étasunienne. Des centaines de millions de travailleurs de l’ancienne URSS et d’Europe de l’Est ainsi que de la Chine sont entrés dans la force de travail mondiale pour être soumis aux corporations capitalistes mondiales tandis que le FMI obligeait les pays du tiers-monde grâce à appliquer des programmes d’ajustement structurels, à renoncer à leurs lois sur le travail et à leurs unions de secteurs.
Ceci (les nouveaux travailleurs sur le marché du travail capitaliste et la dislocation de la production) a affaibli le syndicalisme qui avait été la principale réserve de pouvoir de la gauche. Deuxièmement, la nouvelle libéralisation du marché agricole, le déclin du crédit agraire subventionné par le Gouvernement, la fin du régime de subventions sur les droits de douane pour protéger l’agriculture nationale et la disparition des ordre du jour de réforme agraire ont affaibli les organisations paysannes. Ces deux choses, avec l’essor des ordres du jour intellectuels postmodernes, ont pénalisé sévèrement la gauche.
Après la crise financière mondiale de 2007, la gauche a commencé à se rétablir un peu. Dans le monde entier, nos forces ont augmenté à mesure que nous commencions à organiser la force de travail précaire et informelle où nous développons notre force avec le secteur du travail des soins de plus en plus organisé et nous construisons une nouvelle confiance dans le domaine intellectuel grâce à notre compréhension générale de l’échec du néolibéralisme pour répondre aux questions que le projet socialiste récemment plus sûr de lui comme celui de Xi Jinping en Chine a pu faire à partir de 2013.
La Chine a aboli la pauvreté extrême durant la pandémie, une réussite sans égal dans aucun État capitaliste. Cela a ouvert un espace pour des discussions sérieuses sur la vitalité des projets socialistes si limités qu’ils soient dans les pays les plus pauvres en opposition au projet capitaliste dans les pays les plus riches. Ceci, avec la croissance d’importants mouvements qui luttent contre le racisme, le patriarcat et l’asphyxie sociale en général nous a obligé à repenser la nature des réserves de la gauche. Notre lutte actuelle croissante indique que nous affrontons un choix : ou nous permettons que l’horreur du capitalisme et l’inhumanité de la droite continuent de donner sa forme au monde ou la gauche doit marquer le début d’une ère de dignité humaine et de meilleures relations avec la nature.
- Maintenant, nous voyons que se déroule un conflit militaire en Europe de l’Est qui s’est intensifiée grâce a l’expansionnisme agressif de l’OTAN. Il existe un intense débat dans la gauche internationale sur la façon de qualifier la nature de ce conflit. Comment doit-on le qualifier ? Que pensez-vous qui est un jeu dans cette guerre, quelles sont ses causes et quels seront ses résultats éventuels ?
- Tant que la Russie a été soumise à l’ordre du jour de l’Atlantique Nord ou ouest pendant l’époque de Boris Eltsine (1991–1999) et les premières années de la présidence de Vladimir Poutine, tout est allé bien. En effet, la Russie a accepté l’OTAN comme « partenaire pour la paix » en 1994 et 10 ans après, en 2004, la Russie ne s’est pas opposée à ce que 7 pays d’Europe de l’Est dont deux, l’Estonie et la Lettonie, sont limitrophes avec la Russie rejoignent l’OTAN. Les deux guerres brutales de la Russie Tchétchénie sous Eltsine de 1994 à 1996 et sous Poutine de 1999 à 2000 ont été bien perçues par l’Occident. Il n’y a presque pas eu de critiques de ce qui se passait en Russie tant que l’autorité politique (Eltsine, Poutine et leurs Gouvernements ) restaient soumis aux États-Unis et à l’OTAN qui est le cheval de Troie des États-Unis.
Après la crise financière mondiale de 2007, les élites russes proches de Poutine ont commencé à reconsidérer leur position pro-occidentale. Les années suivantes, l’Europe a permis aux États-Unis de couper deux de leurs trois principaux fournisseurs d’énergie : l’Iran et la Libye. La Russie est devenue de plus en plus importante pour les marchés énergétiques européens mais la Russie a aussi commencé à fournir de l’énergie et à développer des liens plus étroits avec la Chine. Les gazoduc occidentaux sont devenus intéressant pour les Chinois dont l’investissement a augmenté, ainsi que pour l’Europe.
En 2015, la Pologne c’est unie à la China Road and Belt Initiative (BRI) et l’Italie s’y est jointe en 2019. 17 pays d’Europe centrale et orientale on rejoint la BRI, ce qui a ouvert la porte à un investissement chinois plus important en Europe et à une meilleure intégration euro-asiatique. Les États-Unis se sont opposés à cela. Les États-Unis ont utilisé tous les moyens possibles, y compris le cheval de Troie de l’OTAN, pour obliger l’Europe à rompre ses liens avec la Russie et la Chine et à réaffirmer ses liens avec l’Atlantique Nord. La campagne de pression sur l’Ukraine qui s’était échauffée en 2014 est venue précisément de cela et non de la démocratie ou du contrôle russe ni de rien de ce style. En 2002, les États-Unis s’étaient déjà retirés du traité sur les missiles anti balistiques et quand les États-Unis ont abandonné le traité sur les forces nucléaires en 2019, cela a envoyé un message fort à la Russie disant que les États-Unis pourraient placer des missiles sur ses frontières et la menacer pour la soumettre. Ce sont des mouvements dangereux et déstabilisateurs de la part des États-Unis. Ils ont accéléré le conflit en Ukraine. Maintenant que Joe Biden a dit que Poutine doit tomber, c’est-à-dire qu’il a annoncé que les États-Unis veulent un changement de régime en Russie, la température est très élevée.
