Brésil: Un veto suicide
Par Atilio A. Boron
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
L'impardonnable veto du gouvernement brésilien à l'entrée du Venezuela dans les BR ICS plus n'est pas une surprise. Des racines très profondes opposent les projets régionaux et internationaux d’Itamaraty à ceux du Gouvernement bolivarien. Ce conflit, souvent latent, manifeste en d'autres occasions, s’est produit avec l'indépendance de ce que Lula pensait pendant ses premières huit années de gouvernement. Après beaucoup de frictions diplomatiques, ce qui est sûr, c'est que les relations entre Brasilia et Caracas s'étaient normalisées après la défaite de la ZELA en novembre 2005.
Mais les rancunes entre les deux Gouvernements, et en particulier leurs chancelleries respectives, étaient comme ces braises couvertes de cendre, apparemment éteintes, mais qu'une simple brise suffit à raviver. Et le vent a soufflé avec force dans les steppes de Kazan.
Pour les diplomates du sur impérialisme brésilien.–je fais appel à ce qualificatif de Ruy Mauro Marinli– la position internationale de Chavez, son infatigable hyperactivité et le ton fortement anti-impérialiste de son discours et de sa pratique concrète ( avec la création de PÉTROCARIBE, par exemple) ont provoqué dès le début une répulsion mal dissimulée parmi les cadres dirigeants d’Itamaraty.
Il faut tenir compte du fait que, à la différence de la grande majorité des pays, « l'autonomie relative », dont jouit la chancellerie dans l'appareil d'État brésilien fait que ses décisions et ses propositions prévalent souvent sur celles que pourrait adopter le président de service, en particulier, quand celui-ci est un civil. Cette puissance bureaucratie sub-impériale règle sa conduite sur un axiome : la coïncidence, l’accompagnement (ou au moins le non affrontement) de la politique étrangère des États-Unis.
L'objectif de cette tactique d'alignement sur Washington est de préserver la stabilité d'un ordre néocolonial en Amérique du Sud et, dans la mesure du possible, d'éviter l’apparition de Gouvernements anti-impérialistes ou, quand c'est impossible, d'agir comme agent de modération. En rétribution, la Maison-Blanche accorde sa bénédiction à l'autorité du Brésil dans la région et lui ouvre même les portes pour placer ses représentants dans certains domaines de l'échafaudage institutionnel de l’après-guerre, comme l'Organisation Mondiale du Commerce, par exemple.
C'est pourquoi l'action internationale croissante de Hugo Chavez a soumis le pacte signé entre Brasilia et Washington à de fortes tensions. Pendant une bonne partie du premier mandat de Lula (2003–2007), les collisions entre Caracas et Brasilia ont été impossibles à cacher. Le Gouvernement républicain a demandé à maintes reprises à Brasilia d'intervenir pour calmer les eaux que le dirigeant bolivarien agitait et qui, peu de temps après, allaient reprendre de la vigueur avec l'avancée du premier cycle progressiste et les élections qui ont catapulté à la présidence des personnalités comme Evo Morales, Rafael Correa, Cristina Fernández, Fernando Lugo, Tabaré Vázquez et « Mel » Zelaya, et plus tard avec la création de l’UNASUR). Washington est allé jusqu'à demander à Lula de « calmer » Chávez en envoyant Condoleezza Rice au Brésil pour intercéder auprès du dirigeant bolivarien afin que Caracas ne dénonce pas l'accord de coopération militaire entre les États-Unis et le Venezuela signé il y a une trentaine d'années et, en outre, pour connaître les « raisons pour lesquelles Chávez avait acheté 70.000 fusils à l'Espagne ». Bien entendu, cette médiation est restée sans effet.
Les désaccords entre Brasilia et Caracas ont continué pendant longtemps. Les énumérer seraient aussi long que fastidieux. Nous n'en rappelleront que deux : le refus du Gouvernement de Lula de la mise en pratique de la Banque du Sud, solennellement fondée en décembre 2007 mais paralysée dès sa naissance, surtout à cause des réticences brésiliennes ou le tenace refus de Brasilia d'admettre le Venezuela dans le MERCOSUR. Étant étant donné ces précédents, la conduite de la délégation brésilienne à Kazan était prévisible. L'absence de Lula, à cause d'un étrange « accident domestique », restera l'une des grandes inconnues du sommet de Kazan. Peut-être le malheureux vote du Brésil à l'ONU condamnant « l'invasion russe » en Ukraine a-t-il eu une influence ?
