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Mexique : Dans le Mexique d’AMLO, il y a un changement profond

17 Septembre 2022, 17:47pm

Publié par Bolivar Infos

Interview de l'écrivain activiste Paco Ignatcio Taibo II par Geraldina Colotti,

 

 

 

Concernant la révolution bolivarienne, l'écrivain et activiste Paco Ignacio Taibo II que nous vous avons contacté au Mexique pour cet interview exclusive a les idées très claires : « Contre le Venezuela, dit-il, on a pratiqué un terrorisme brutal et une persécution médiatique sans précédent. »

 

Francisco Ignacio Taibo Mahojo, né en 1949, connu comme Paco Ignacio Taibo II est un auteur primé d'origine hispano-mexicaine.

 

Passionné de romans policiers, il a écrit d’excellents romans noirs dont le héros est le détective Héctor Belascoarán Shayne. Le premier, « Jours de combat » a été publié en 1976. Sa passion pour le genre l’a incité à fonder en 1986 l'Association Internationale des Ecrivains des romans Policiers (ALEP) avec le Mexicain Rafaël Ramirez Hérédia, les Cubains Rodolfo Perez Valéro et Alberto Molina, non mongolienne Daniel Chavarría, le Russe Yulián Semiónov et le Tchèque  Jiri Prochazka. En 1988, il a organisé le festival multiculturel Semaine Noire de Gijón, auquel ont assisté des milliers d'écrivains de romans policiers, historiques, fantastiques et de science-fiction.

 

Mais son œuvre littéraire ne s'est pas limitée au genre policier. Il a aussi écrit des romans historiques, des contes, des bandes dessinées, des reportages et des essais traduits dans de nombreuses langues. Des livres indispensables dans le catalogue éditorial de plusieurs pays de l'Europe à l'Amérique latine. Parmi ceux-ci, la biographie du Che, le best-seller  de toutes les publications sur la vie du révolutionnaire cubano-argentin ou la trilogie « Patrie » sur  le passé du Mexique qui illumine son présent.

 

Depuis 2019, il dirige le Fonds de Culture Economique, une des maisons d’édition les plus importantes du Mexique et d'Amérique latine et travaille au Gouvernement de Manuel López Obrador (AMLO).

 

–Quel pays est le Mexique aujourd'hui ?

 

Il s'est produit un changement politique profond du plan économique au plan social et culturel. Aujourd'hui, il y a un Gouvernement clairement de gauche qui veut servir les intérêts de la majorité des Mexicains mais qui doit composer avec un appareil légal, bureaucratique et vicié hérité du passé. Nous faisons partie de l’aile la plus radicale de la coalition de gouvernement. Le Fonds de Culture Economique me permet d'être qui je suis et de continuer à faire ce que je fais. Sous la direction d’Andres Manuel, nous avons déchaîné toute la force inhérente au nouvel État pour faire des choses incroyables dans le monde du livre, pour permettre que le plus grand nombre possible de citoyens ait accès à la lecture, en rompant les schémas traditionnels de distribution et en rapprochant le livre directement des mains du lecteur  sans le laisser sur les étagères des institutions. Nous avons distribué plus de 5 000 000 de livres gratuitement. Pour cela, nous avons créé un réseau de librairies en baissant le prix des volumes et en inventant de nouvelles collections et des solutions originales comme les moto-librairies ou librairies ambulantes. Et nous avons ouvert plus de 10 000 salles de lecture dans lesquelles on organise des activités tous les jours. Un effort titanesque. Un des outils les plus puissants sont les ateliers de livres d'histoire. Malgré l'infrastructure très corrompue héritée de l'époque du PRI, à nous, au Mexique, il nous a été facile de concevoir une perspective latino-américaine de la lecture qui est en train de se renforcer. Nous avons ouvert des librairies dans pratiquement tous les pays d'Amérique latine du Chili au Venezuela avec la chaîne Librairies du Sud. Maintenant, nous sommes en train d'en ouvrir une à Cuba, trois autres en Colombie, au Honduras, en Équateur, en Bolivie, au Guatemala… En latinisant le débat, nous brisons le monopole éditorial de l'Espagne qui a voulu décider de ce qu'on doit lire sur notre continent.

