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Amérique Latine : Luis Almagro, un cas de mutation idéologique

26 Mai 2016, 15:28pm

Publié par Bolivar Infos

par Alejandro Fierro / Resumen Latinoamericano / CELAG/ 22 mai 2016.-

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

L'image du nouveau secrétaire général de l'Organisation des Etats Américains est imprégnée par un pragmatisme extrême, produit d'une carrière diplomatique de presque 30 ans. Et bien que cela semble un contresens, ce qui est sûr, c'est que c'est ce pragmatisme qui l'a conduit à devenir le fer de lance des attaques contre le Gouvernement du Venezuela, peut-être dans une tentative pour se situer comme un des nouveaux visages d'un social-libéralisme aimable en ayant calculé que la restauration conservatrice en Amérique Latine triompherait.

En effet, Luis Almagro (Paysandú, Uruguay, 1963) a obtenu sa première mission diplomatique en 1988, à à peine 25 ans et sans avoir terminé ses études supérieures. A partir de ce moment, il a commencé une trajectoire dans les relations internationales qui l'amènerait à passer par des délégations uruguayennes en Iran, en Allemagne ou en Chine – comme ambassadeur en ce qui concerne ce dernier poste – ou à représenter son pays dans des organismes comme l'UNESCO.

Déjà dès ses débuts dans la sphère internationale, Almagro donna des preuves qu'il était un « diplomate » dans le sens le plus strict su terme, s'accommodant de ses différentes destinations avec indépendance par rapport aux parti qui gouvernait : le Parti National (les blancs) ou le Parti Rouge, les deux grandes formations qui pendant presque 2 siècles, pratiquement depuis la fondation du pays, ont eu l'hégémonie sur la vie politique de l'Uruguay jusqu'à l'éclosion massive, en ce nouveau siècle, du Front Large.

Cependant, et malgré sa neutralité radicale dans le développement de sa carrière diplomatique, Almagro conservait un militantisme ambivalent au Parti National, le vieux groupe « blanc » qui se définit comme « libéral, nationaliste, pan-américaniste et humaniste ». Au-delà de ses propres perceptions, ce qui est sûr, c'est que le PN s'est toujours situé au centre-droite avec les forces centrifuges habituelles qui le tirent vers un extrême ou vers l'autre.

Ces forces centrifuges s'accentuent dans les années 90 quand les politiques néo-libérales annoncent la grave crise qui secouerait l'Uruguay à partir de 1999. C'est précisément cette année-là que Luis Almagro opère son transfert des rangs des « blancs » vers le Front Large en s'intégrant au Mouvement de Participation Populaire, un pôle de gauche dont le principal parti était le Mouvement de Libération Nationale-Tupamaros de José Mujica. La rencontre avec le futur président fut la clef du décollage de la carrière politique d'Almagro. En Mujica, l'obscur diplomate a trouvé le tremplin pour se placer dans le panorama hétérogène du Front Large. Pour sa part, l'ancien guérilléro tupamaro a profité de la profonde connaissance des relations internationales d' Almagro, en particulier en ce qui concerne les échanges commerciaux.

Almagro fut l'une des mains droites de Mujica quand il était ministre de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche de 2005 à 2008 pendant le premier Gouvernement de Tabaré Vázquez. Etant donné son bagage international, Almagro est le visage visible des négociations avec le MERCOSUR, la Chine ou les Etats-Unis pour ouvrir ces marchés aux produits alimentaires uruguayens, qui sont la base de l'économie du pays. C'est à cette époque, en 2007, qu'il est nommé ambassadeur à Pékin, un déplacement qui ne doit rien au hasard étant donné le potentiel du marché chinois pour les exportations de l'Uruguay.

Son ascension s'achèvera avec sa nomination comme ministre des Affaires Etrangères du Gouvernement de Mújica. Almagro a occupé la chancellerie pendant tout le mandat de son mentor (2010-2015). Bien que osn principal objectif continue à être le commerce extérieur uruguayen, en ce qui concerne la communication publique, le nouveau chancelier s'est forgé une image de défenseur des droits de l'homme à outrance. Cependant, cette soi-disant défense se limitait à des interprétations absolument formalistes sans tenir compte des contextes socio-politiques. Le diplomate qu'il n'a jamais cessé d'être apparaît de nouveau avec toute sa force. Ces positions équidistantes l'ont amené à un grave affrontement avec le Mouvement Tupamaro quand celui-ci a dénoncé la « politique génocide » d'Israël dans la Bande de Gaza. Almagro a considéré comme exagérée cette qualification et a mis au même niveau les attaques de l'armée israélienne et les actions de la résistance palestinienne.

