Amérique latine : La présence militaire croissante de l'OTAN en Amérique latine (III et fin)
Par Sergio Rodríguez Gelfenstein
Guatemala
Bien qu'en 2021, le Congrès des États-Unis ait mis un décret qui a interdit l'entrée de fonds pour les armées du Guatemala, du Salvador et du Honduras tant qu'il n'y aura pas d'amélioration dans la lutte contre la corruption, le département de la défense (DOD) a utilisé un subterfuge pour se moquer de cette décision en utilisant une partie qui n'est pas restreinte.
Le don de véhicule militaire J8 que les États-Unis ont fait au Gouvernement du Guatemala pour combattre le trafic de drogue a en réalité été utilisé pour apporter une protection de périmètre à des agents de sécurité privée que ont brûlé des maisons de paysans à El Estor, Izabal, en 2021. Ce don s’est inscrit dans le programme de financement militaire étranger (FNF), le programme d'assistance militaire le plus important approuvé par le Congrès. Ainsi, en 2018, le Gouvernement de Jimmy Morales l’a utilisé pour menacer l'ambassade des États-Unis elle-même et la commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICG) née d'un accord entre l'ONU et les autorités du pays.
Quelques années plus tard, le Congrès des États-Unis a limité les dons de véhicules à l’armée guatémaltèque à cause des antécédents concernant leur utilisation. Déjà, sous l'actuel Gouvernement de Alejandro Giammattei, 9 membres du congrès démocrates ont demandé des explications au Gouvernement de Biden mais la réponse a été le silence face à la décision des forces armées des États-Unis de renforcer l'armée guatémaltèque.
Dans ce contexte, le 13 octobre dernier, l'ambassade des États-Unis à Guatemala Ville, a annoncé le don de 95 véhicules dont des camions, des camionnettes et des motocyclettes don estimé à 4 400 000 $. Selon le site Presse Communautaire, l'origine de cette argent est une partie du budget du département de la défense approuvé en 2019, sous le Gouvernement du président Donald Trump.
Le chercheur Adam Isacson, sur le site du bureau à Washington pour les affaires latino-américaine (WOLA), affirme que « ce don a été financé grâce a une autorité de construction de capacité militaire étrangère, du DOD établi en 2017 comme Section 333 du titre 10 du code des États-Unis. »
Un rapport du service d'investigation du Congrès (CRS) en date de mars 2022, fait savoir que « le budget d'opérations pour l'année fiscale 2021 interdit l'aide au Guatemala, au Salvador et au Honduras et fixe des conditions pour 50 % des autres assignations du département d'État en relation avec la sécurité pour que les Gouvernements de ces pays dont combattent la corruption, protègent les droits de l'homme et s’occupent d'autres préoccupations du Congrès. »
Isacson affirme qu'on utilise « un programme du DOD pour fournir une catégorie d'aide que le Guatemala ne peut pas recevoir à travers le principal programme d'aide militaire du département d'État » et qu'on utilise un budget alternatif pour financer l'armée du Guatemala en passant au-dessus les limitations établies par le Congrès que le DOD n'a pas reconnues et n'a pas prises en compte.
Le Panama
Un octobre de l'année dernière, la générale Richardson est arrivée au Panama lors de son second voyage dans le pays en moins de cinq mois. À cette occasion, le motif de sa visite était la réalisation d'une « réunion bilatérale sur la sécurité. » Dans son premier voyage de l'année, en juin, la chef du Commandement Sud avait discuté avec les autorités panaméennes de problèmes concernant la sécurité et la crise migratoire dans la région. De même, elle avait participé au dialogue de sécurité de haut niveau (DSN), entre le Panama et les États-Unis, qui a eu lieu dans ce pays.
Le problème migratoire avait occupé le centre des délibérations quand le Panama affrontait une crise dans ce domaine. Dans ce contexte, seulement quelques jours auparavant, aux États-Unis, était entrée en vigueur une nouvelle politique qui l'égalisait l'expulsion de citoyens vénézuéliens qui cherchaient à entrer par la frontière terrestre avec le Mexique, ou qui étaient arrivés de façon illégale au Panama.
À ce sujet, la directrice du Service National de Migration (SNM) du Panama, Samira Gozaine, a fait savoir « qu'ils demandaient à l'ambassade des États-Unis de nous aider, de nous assister économiquement comme ils le font pour d'autres pays. Pour les États-Unis, la crise migratoire provoquée par leur propre politique est devenue une grande opportunité d’intervention et d’ingérence « légale » dans les affaires intérieures des pays de la région.