 

  • Un effort qui rappelle celui fait par Chavez avec la Révolution Bolivarienne et qui a été continué aujourd'hui par Nicolas Maduro dans le cadre de ce que dit José Marti : « Etre cultivé pour être libre. » Après l’étoile de Cuba, le Venezuela est un laboratoire de culture populaire dirigé par la démocratie participative et agissante. Mais on te demande toujours de prendre tes distances avec le Gouvernement bolivarien à l'intérieur et hors de l'Amérique latine. Quel est ton opinion ?

 

Contre le Venezuela, on a exercé un terrorisme brutal et un véto de l'information sans précédent. Nous voulons ignorer que c'est le seul pays dans lequel le chavisme gagne les élections chaque fois, des élections transparentes et vérifiables. Mais, à cause de l'asphyxie économique, des « sanctions », des accusations de trafic de drogue et de terrorisme, on a voulu en faire un spectre dont toute l'Amérique latine doit se protéger. On a même inventé une nouvelle étiquette pour discréditer le socialisme bolivarien et les Gouvernements populaires : populisme. Quand, en Europe, on me demande si je suis populiste, je réponds : allez à la racine du concept. Oui, je suis populiste, pas vous? vous êtes anti-populaires ? On peut critiquer n'importe quel Gouvernement, je pense que les pays progressistes ont aussi besoin d'une critique de gauche, pas seulement de droite, mais le fait est que le Venezuela a un rôle essentiel pour le continent et pour la politique latino américaine. Encore plus maintenant qu'il commence à briser le blocus après avoir supporté des conditions terribles et qu'il va pouvoir profiter de la très importante victoire de  Petro  en Colombie ainsi que du rôle d’AMLO au Mexique.

 

  • Mais AMLO semble avoir une idée de l'intégration latino-américaine quelque peu différente de la conception de Fidel et de Chavez. Il a évoqué un corps qui ressemblerait plus à l'Union Européenne d'origine, qui pourrait également inclure l'Amérique du Nord. Est-ce qu’il en est ainsi?

 

La géopolitique est compliquée. Pour avancer, le Mexique a besoin d'avoir une relation de non agression avec les États-Unis, pour cela il doit négocier et renégocier en disant constamment aux Nord-américains: « Ne vous en mêlez pas, ne vous en mêlez pas » et de maintenir à distance les multinationales qui sont le fer de lance. L'empire ne se limite pas à l'ambassade des États-Unis mais il est composé par des entreprises minières qui veulent contrôler la production d'électricité, de lithium et de gaz. Dans une perspective mexicaine, il s'agit de la façon dont Andres Manuel affronte la proximité du monstre. Il y a une tradition anti-impérialiste quelque peu schématique qui voit les États-Unis comme un bloc. Mais non, c’est un fouillis de  contradictions dont il faut profiter. Il sont ainsi de toute part. Par exemple, s’ils nous disent : « Nous devons lutter contre les talibans, » je suis d'accord. C'est un projet de régression historique très dangereux qui en arrive à des formes de barbarie machiste et tribale du fondamentalisme religieux. Mais nous ne pouvons pas le faire à la manière nord-américaine en bombardant mais en cherchant une alliance avec les codes progressiste locaux. Par contre, ils pourraient être « bombardés » de vieux films de cinéma noir comme « Gilda » interprété par Rita Hayworth pour enchanter le talibanisme…

 

–Avec la victoire de Pétro en Colombie, une seconde vague progressiste semble être revenue en Amérique latine qui continue à être un continent en litige non seulement au niveau électoral mais aussi au niveau du pouvoir populaire. Quels espace y a-t-il pour que cette seconde vague soit irréversible ?