- Le 19 mars, c’était l’anniversaire de l’invasion étasunienne et britannique de l’Irak et aujourd’hui se déroule un autre conflit important en Ukraine. Les comparaisons entre ces guerres peuvent apporter la lumière sur certains sujets. Quelles différences et quelles similitudes peuvent sortir de ce débat et que nous dit-il sur le pouvoir et l’impérialisme dans le monde ? Et la question la plus importante reste : a-t-on appris quelque chose dans ces 20 dernières années ?
- Il est évident que la guerre des États-Unis contre l’Irak a fait plus d’1 000 000 de morts. Il n’y a pas eu d’indignation réelle à cause de la destruction de Bagdad en 2003 ou du taux d’homicides à cause des bombardements et de la violence étasuniens. Personne n’a inondé Internet avec des drapeaux irakiens et aucune histoire d’Irakien ordinaire n’a attiré l’attention. Quand le reporter d’Al-Jazira Tarek Ayoub a été assassiné intentionnellement par un char étasunien en avril 2003, personne ne s’es indigné. La situation avec l’Ukraine pourrait ne pas être différente.
Il existe une supposition sous-jacente au fait qu’une guerre à l’intérieur de l’Europe, une guerre dans laquelle les puissances occidentales ne sont pas les adversaires (comme dans la guerre contre la Serbie en 1999) est une guerre terrible, une guerre contre l’Irak, la Libye, le Yémen, l’Afghanistan ou la Somalie est une condition de vie normale. Cela se reflète dans une vision plus large que nous avons de l’humanité. On suppose qu’il est acceptable que les travailleurs de l’Inde, de la Malaisie ou d’Haïti travaillent pour des salaires de misère parce qu’on se dit qu’ils n’ont pas une espérance de vie identique à celle des travailleurs de l’Allemagne ou du Canada. Pour que leur salaire soit supprimé et que leurs super bénéfices soient faits par des corporations multinationales. Cette suppression des salaires considérée comme normale est la même chose que les morts d’Afghans à cause des bombes étasuniennes qui sont considérées comme normales et c’est la même chose que le refus à un réfugié syrien du droit d’entrer en Europe comme les réfugiés ukrainiens qui est aussi considéré comme normal. C’est la « division internationale de l’humanité. » C’est un scandale, évidemment.
- La gauche est sortie dans les rues contre la guerre en Irak. Nous protestons contre la guerre en Libye. Nous protestons contre toutes les guerres de l’OTAN et les guerres patronnées par les États-Unis. Nous protestons aussi contre cette guerre en Ukraine. Mais nous protestons également contre la façon dont les États-Unis et l’OTAN ont accéléré les conditions pour la guerre en la mettant en marche avec un coup d’Etat en Ukraine en 2014 et en permettant que fleurissent dans le pays l’ultranationalisme et les politiques anti démocratiques (y compris l’interdiction des partis de gauche). Mais alors que nous protestons contre l’OTAN, on nous traite de sympathisants de Poutine comme on nous a traités de sympathisants de Saddam et d’Assad etc.
C’est le pouvoir de l’idéologie impérialiste dans la mesure où pendant toutes ces années il a essayé de camoufler sa violence en la déplaçant d’un autre côté, que d’une certaine manière Saddam est pire que Ronald Reagan dont les politiques ont détruit des centaines de millions de vies en Amérique centrale et en Asie centrale ou que Poutine est d’une certaine manière pire que Bush et Biden dont les politiques ont tué plus d’1 000 000 de personnes seulement en Irak. Nous devons être forts et dignes et défendre nos points de vue contre l’idéologie impérialiste. Ils vont tenter de nous diffamer. Nous devons être forts et nous accrocher à la clarté que nous donnent les mouvements populaires.
–Comment ce conflit en Europe de l’Est peut-il définir les nouvelles voies de la géopolitique ? Au milieu de tout cela, quelles connexions vois-tu entre le Moyen-Orient et l’Amérique latine ?
–Il est trop tôt pour voir exactement ce qui sortira de la guerre en Ukraine. Évidemment, le premier problème est que ce terrible conflit va générer une inflation massive des prix des aliments et des combustibles, ce qui aura un impact négatif sur la classe ouvrière du monde. Il reste à voir comment se comporteront les élites russes, si elles sont prêtes à esquiver la tourmente des sanctions ou si elles aimeraient revenir à une meilleure politique d’accommodation avec l’Occident. Tout cela doit être analysé : si Poutine reste ferme ou décide de revenir à son ancienne l’orientation ou d’ouvrir la voie à une personne plus Eltsine (son mandat se termine en 2024).
On devra aussi voir comment réagissent les Chinois puisque l’intégration de la Chine en Occident est importante et que sa propre direction peut ne pas être prête à se mettre du côté de la Russie jusqu’à la fin. Nous devons faire attention à ne pas nous avancer sur l’évidence et à ne pas permettre que des illusions guident notre analyse. Nous ne sommes pas tellement près du commencement d’une ère de multi-polarité. Ce que nous voyons, c’est la division du pouvoir des États-Unis et la naissance d’une nouvelle période. Il est difficile à prédire complètement comment sera cette période.
Évidemment, on doit être prévenu en Amérique latine. À mesure que la région commence à développer des liens avec La Chine comme l’incorporation de l’Argentine à « L’initiative de la bande et de la route » en 2021, Washington fera pression pour briser le lien. Le soutien tiède à la position des États-Unis sur l’Ukraine donne lieu à beaucoup de réponses des Etats latino-américains, ce qu’il faut attendre. La route de Washington vers Caracas pour voir s’il peut changer l’équilibre des forces en rompant les liens entre la Russie et le Venezuela a été une représentation intéressante de la fragilité de Washington.
Traduction Françoise de Lopez pour Bolivar infos
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