Brésil: Dormir avec l’ennemi
Par Alberto López Girondo
La première chose qu'on devrait se dire, c'est que la victoire de Lula da Silva calme les esprits. Mais la photo a montré que le Brésil est divisé juste au milieu. Que le résultat, bien qu'il soit suffisant pour arriver au Planalto, est plus que serré. Et que Lula devra s'habituer à dormir avec l'ennemi. Que c'est un ennemi qui ne va pas lui rendre les choses faciles et un ennemi, en outre, qui a construit un encadrement qui ne pourra pas être sous-estimé. Il ne sert à rien de dire aujourd'hui que cela a été construit sur le fait d'avoir exclu deux fois le président grâce à une opération de harcèlement judiciaire en 2018. C’est le présent qui commande.
Et le présent dit crûment que non seulement Jair Bolsonaro et les « Bolsomignons » feront du raffut contre lui mais que des secteurs pentecôtistes et des forces armées qui ont été de grands soutiens du président actuel, et même la police qui, comme elle l'a prouvé ce dimanche, n'a pas hésité à arrêter tous les électeurs du dirigeant syndical pour qu'il ne puisse pas être élu en feront aussi.
Pour commencer, le nouveau gouverneur de Sao Paulo sera Tarcísio de Freitas, 47 ans, ingénieur diplômé de l'académie militaire des Aigles Noirs qui a participé à la mission en Haïti ordonnée par le président Lula en 2004, a ensuite occupé des charges correspondant à sa spécialité sous les Gouvernements du PT et a été ministre des infrastructures de Bolsonaro.
Pour le bolsonarisme, Sao Pablo est la victoire la plus précieuse puisqu'à partir de là, il va consolider une forte expression de l'opposition au nouveau président. Ce n'est pas rien, c'est le district le plus peuplé et le plus puissant du pays, le siège des grands capitaux économiques et financiers, qui a chanté les louanges de Bolsonaro et lui a donné 11 points d’avance sur Lula aux élections présidentielles.
Le scénario au Congrès n'est pas plus prometteur. Jamais le PT n'a eu le contrôle des chambres législatives mais c’était la première minorité et Lula a été un grand coordinateur d’alliances. C’est souvent, le prix à payer pour avoir dû prendre certains alliés circonstanciels qu'il aurait mieux valu ne pas trouver sur son chemin.
Cette fois, il aura environ 10 % des législateurs au Congrès mais le bolsonarisme proprement dit (le Parti Libéral, PL) a gagné 22 sièges de plus à la chambre basse qui comprend 513 députés et où maintenant il aura 99 sièges alors que le PT n’en aura que 68. Au Sénat, le PL a obtenu 14 sièges contre 9 pour le PT mais les partis les plus identifiés comme de droite ont largement plus de 50% des sièges dans les deux chambres.
C'est dire que la droite est en condition de bloquer toute initiative ou même d'avancer vers un scénario de destitution comme c’est arrivé contre Dilma Rousseff en 2016. Penser que le bolsonarisme est différent du fujimorisme qui harcèle Pedro Castillo au Pérou depuis le jour de son élection est également illusoire. Évidemment, Lula a le cuir dur et le tour de main expert mais ces secteurs extrémistes ne se caractérisent pas par leur acceptation des négociations.
En tout cas, le vice-président élu, Geraldo Alckmin, qui a également été gouverneur de Sao Paulo de 2011 à 2018 ne devrait pas s’abaisser à être une carpette lors d'une éventuelle attaque destituante. Membre du PSB (Parti Socialiste Brésilien), Alckmin dans la pratique, a mené des politique de centre-droite et accompagné le PSDB pendant plus de 20 ans mais il n'aura pas grand-chose à gagner s’il cède comme l’a fait Michel Temer il y a six ans. À 69 ans, ce médecin lié à l’origine à l'Opus Dei peut encore aspirer à une carrière politique propre et ne pas se diluer comme c'est arrivé au vice-président de Dilma qui à ce moment-là avait 76 ans et n’a pas fait la fine bouche pour se retirer de la politique.
Ce dimanche, il y a eu aussi des ballottages pour l'élection des gouverneurs dans 12 états. En plus de Sao Paulo, il y a eu des élections à Rio Grande du sud où le bolsonariste Onyx Lorenzoni est tombé contre Eduardo Leite, réélu pour le PSDB. Le candidat du PT Jerónimo Rodrigues Souza a gagné à Bahía tandis que Raquel Lyra, du PSDB, a vaincu à Pernambuco Marilia Arraes qui avait le soutien du PT.
Les quatre états du Nord-est restent aux mains du PT (Bahía, Ceará, Río Grande do Norte et Piauí). Le Parti Unión Brasil, fondé en 2021 sur la base de groupes de centre-droite a obtenu 4 autres postes de gouverneur. Avec 59 députés et 10 sénateurs, c'est lui qui peut faire pencher la balance dans tout différend de position. Personne ne peut prévoir ce qui arrivera de bon pour le futur parti au pouvoir mais il faudra voir. Avec Bolsonaro, ils ont su s’adapter.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol:
https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/10/31/brasil-durmiendo-con-el-enemigo/
URL de cet article:
http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/11/bresil-dormir-avec-l-ennemi.html