 

Le plan électoral est devenu un élément très important de la lutte, il a changé l'équilibre du pouvoir en Amérique latine. Il y a 10 ans, il aurait été impensable qu'il y ait 10 Gouvernements de gauche ou de centre-gauche qui aient des ponts entre eux mais nous ne devons pas ignorer que ces victoires électorales  t’amènent souvent au Gouvernement mais ne te donnent pas le pouvoir en t’empêchant de convertir les succès électoraux en programmes politiques. Nous avons besoin d'une organisation sociale trans-étatique qui accompagne les Gouvernements sans se laisser absorber par les fonctions de l'État mais en les combinant avec l'organisation populaire. Pour cela, même les éléments symboliques et la bataille des idées ont une grande importance d’unification.

 

– Comme l'épée de Bolivar qui a mis le feu au débat après le geste arrogant du roi d'Espagne quand Pétro a été investi ?

 

L'absolue ignorance des problèmes de l'Amérique latine par l'élite espagnole s’est à nouveau révélée au grand jour. Le concept d'une Grande Patrie unie pour un destin commun libérateur est un objectif  anti-impérialiste qui unit les peuples de la Patagonie aux Grand Lac des États-Unis où les communautés hispanophones sont majoritaires. Il faut amener le débat aussi au niveau éthique et moral, pas seulement au niveau économique : la révolution semble impossible mais elle est nécessaire, les changements ne peuvent être différés, les pauvres sont la majorité mais il y a aussi des pauvres de droite, des conservateurs, la pensée conservatrice s'est également introduite dans notre peuple et a produit des conséquences surprenantes… Amener la réflexion sur le terrain symbolique est essentiel. En ce sens, bienvenue à l'épée de Bolivar.

 

  • Ton dernier livre, publié par la maison d’édition Planète Mexicaine s’intitule « La Liberté. » Il tresse des histoires pour l'histoire. Parmi les personnages se trouve un général soviétique, un syndicaliste intrépide, un journaliste–symbole et un révolutionnaire vénézuélien professionnel, Carlos Aponte. Mais il y a aussi des figures qui se sont opposées à la voie de la liberté en se plaçant dans le camp opposé. De quelle liberté parlons-nous dans ce livre ?

 

Mes livres sont le résultat d'une rigoureuse investigation historique de large spectre, un travail de plusieurs années que je réalise en solitaire pour éviter les filtres, les censures ou les interférences. Sur Carlos Aponte, plus connu à Cuba qu'au Venezuela, je n'avais presque rien, j'ai dû énormément enquêter pour restituer cette splendide figure de révolutionnaire professionnel: le meilleur, capable de se mettre dans le pétrin et d'organiser une révolution en se dépensant soi-même jusqu'à son dernier souffle. À mesure que j'avance, plus de personnes entrent  en scène et demandent à sortir au grand jour parce qu'ils sont prêts à être racontés alors que d'autres restent inachevés. C'est aussi le cas pour ce livre. Pendant les premiers mois de la pandémie, j'ai découvert que le temps s'était étendu pour moi, je voyageais moins dans le pays et à l'étranger, j'avais toute la nuit de disponible. Je me  concentrai, je vis que le livre était mûr. Au moment de rassembler le matériel, je me trouvais avec 15 personnages de différents courants de gauche qui, dans différents contextes est dans diverses circonstances, on risqué leur vie pour la liberté. J'en ai laissé certains de côté en les considérant comme incomplets et j'en ai sélectionné 13 mais je ne me suis pas rendu compte qu'avec des figures qui apparaissait dans leur côté lumineux, il y en avait d'autres qui  montraient un côté obscur, fougueux ou délirant en contraste flagrant avec ceux qui ont joué leur vie pour la liberté : un livre à deux visages, en définitive. Je me suis demandé : est-ce que je centre le livre sur la liberté ou est-ce que j’y incorpore les histoires qui me plaisent ? J'ai choisi de croiser deux livres, l'un sur l'axe de la liberté et l'autre basé sur la bataille pour bien raconter l'histoire. Notre défi aujourd'hui, c'est de convaincre les adolescents que l'histoire peut être émouvante. À cette époque de la vie, la liberté a à voir avec ma relation avec le lecteur, la façon dont je rends compte au lecteur.

