Amérique Latine : Turbulences au MERCOSUR
Par: Gisela Brito / CELAG (Telesur, 25 juillet 2016)
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Le transfert de la présidence tournante du MERCOSUR entre l' Uruguay et le Venezuela provoque de fortes controverses politiques à l'intérieur du bloc. Selon les règles internes, « la Présidence du Conseil sera exercée par rotation des Etats Membres et par ordre alphabétique, pour une période de 6 mois ». Cependant, le sommet présidentiel prévu au mois de juillet – au cours duquel devait se faire le transfert – a été suspendu à l'initiative du Brésil et pendant ces dernières semaines, il y a eu plusieurs réunions des chanceliers qui n'ont pas réussi à apaiser le conflit qui s'est déchaîné après que le Paraguay et le gouvernement intérimaire de Michel Temer aient fait des objections ouvertement sur le fait que le Venezuela assure la présidence de cet organisme. Pour sa part, le président de l'Argentine Mauricio Macri a présenté une proposition pour « sauter » le Venezuela et prendre la présidence, une proposition qui ensuite a été « adoucie » par la chancelière Susana Malcorra.
Le conflit concernant le transfert de la présidence a deux visages : d'un côté, il fait partie de la stratégie des secteurs néo-conservateurs pour augmenter la pression internationale contre le gouvernement du Venezuela et, de l'autre, il a un caractère structurel qui reflète les tensions à l'intérieur du bloc dans la mesure où il respecte la signature d'accords de libre commerce.
L'offensive internationale contre le Venezuela
Le principal argument des représentants du Paraguay et du Brésil est que la situation politique et économique du Venezuela empêche Nicolás Maduro d'exercer « convenablement » la présidence du MERCOSUR. De plus, ils ajoutent que ce pays n'a pas encore signé le « Protocole d'Asunción sur l'engagement envers la promotion et la protection des droits de l'homme du MERCOSUR » (2005), une question qui n'avait pas été abordée au dernier sommet des Chefs d'Etat qui s'est déroulé au Paraguay en décembre 2015. Cependant, la législation interne du MERCOSUR n'établit pas que le retard dans la signature d'un Protocole (antérieur à l'incorporation du Venezuela au bloc) est une cause d'empêchement à l'exercice de la présidence. Sans argument juridique valable, les chanceliers José Serra et Eladio Loizaga – qui représentent le Brésil et le Paraguay – font obstacle au transfert à l'aide d'une campagne de diffamation contre le Venezuela qu'ils accusent de ne pas remplir « les standards démocratiques minimum » pour présider le bloc.
Cette campagne est en total accord avec l'augmentation de la pression internationale contre le gouvernement de Nicolás Maduro. Il est pour le moins paradoxal que les porte-paroles de ceux qui remettent en question la qualité de la démocratie au Venezuela soient le chancelier impliqué dans des affaires de corruption d'un gouvernement intérimaire qui a accédé à la présidence après un procès en destitution controversé qui n'a pas encore été achevé et un autre chancelier dont les antécédents sont d'avoir été un fonctionnaire de la dictature de Stroessner, promoteur de la Ligue Anticommuniste Mondiale d'extrême droite (qui a collaboré avec le Plan Cóndor) et accusé dans son pays de crime contre l'humanité. Le problème est strictement politique et rien n'a à voir avec les institutions démocratiques.
Au Venezuela, bien que cela déplaise aux secteurs néo-conservateurs de la région, règne la légalité démocratique : il existe des mécanismes pour que l'opposition puisse jouer son rôle et accéder aux institutions grâce à des élections (comme c'est arrivé aux dernières législatives) et ceux qui commettent des délits contre l'Etat de Droit sont dûment jugés en respectant des garanties de al Constitution. Par conséquent, il n'existe pas de motifs légaux qui justifient de « sauter » l'ordre alphabétique en accordant la présidence à l'Argentine. Mais dans ce jeu, il semble que les arguments juridiques importent peu.
Le 30 juillet prochain, selon ce qu'a confirmé le chancelier uruguayen Rodolfo Nim Novoa, se déroulera à Montevideo une réunion du Conseil du Marché Commun (CMC) du MERCOSUR (composé par les chanceliers et les ministres de l'économie) lors de laquelle on traitera à nouveau le sujet du transfert de la présidence.