Mais ce qui est sûr, c'est qu'avec le veto à l'entrée du Venezuela en tant que membre associé des BRICS+, une catégorie dans laquelle sont entrées la Bolivie et Cuba, le prestige international du Brésil et la solidarité nécessaire entre pays d'Amérique latine ont été gravement endommagés. Le Gouvernement de Lula a cédé aux pressions conservatrices de sa propre coalition de gouvernement et à celle des États-Unis pour qui que le Venezuela reste isolé est essentiel pour poursuivre impunément son blocus criminel. Ce n'est pas la même chose de l'attaquer s’il est seul que de l'attaquer s’il est membres des BRICS+.
Cet évènement discrédite le Brésil et fait apparaître son Gouvernement comme un partenaire docile de Washington, opérant en Amérique latine, favorisant la déconnexion, pour ne pas dire la « désintégration » entre les pays de la zone. Tout cela suscite des doutes sur les futures intentions d’Itamaraty sur le terrain international. C'est pourquoi la position de Lula à Kazan est « un veto suicide » parce qu'il affaiblit la crédibilité internationale du Brésil non seulement en Amérique latine mais au niveau mondial. L'analyste brésilien José Luis Fiori l'a dit en toutes lettres : « Une Amérique du Sud divisée va perdre de l'importance géopolitique et géo-économique et ses petites unités « primaires–exportatrices, » dans leur isolement, sont complètement sans importance sur l'échiquier géopolitique mondial. » L'alternative serait de construire un axe comprenant le Brésil, l'Argentine et le Venezuela, mais c'est ce qui a échoué cette année avec le refus de Milei de faire entrer l'Argentine dans les BRICS+ et le véto du Brésil à l'entrée du Venezuela dans cet organisation.
Par son véto, le Gouvernement brésilien a privé les BRICS+ de l'énorme avantage que leur aurait apporté le fait d'incorporer dans leurs rangs le pays qui a la plus importante réserve prouvée de pétrole au monde. Objectivement : il a affaibli les BRICS+ pour faire plaisir à Washington. C'est pourquoi je pense que ce veto n'aura pas une longue vie et que Lula finira par revenir dessus parce que peu d’erreurs peuvent être plus graves dans le monde d'aujourd'hui que le fait de laisser ces énormes réserves de pétrole à la merci de la gifle que pourraient donner les États-Unis, quelque chose que ni la Chine, ni la Russie, ni même l'Inde ne verrait d'un bon œil. Ce qui se passe, c'est qu’Itamaraty ne pense pas que l’échiquier international se soit déjà transformé en un système multipolaire, d'où sa décision erronée de mettre son veto à l'entrée du Venezuela dans les BRICS+. Ils continue à parier sur l'hégémonie déclinante des États-Unis et sur un « ordre mondial basé sur des règles » pourri, grâce auquel les États-Unis défendent leurs intérêts nationaux.
La chancellerie bolivarienne a raison quand elle qualifie ce véto de « geste hostile qui s'ajoute à la politique criminelle de sanctions imposée à un peuple courageux et révolutionnaire. » Dire qu'il « s’ajoute » en langage diplomatique prudent équivaut à dire que le Brésil a agi comme un homme à tout faire diligent de Washington en donnant son aval aux plus de 900 mesures coercitives unilatérales qui affectent ce pays frère, et en se glorifiant d'une absence de solidarité désolante.
Lula ne sait-il pas que pendant la pandémie, sous le gouvernement de l'imprésentable Jair Bolsonaro, les gens mouraient dans les hôpitaux de Manaos par manque d'oxygène et que le président Nicolas Maduro avait ordonné l'envoi de 107 médecins et de 6 citernes avec 136 000 litres d'oxygène pour affronter la situation dramatique des hôpitaux de cette ville ? Est-ce le remerciement du Brésil pour ce geste de solidarité ? Un veto déplorable et impardonnable. Le président Lula a un dur travail devant lui s'il veut que son pays retrouve sa crédibilité, non seulement dans l'ordre régional latino-américains et Caribéen mais aussi face aux principaux partenaires des BRICS+, en particulier la Chine, la Russie et l’Inde. Il ne faudra certainement pas attendre longtemps avant que ce veto fatal soit levé et que le président brésilien doive supporter un amer affront.
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2024/10/28/brasil-un-veto-suicida/
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