 

- Et que demandent les jeunes lecteurs à l'époque digitale ?

 

Le débat sur le livre imprimé et le format digital est un faux débat.Nous, au Mexique, nous avons besoin du digital pour entrer dans les bibliothèques avec une offre gratuite, à la base avec des essais éducatifs, pour cette petite portion de lecteurs qui lisent sur des tablettes ou sur des ordinateurs. Sur le mobile, un adolescent ne lit qu’une nouvelle, un poème ou une note. Nous devons l'amener au livre imprimé. Pour les autres, il n'y a pas deux jeunes identiques. Quand je signe un livre que ce soit dans une librairie ou pendant une grève, je rencontre beaucoup de jeunes lecteurs et aussi de vieux qui me suivent depuis des années. Le défi est la façon de les aider à rompre le cercle de la facilité, de la communication digitale rapide qui a certainement de grandes vertus, y compris les outils pour contrecarrer les fausses nouvelles diffusées par la droite conservatrice qui envahissent nos vies mais qui peuvent lui coûter la profondeur. Nous ne devons pas renoncer à la rapidité mais engager un débat quotidien avec des jeunes et des adultes pour l’approfondir.

 

  • Comment faire pour que les lecteurs se passionnent pour l'histoire ?

 

Si tu veux tirer de l'histoire  des leçons qui existent toujours, tu dois te dépouiller du passé immédiat pour éviter le risque de littérature pédagogique, de lectures simplistes ou de messages politiques directs, de clichés et de schémas. Il faut avoir de la rigueur et de la profondeur dans l'histoire racontée mais aussi permettre au lecteur de récupérer la partie de l'histoire qu'il aime le plus, d'apporter ses propres interprétations même si elles ne coïncident pas avec les intentions du narrateur. Dans ce livre, l'élément clé est la curiosité qui permet de rendre compatibles  les personnages avec l'histoire en général en évitant de tomber dans le piège des portes latérales qui conduiraient à affronter de gigantesques problèmes historiques qui apparaissent tout à coup dans le cours de l’histoire et essaient de t’attirer.

 

–« La Liberté » raconte aussi l'histoire du Syndicat des Locataires dans les années 1920 dans l'état de Vera Cruz  qui est considéré à présent comme une fosse commune. La réalité dépasse la fiction dans une imbrication  perverse entre les intérêts politiques et les affaires criminelles. En tant qu'activistes et écrivain de romans noirs comment lis-tu cette réalité aujourd'hui ?

 

Quand je suis entré dans la dernière ligne droite de cette œuvre, la maison d’édition et les lecteurs ont fait pression sur moi pour que j'écrive une autre histoire mexicaine après le succès de « Patrie », le livre consacré au libéralisme mexicain qui continue à se vendre beaucoup mais j'ai choisi d'avoir la liberté de raconter sans règle des personnages qui surgissent de différents contextes, y compris le mexicain, mais pas seulement. Souvent, il faut renoncer aux grands thèmes pour les raconter en détail. La violence au Mexique est un problème complexe sur lequel on doit enquêter à fond dans les replis du passé. En tant que journaliste et narrateur, pendant ces dernières années, je me suis beaucoup occupé, même avec deux documentaires, de l'histoire des 43 normaliens d’Ayotzinapa disparus en 2014. Aujourd'hui, Andres Manuel a réussi à renverser le mur de désinformation qui avait été construit autour de cette affaire en confirmant les soupçons que nous avions et en indiquant que le temps de l'impunité pour les assassinat d'État était terminé. Il n'est pas certain que la réalité dépasse la fiction, très souvent la fiction révèle la face cachée de l’iceberg.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/09/16/cultura-entrevista-exclusiva-al-escritor-activista-paco-ignacio-taibo-ii-en-el-mexico-de-amlo-se-esta-gestando-un-cambio-politico-profundo/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/09/mexique-dans-le-mexique-d-amlo-il-y-a-un-changement-profond.html