Bolivie : Les objectifs révolutionnaires ont été oubliés
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
Depuis un certain temps, il est de plus en plus difficile de comprendre ce qui se passe à l'intérieur de la Bolivie. Après avoir été un exemple pour une frange du progressisme radical latino-américain, son parcours politique, social et économique est aujourd'hui opaque. Mais le silence andin peut être rompu avec des arguments et du bon sens.
Antonio Abal es un journaliste et analyste bolivien, habituellement consulté par les médias locaux et internationaux. On a fait appel à lui pour connaître les clés pour comprendre les évènements dans son pays.
- Que se passe-t-il politiquement en Bolivie ?
Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte « la forme primordiale » de la structure sociale bolivienne. Cette « la forme primordiale » a à avoir avec la formation de l'État colonial et son mode de domination qui se maintient jusqu'à aujourd'hui. Les caractéristiques de l'État colonial ont à voir avec une structure hiérarchisée, raciste, patriarcale et profondément religieuse et avec les oligarchies régionales. L’État - la nation, Bolivie, fondation réalisée par les enfants de ceux qui ont géré les niches de pouvoir colonial- s'est fondé là-dessus. Alors, tout au long de notre histoire, ces élites héritées de la colonie se sont tournées vers l'exercice du pouvoir politique, avec des explosions ou des pulsions de la force indigène, comme dans les innombrables rébellions indigènes et les grèves dans les mines qui ont obtenu des changements essentiels en 1952, bien que les traits généraux de l’État colonial se soient maintenus. Au XXIe siècle, émerge déjà une force populaire dans la « guerre de l’eau » qui vainc les politiques néolibérales de privatisation, et en 2003, avec la « guerre de l’air », on a mis fin aux Gouvernements néolibéraux. C'est dans cette situation que le MAS–IPSP, après une longue gestation au sein du mouvement des peuples indigènes, a gagné les élections de 2005, avec l’élection d’un président indigène.
Les secteurs traditionnels, chassés du pouvoir politique, ont manipulé une série d'évènements pour en finir avec le gouvernement d’Evo Morales, ce qu'ils ont réussi à faire en 2019, après une longue infiltration du MAS et avoir discrédité personnellement Evo Morales grâce à leurs médias.
Une fois la démocratie rétablie, en 2020, la droite a poursuivi sa stratégie d'annulation de la force politique des peuples originaires et des secteurs populaires grâce à l'action de « taupes » déjà installées en des lieux stratégiques du Gouvernement et qui se sont occupées de diviser, d'abord l'organisation politique et ensuite le mouvement des peuples originaires.
La forme que prend cette lutte destinée à détruire la puissance politique des peuples originaires apparaît comme une bataille de dirigeants, justement pour affaiblir l'image politique d’Evo Morales. Le résultat de toute cette stratégie, aujourd'hui, est qu'il existe « officiellement » un MAS qui ne répond déjà plus au commandement d'Evo Morales, légalement. Evo Morales n'a pas de parti.
- Que se passe-t-il dans le domaine socio-économique ?
Le Gouvernement putschiste d’Añez a détruit l'économie en permettant aux membres de son cabinet de piller et en réduisant à la faillite des entreprises publiques. À cela, il faut ajouter la pandémie de COVID, alors le nouveau Gouvernement démocratique a fait des efforts pour stabiliser l'économie, efforts qui n'ont pas été couronnés de succès. Nous avons perdu le marché du gaz en Argentine et avec cela, des revenus en devises nécessaires pour les politiques de subventions, en particulier des carburants. La pénurie de carburant a provoqué la hausse des prix des produits de base, et aucune mesure ne peut contrôler la spéculation sur les biens comme le riz, la farine, les légumes, sans parler des produits importés.
Actuellement, les manifestations de rue ont à voir avec cette revendication qui n'a pas pu être canalisée et amenée sur le plan politique à cause de la faiblesse d'organisations comme la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) qui, auparavant, était la coordinatrice des revendications populaires. Aujourd'hui, la COB a disparu de la scène politique.
- Quelles forces sont en conflit ?
Suite à un affaiblissement progressif des forces populaires qui ont été cooptées par des activités gouvernementales et une stratégie strictement électorale, aujourd'hui, nous avons un mouvement populaire dépolitisé et sans idéologie qui se limite à s'accrocher à l'image personnelle de dirigeants politiques. Les programmes et les objectifs révolutionnaires ont été oubliés.
D'autre part, la droite, qui ne se repose jamais, déploie une activité très concentrée sur le rétablissement de « l'ancien régime », c'est-à-dire, la politique bolivienne traditionnelle liée aux élites économiques avec une variété de partis qui représentent les intérêts concrets des différentes oligarchies régionales de Bolivie.
La « gauche » marxiste a disparu de la scène politique et les groupes politiques de gauche actuels ont une présence réduite au MAS « officiel », ainsi qu'à ce que l'on appelle l'« Evisme ». Dans les deux cas, ils ne parviennent pas à influencer de manière décisive les stratégies et les actions politiques.
- Quel rôle jouent les mouvements sociaux, indigènes et populaire ?
La division de toutes les structures organiques a diminué la puissance révolutionnaire des des peuples originaires et des secteurs populaires et ils se sont incorporés à la pratique politique traditionnelle accentuant l'intérêt particulier et familial et renforçant ainsi, la bureaucratie clientéliste comme forme d'activité politique.
- Quel rôle joue l'impérialisme étasunien dans cette situation ?
Sans aucun doute, dans cette situation de division et de déplacement se trouve la main des États-Unis. Ce qui se passe en Bolivie et sur une grande partie du continent n'est rien d'autre que la guerre géopolitique des États-Unis, qui aujourd'hui ne nous envahissent plus avec des marines, mais s’approprient nos cerveaux, et face à cette sorte d'agression, nous sommes réellement désarmés puisque l'absence d'idéologie de la société bolivienne mise en place pendant 20 ans par le néolibéralisme n'a pas été réellement contrecarrée sous le gouvernement d’Evo Morales. Le « changement culturel » est l'instrument pervers d'agression qui a été imposé sur notre continent.
- Quelles sont les perspectives des forces anti-capitalistes et guévaristes dans cette crise ?
Les noyaux de résistance et d'autocritique de la gauche sont très petits. Le mouvement guévariste lui-même a été fractionné. Les militaires de gauche du MAS, aussi bien au Gouvernement que dans l’opposition (évistes) réduisent leur rôle et leurs perspectives exclusivement au domaine électoral. Jusqu'à présent, il n'y a pas de proposition d'horizon, de tournant vraiment révolutionnaire qui guide les mouvements sociaux pour en finir avec l'État colonial.
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