Le Brésil:
Pendant une visite au Brésil en septembre de l'année dernière, la générale Richardson a déclaré qu'elle avait « une ébauche » de force militaire conjointe entre son pays et le Brésil avec des hélicoptères pour soi-disant lutter contre les incendies dans la forêt amazonienne.
Selon l'analyste uruguayen, Luis Vignolo, « cette information est passée très inaperçue, peut-être pas par hasard, alors que les médias dominants regardaient dans d'autres directions. » Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y a eu de forts rapprochements dans le domaine militaire entre les deux pays sous le gouvernement de Jair Bolsonaro. Trois mois auparavant, lors du IXe sommet des Amériques qui a eu lieu à Los Angeles, Californie, du 6 au 10 juin, le Brésil et les États-Unis ont annoncé un groupe bilatéral de réponse rapide pour combattre la déforestation de l'Amazonie brésilienne pour lequel a été créé un groupe de travail de haut niveau composé par des autorités des deux pays.
Comme précédent, en août 2019, Donald Trump avait désigné le Brésil comme « allié préféré des États-Unis hors de l'OTAN », pour le bon plaisir de Bolsonaro, et de son vice-président, le général à la retraite, Hamilton Mourão. Selon Vignolo, «Mourão a fait référence dans ce cadre au rôle des forces armées brésiliennes en tant que garantie face à la prise de pouvoir par ceux qu'il considère comme des ennemis, ce qui a pu être considéré comme un avertissement envers l'opposition au Gouvernement de droite. »
L'irruption violente de bandes fascistes quelques jours après la l'investiture de Lula, comme cela s'était passé deux ans auparavant à Washington avec l'action des partisans de Trump et l'attitude des forces armées face à cet événement ont semblé indiquer quel serait le comportement des militaires dans l'action des fonctions présidentielles de Lula en provoquant une menace acceptée par les secteurs les plus réactionnaires de l'establishment étasunien et par d'importants secteurs de leurs forces armées qui considèrent leurs homologues brésiliens comme d’importants alliés pour le contrôle stratégique de la région.
Lula devra affronter les intérêts étasuniens et européens sur l'Amazonie. Surtout maintenant que son « déplacement », vers des positions du centre l’a fait se rapprocher du parti démocrate qui contrôle le Gouvernement aux États-Unis et de la social-démocratie européenne qui gouverne dans des pays comme l'Allemagne et l'Espagne, avec ceux qui ont établi des relations privilégiées qui pourraient faciliter le rapprochement de leurs forces armées et du Brésil pour une soi-disant « gestion soutenable » de l’Amazonie. En effet, Lula les a, déjà invité à « investir » dans des projets écologiquement soutenables dans la région et a affirmé que cela se ferait en respectant la souveraineté brésilienne mais on a pas beaucoup de détails à ce sujet.
L’analyste et, écrivain Andrew Korybko bien informé qui a beaucoup enquêté sur les « guerres hybrides » a prévenu qu'une « fraction du PT pourrait être utilisée par les États-Unis pour leur but d'ingérence. » Il a aussi manifesté son opinion concernant le fait que l'intervention des États-Unis au Brésil ne cessera pas sous le nouveau Gouvernement de Lula mais changera de forme en assumant une sorte de « déstabilisation radicale » pour donner des prétextes à l'OTAN pour intervenir et « sauver », un Lula politiquement affaibli. »
Korybko pense que « tous les éléments pour une déstabilisation totale du Brésil sont servis, si on tient compte des problèmes structurels de l'économie, du faible poids parlementaire du parti au Gouvernement et de la sérieuse polarisation dans la rue entre les partisans de Bolsonaro et les partisans de Lula. »
La Bolivie
Le plan sécessionniste en Bolivie date de longtemps. Il a eu un moment de réalisation après le coup d'Etat soutenu par les États-Unis contre le président Evo Morales en 2019 et récemment il a rebondi de façon violente avec la « grève civique » organisée par un groupe paramilitaire fasciste du département de Santa Cruz qui fait partie de l'Amazonie bolivienne qui constitue 43 % du territoire national.
L'agent principal de la politique des États-Unis contre la Bolivie a été Marc Falcoff, le conseiller du Gouvernement Bush pour l'Amérique latine. Dans son article « Les derniers jours de la Bolivie ? » publié sur American Outlook en mai 2004, Falcoff « a prédit », la division ethnique de la Bolivie après la vague de soulèvements populaires qui ont débouché sur le renversement du président Sanchez de Losada en 2003.