Le traité MERCOSUR - Union Européenne
Les tensions à l'intérieur du MERCOSUR ne sont pas une nouveauté. Le principal axe de discorde ces dernières années est la signature potentielle d'un accord commercial avec l'Union Européenne (UE) qui, dans la pratique, supposerait pour ses partisans de « revenir à la normalité » de la libéralisation de l'économie et pour ses détracteurs, de perpétuer les conditions asymétriques de l'échange et du modèle d'accumulation primaire-exportateur.
Le changement de gouvernement en Argentine et la situation de soi-disant suspension du gouvernement du Brésil ont un fort impact sur les équilibres intérieurs du bloc. Au dernier sommet des présidents qui a eu lieu en décembre 2015, peu de temps après que Mauricio Macri assume la présidence de l'Argentine, les divergences entre les associés qui se battent pour renforcer le développement économique par l'intégration régionale (Venezuela et Bolivie) et ceux qui se battent pour un retour au modèle fondateur de libéralisation de l'économie (Paraguay, Uruguay, Brésil) sont devenues évidentes.
L'Argentine, le second associé en terme d'importance stratégique, s'est joint au second groupe avec l'accession au gouvernement de Macri. Avec le Brésil, elle dirige les pressions pour l'ouverture du bloc. Le principal intérêt du gouvernement de Temer est que le MERCOSUR ait la voie libre pour négocier le traité de libre commerce avec l'Union Européenne. Pour cela, il cherche à gagner du temps en suspendant le transfert de la présidence jusqu'en août pour revenir le négocier dans un position plus forte une fois que son gouvernement sera confirmé après le résultat définitif du procès politique qui, selon ses prévisions, destituera définitivement Rousseff.
L'Union Européenne est l'un des principaux associés commerciaux du bloc sud-américain. « Les exportations du MERCOSUR vers l'Union Européenne en 2013 ont atteint environ 60.855 millions de dollars, les importations de l'Union Européenne vers le MERCOSUR ont atteint 66.887 millions de dollars. Au-delà du déficit que montre déjà cet échange pour le MERCOSUR, si nous regardons la tendance dans les périodes précédentes, nous voyons qu' entre 1998 et 2000, 85% des importations étaient composées par des produits métalliques, des machines et du matériel et des produits de l'industrie chimique alors que les exportations concernaient des produits agricoles, des boissons, du tabac, des produits métalliques, des machines et du matériel et l'extraction du fer. Le principal obstacle à la signature de cet accord commercial est les barrières douanières fortement protectionnistes du secteur agricole mises en place par l'Union Européenne et qui ne semblent pas destinées à être réduites. Il faut aussi tenir compte que les barrières douanières (de qualité, phytosanitaires, environnementales, etc) sont aujourd'hui la véritable arme pour mettre n place des politiques protectionnistes.
Au-delà des simagrées des gouvernements d'Argentine, du Paraguay, de l'Uruguay et du Brésil affirmant que les négociations pour seller cet accord sont plus qu'avancées, la réalité est que lors de la visite récente de Mauricio Macri en Allemagne, face à la demande publique que l'Allemagne intercède pour l'assouplissement des conditions par la France, la chancelière Angela Merkel a répondu qu'il n'y a pas que la France qui résiste mais aussi son propre pays. « Notre ministre de l'Agriculture aussi veille aux détails et cela va être très compliqué parce que l'Argentine a là ses points forts », a-t-elle déclaré. Et elle a ajouté une donnée clef : après le début du processus de sortie de la Grande Bretagne de l'Union Européenne, la Commission Européenne a établi que pour que le bloc signe un traité de libre commerce, celui-ci doit auparavant être discuté et approuvé par les parlements de tous les pays membres ce qui éloigne encore les possibilités de matérialiser un accord MERCOSUR - Union Européenne à court terme.
Source en espagnol :
http://www.telesurtv.net/opinion/Turbulencias-en-el-Mercosur-20160725-0011.html
URL de cet article :
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