En mars 2015 s'achève la période présidentielle de Mujica et Luis Almagro est nommé nouveau secrétaire général de l'Organisation des Etats Américains (OEA) en remplacement du Chilien José María Insulza qui avait occupé cette charge pendant les 10 années précédentes. Son discours d'investiture fut totalement une déclaration d'intentions : « En moi, vous trouvez un infatigable combattant pour l'unité américiane, plus préoccupé par la recherche de solutions pratiques durables aux problèmes de notre région que par la réthorique et l'excentricité dans les déclarations guidées par une ou idéologie ou par l'autre. » Ce sont des mots auxquels tout néo-libéral aurait souscrit : l'unité en tant que totem au-dessus des différences de classe aigües et l'appel à la fin des idéologies remplacées par un pragmatisme qui agit comme un rideau de fumée de la véritable idéologie hégémonique, le capitalisme. Cela ne cachait même à personne que la candidat au Secrétariat Général d'une OEA paralysée, moribonde face à la poussée des nouveaux organismes supra-nationaux comme l'UNASUR ou la CELAC pouvait compter sur l'aval des Etats-Unis.

Depuis qu'il assume cette charge, le Venezuela a été l'obsession d'Almagro avec un alignement sans nuances sur la droite qui l'a amené à assumer ses thèses sur le soi-disant autoritarisme du Gouvernement de Nicolás Maduro, l'existence de prisonniers politiques ou d'une fraude électorale. De fait, ses déclarations mettant en doute les garanties des élections législatives de décembre 2015 amenèrent Mujica à rompre définitivement avec son ancien disciple. « Je regrette la direction dans laquelle tu t'engages et je sais qu'elle est irréversible. A cause de cela, maintenant, je te dis officiellement adieu et je m'en vais », écrivit l'ex président dans une lettre publique, conscient qu'Almagro avait abandonné définitivement tout ien avec les processus d'émancipation latino-américains.

L'escalade des attaques contre le Gouvernement de Nicolás Maduro a atteint son plus haut niveau avec le recours à la Charte Démocratique – ce qui, dans la pratique, impliquerait l'éventualité de sanctions politiques et économiques envers le Venezuela et même ouvritait la porte à une autre sorte de sanctions plus radicales – suivie d'une très dure lettre publique destinée au président vénézuélien lui-même en réponse à des critiques préalables de celui-ci. Dans cette lettre, qu'il a diffusée en sa qualité de secrétaire général de l'organisme inter-américain, Almagro abandonne la soi-disant neutralité de sa fonction pour appliquer au président des épithètes comme « traître », donnant pour certaine l'existence de prisonniers politiques ou affirmant que le referendum révocatoire doit avoir lieu cette année en ignorant le débat juridique en cours à ce sujet.

Le changement de position d' Almagro n'est pas gratuit, ni la partie diplomatique ni sa récente agressivité prouvée. Dans sa tentative de retour dans le sous-continent, le capitalisme néo-libéral a besoin de pouvoir compter sur l'autre visage qui complète la droite et qui se présente sous un visage aimable, méritocratique, respectueux des formalités de la démocratie bourgeoise, défenseur des droits de l'homme compris des affaires totalement individuelles et dont les positions progressistes en restent à la non discrimination de genre, à la non discrimination sexuelle ou raciale sans entrer dans le conflit de classes. Luis Almagro, avec un discours partagé avec les ex sociaux-démocraties européennes qui ont déjà fait leur devoir de mutation idéologique est l'un des référents d'un capitalisme qui a besoin de cette soupape de sécurité pour simuler une diversité d'options électorales enterrant de cette façon les gauches réelles. Le seul geste de dureté permis l'est, précisément, contre ces gauches. Almagro joue à la perfection le rôle pour lequel il semble s'être préparé toute sa vie.

Source en espagnol :

http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/05/22/luis-almagro-un-caso-de-mutacion-ideologica/

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