Dans son article, Falcoff écrit: «… Un fait fondamental sur la Bolivie est de savoir que c'est une société divisée le long de deux grandes lignes de fracture : la race et la géographie. » Falcoff oppose la situation dans la « Bolivie andine, pauvre, avec des cultures de coca destinées à fabriquer de la drogue, violente, sous-développés et turbulente et la prospère Santa Cruz, qui, en générant 50 % des revenus du pays recevait seulement « un petit pourcentage » des bénéfices générés par le pétrole et le gaz. »
C’est pourquoi Falcoff recommande une nouvelle Constitution qui devrait « remédier à la nécessité de décentraliser l'autorité et les ressources », accompagnée d'une « véritable tentative de solution fédérale avec une redistribution régionale des ressources et une politique énergétique rationnelle. »
Dans cette logique, se sont inséré le plan qui est devenu le coup d'Etat contre Evo Morales et la récente tentative fasciste pour répéter la chose bien que maintenant on ait fait des modifications dans les opérations sans changer l'objectif de renversement du Gouvernement. Dans l'objectif du Pentagone se trouvent, comme l’a fait savoir ouvertement la générale Richardson, les gigantesques gisements de lithium situés non dans la zone de l'Amazonie du pays mais dans l'Altiplano Andin. L'exploitation et ensuite l'industrialisation du lithium par des entreprises étrangères non étasuniennes inquiète Washington qui ne cesse pas de chercher à déstabiliser le pays.
Le Pérou
Le 18 janvier 2023, la présidente du Pérou, Dina Boluarte es le premier ministre Alberto Otárola ont adressé à José Daniel Williams, le président du Congrès de la République une communication dans laquelle ils lui ont demandé son approbation pour autoriser « l'entrée d'unités navales de personnel militaire étranger avec des armes de guerre à l'intérieur de la république. » Cela doit être lu comme l'entrée de forces militaires des États-Unis à un moment de grandes mobilisations contre le Gouvernement qui a renversé le président Pedro Castillo et usurpé le pouvoir, ce à quoi ont résisté d'importants secteurs de la population qui ont été soumis à une forte répression. Ces actions ont eu le soutien clair et ouvert de l'ambassade du Gouvernement des États-Unis.
Le Mexique
Alors que je terminais ce travail est arrivée l'information que de représentants du parti républicain des États-Unis, Dan Crenshaw et Michael Waltz, ont présenté au Congrès de leur pays un document destiné à autoriser les forces armées à réaliser des opérations contre les cartels mexicains sans avoir l'approbation du Gouvernement de ce pays.
Le président Andrés Manuel López Obrador a rejeté la possibilité que les États-Unis décident « qui est le bon et qui est le méchant », en s’instaurant lui-même « Gouvernement du monde » avec la possibilité d'intervenir par la force dans n'importe quel pays de la planète.
Conclusion
Pour finir, il faut prendre en compte le fait que l'adoption par les États-Unis de leur nouveau concept militaire de « dissuasion intégrée » dans lequel ils manifestent de soi-disant « valeurs partagées » avec l'Amérique latine qui, en réalité, n'existent pas est destiné à incorporer les pays de la région à leur guerre contre la Chine et la Russie.
Cette «dissuasion intégrée » est une sorte de regroupement des ressources des pays d'Amérique destiné à combattre un ennemi soi-disant commun. Washington appelle à « l'unité » pour affronter celui qu'il a défini unilatéralement comme l'ennemi qui n'est pas nécessairement le même pour l'Amérique latine et les Caraïbes qui doivent bien plus parier sur la neutralité et la recherche de la paix.
La chef du commandement sud a affirmé avec beaucoup de précision en Equateur: « l'avancée de la Chine est un problème de sécurité nationale. » Elle a ajouté que les États-Unis, l'Amérique latine et des Caraïbes devaient « travailler ensemble comme une équipe en jouant dans nos positions respectives de manière harmonieuse et hautement efficace pour résoudre ce problème. »
Comment la vue, les instruments sont variées, les actions ont différentes dimensions et caractéristiques, mais tout vise à maintenir la région sous le contrôle stratégique de Washington.
Note cet article n'a pas tenu compte des actions interventionnistes des États-Unis à Cuba, de Nicaragua et au Venezuela parce que celles-ci ont été permanentes et continuent depuis plus de 60, 40 et 20 ans respectivement. Chacune d'elle mériterait un rapport spécial.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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