Cuba-Etats-Unis: Chantage au blocus

par Françoise Lopez

Depuis le 17 décembre 2014 et l'annonce conjointe du président de Cuba, Raùl Castro et du président des Etats-Unis Barack Obama, celui-ci clame à qui veut l'entendre que le blocus de Cuba doit être levé et que, s'il ne tenait qu'à lui, ce serait déjà fait.

Et pourtant, le blocus est toujours là... plus vivant que jamais.

Le 20 janvier dernier, la veille de l'annonce des nouvelles régulations des Départements du Trésor et du Commerce envers Cuba, la compagnie de design nord-américaine WATG Holdings Inc. a eu 140 400 dollars d'amende pour avoir transgressé le régime de sanctions unilatérales contre le plus grande des Antilles.

Le 23 février de cette année, la compagnie française CGG Services S.A. se voit infliger une amende de 614 250 dollars pour avoir "fourni des services, des pièces de rechange et du matériel d'origine états-unienne pour des forages de gaz et de pétrole à des bateaux qui opèrent dans les eaux territoriales cubaines."

3 jours plus tard, le 26 février, la compagnie Halliburton se voit infliger une amende 304 706 dollars pour avoir "soutenu la prospection de pétrole et de gaz et les activités de forage dans le Bloc Sud Costa Adentro dans la province de Cabinda, Angola." La compagnie cubaine Cuba Petróleo (Cupet) po­ssédait 5% des intérêts dans le consortium de production de gaz et de pétrole qui travaillait en territoire angolais.

Depuis les annonces du 17 décembre 2014, le gouvernement des Etats-Unis a donné des amendes à 8 entités (5 états-uniennes et 3 étrangères) pour une valeur cumulée de 2 836 millions 681 581 dollars.

Par ailleurs, le 15 mars, l'un de nos adhérents voit son billet d'avion pour Cuba retenu en Nouvelle Calédonie auprès d'une agence Havas, filiale de l’agence américaine Carlson Wagonlits, annulé à cause du blocus1.

Et pendant ce temps-là, les annonces d'assouplissement du blocus se succèdent... Les derniers "assouplissements" datent précisément du 15 mars, jour de l'annulation du billet d'avion dont nous venons de parler. Et ce jour-là, une mesure très importante est annoncée: l'autorisation accordée à Cuba d'utiliser le dollar dans certaines de ses transactions. Pourtant, le 28 mars, le ministre des Relations Extérieures de la République de Cuba, Bruno Rodriguez Parilla2, dénonce le fait que cette annonce n'a pas été suivie d'effets car les banques cubaines ne peuvent toujours pas ouvrir de comptes aux Etats-Unis.

Entretemps, le 22 mars au Grand Théâtre de La Havane Alicia Alonso, Barack Obama3, tout sourire, avait renouvelé ses promesses de levée du blocus. Cependant, les réactions à son discours démontrent clairement que les Cubains ne sont pas dupes et savent lire entre les lignes. D'ailleurs, le 28 mars, dans l'interview qu'il accorde à la presse équatorienne, Bruno Rodriguez déclare aussi que Washington garde intacts ses objectifs stratégiques de dominer Cuba économiquement et politiquement et cite en exemple l'ouverture dans le domaine des télécommunications et le soutien financier du secteur privé qui ne cherchent qu'à construire une opposition contre le gouvernement.

Le 25 mars, le blog “Along the Malecón” révèle un plan du Département d'Etat des Etats-Unis4 pour former de jeunes Cubains "dans un programme de développement professionnel de 2 à 4 mois qui comprendra une formation spécialisée" pour les aider à développer "des plans d'action pour des activités communautaires non gouvernementales à Cuba" par l'intermédiaire de subventions accordées à une organisation patronale des Etats-Unis (753 989 $ ! pour une trentaine de jeunes).

Ce programme est dans la droite ligne des méthodes employées habituellement par les Etats-Unis pour obtenir un "changement de régime". Nous sommes là à la 2° des 12 étapes que liste Aeneas Georg dans son article du 27 décembre 2014 "Les 12 étapes employées par les Etats-Unis pour changer un régime". La première, envoyer dans le pays cible des agents de la CIA en tant que soi-disant journalistes ou hommes d'affaires , étant déjà réalisée avec le séjour d'Alan Gross sur l'île en 2009. La 2° étape est donc de "lancer des ONG estampillées, luttant pour la démocratie et les droits de l’homme, afin d’attirer les promoteurs de la liberté et des idéaux supérieurs".

L'auteur de l'article paru sur Cubadebate le 30 mars, Emilio Paz, se demande si le Département d'Etat et la Maison Blanche sont sur la même longueur d'onde et s'ils sont dans le même gouvernement. Pour ma part, je dirais plutôt qu'ils soufflent le chaud et le froid en se partageant les rôles.

Obama joue le gentil et le Département d'Etat le méchant mais il s'agit d'une tactique: le gentil montre ce qui pourrait être fait, le méchant continue comme si de rein n'était. Mais pourquoi? C'est encore Bruno Rodriguez qui nous donne un élément de réponse à cette question: "La levée du blocus, a-t-il déclaré dans son interview du 28 mars " doit être une action unilatérale des Etats-Unis (...) La levée des sanctions économiques, financières et commerciales que Washington applique contre La Ha­vane depuis plus de 50 ans ne pourra jamais être le résultat d'une négociation, ou répondre à des concessions du gouvernement de Cuba".

A première vue, on se dit: Oui, évidemment, on le sait, on nous l'a déjà dit. Mais alors pourquoi le répéter? Et le répéter maintenant, après la visite d'Obama à Cuba? Sans doute parce que malgré ses sourires et ses "paroles sirupeuses5", Obama et son gouvernement ont exprimé des exigences pour lever réellement le blocus. Lesquelles? Peut-être pas franchement un changement de régime, ce serait trop brutal, mais sans doute des changements que les Cubains n'ont aucune intention de faire. Le blocus deviendrait alors un moyen de chantage pour les obtenir coûte que coûte en rapprochant la carotte le plus près possible du nez de l'âne. Mais à Cuba, il n'y pas d'ânes et c'est, de plus, compter sans la conviction politique et la capacité de résistance des Cubains.

Françoise Lopez

31 mars 2016

NOTES:

1cf l'article "Barack Obama à Cuba et le blocus toujour sbon pied, bon oeil" par Françoise Lopez, 20 mars 2016 http://bolivarinfos.over-blog.com/2016/03/cuba-etats-unis-barack-obama-a-cuba-et-le-blocus-toujours-bon-pied-bon-oeil.html

2cf http://bolivarinfos.over-blog.com/2016/03/cuba-etats-unis-la-levee-du-blocus-doit-etre-une-action-unilaterale-des-etats-unis.html

3cf le texte intégral du discours de Barack Obama http://bolivarinfos.over-blog.com/2016/03/cuba-etats-unis-discours-d-obama-texte-integral.html

4cf http://bolivarinfos.over-blog.com/2016/03/cuba-etats-unis-le-projet-du-departement-d-etat-ressemble-a-un-plan-d-infiltration.html

5cf Fidel Castro "Le frère Obama": http://bolivarinfos.over-blog.com/2016/03/argentine-le-desengagement-dans-telesur-est-une-censure-en-faveur-de-cnn.html