Argentine : Interview de Cristina Fernández de Kirchner, texte intégral
Telesur, 23 juillet 2016
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Journaliste : Il y a 7 mois que vous avez quitté le pouvoir.
Cristina Fernández de Kirchner : 8mois.
Journaliste : 8 mois, non ? Et beaucoup de choses se sont passées dans le monde, en particulier dans la région et en Argentine. Et ce qu'on voit aussi en ce moment, c'est qu'il y a des forces contraires à l'esprit que vous avez laisse quand vous avez quitté la présidence, le 10 décembre dernier. Quelle analyse faites-vous de ce qui se passe, comment voyez-vous le moment où vous avez quitté le pouvoir et d'une certaine façon, tout ce qu'on vit ces jours-ci ?
CFK : Je ne l’analyse pas uniquement du point de vue de l' Argentine. Mon point de vue est un peu plus large, je l'analyse dans une perspective plus régionale, ce qui se passe en Argentine, ce qui se passe au Brésil, ce qui s'est passé lors de la dernière élection organisée par Evo Morales en Bolivie.
Il me semble qu'il y a un retour en arrière de ce qu'ont été les gouvernements nationaux et populaires de al région. Il y aune avancée de ce que nous pourrions appeler la droite conservatrice ou « restauratrice » en ce qui concerne l'exclusion sociale, les nouveaux réalignements et l'abandon de l’idée d'unité régionale qui a été au premier plan aussi bien dans l'esprit de l'UNASUR, du MERCOSUR et de la CELAC depuis 1999 qui fut, disons... le premier gouvernement, quand Chávez est arrivé au pouvoir en Venezuela. Ensuite Lula lui a succédé au Brésil, puis est venu Néstor Kirchner en Argentine, ensuite, ce fut le Front Large en Uruguay, Lugo au Paraguay.
Tout cela n'est pas dû au hasard. C'est un mouvement régional qui avait aussi à voir avec une étape du néolibéralisme des années 90 essentiellement qui avait triomphé et qui avait été une véritable catastrophe sociale en termes économiques. Non ? Je crois qu'on peut voir cela très clairement. Cela a aussi été en rapport avec un moment de l'histoire des Etats-Unis qui, à partir de 2001, suite à l'impact terrible qu'a eu l'attentat contre les Tours Jumelles, c'est comme s'ils avaient cessé de regarder autant ou d'intervenir, si on veut, autant dans la région parce qu'évidemment, ils avaient été agressés sur leur territoire et ils avaient d'autres priorités. Jusqu'à aujourd'hui, ils ont encore d'autres priorités.
Il me semble qu'ensuite ils ont à nouveau porté le regard vers la région qui a toujours été vue comme le réservoir d'aliments, d'énergies, aquifère1, de minerais, presque propre, non, en Amérique. Et aussi l'apparition de ces nouveaux gouvernements populaires, nationaux, démocratiques, parce que l'une des caractéristiques est que, contrairement à ce qui a pu se produire au XX° siècle pendant lequel il y avait eu aussi des gouvernements nationaux et populaires qui étaient discutés par là en ce qui concerne la méthodologie. Non, non, ces gouvernements ont été caractérisés non seulement par l’accès la démocratie mais par une profonde vie en démocratie concernant la liberté d'expression. Même en ce qui concerne des expressions qui portaient atteinte à la vie même des gouvernements et qui souvent ont tenté des expériences qui les ont destitués comme celle que j'ai dû vivre en 2008 en Argentine ou comme celle que vit maintenant le Brésil de Dilma Roussef... maintenant qu'ils sont en plein processus de destitution, pour ainsi dire. Avec lequel, comment je le vois ? En Argentine, je le vois comme un retour en arrière très important parce que les réussites qui avaient été obtenues étaient réellement formidables, au-delà de ce discours de la lourde blessure, les nombres sont objectifs. Le 10 décembre de l'année dernière, l'Argentine avait atteint le plus bas niveau d'endettement extérieur en monnaie étrangère de toute son histoire, pas des 10 dernières ou des 20 dernières années. Jamais nous n'avions eu ce niveau de désendettement et ce qui est curieux, c'est que le Gouvernement qui fut celui qui a atteint ce désendettement fut celui qui avait reçu le pays avec un défaut de dette souveraine du monde. 160 000 millions de dollars, un nombre à 2 chiffres de chômage, 54% de pauvreté, 46% d'indigence, un GINI, un indice de GINI qui atteignait 5%. Il n'y avait pas de négociations paritaires2 dans le pays, les retraités touchaient 200 pesos et nous avons fini un 9 décembre avec le niveau d'endettement le plus bas de toute notre histoire, ce qui permet au Gouvernement actuel et aux gouvernements des provinces actuels de s'endetter. Je réserve mon pronostic, je ne fais pas un bon pronostic concernant cette sorte d'endettement.
Mais bon, nous prenons aussi un sujet où les travailleurs qui avaient réussi, les travailleurs argentins, je vois non et je dis, en parlant d'eux, ils avaient obtenu le salaire avec le plus fort pouvoir d'achat de la région comparé au dollar non seulement nominalement mais aussi en termes de qualité du pouvoir d'achat qui est la façon de mesurer le salaire. Non seulement en termes nominaux parce que je peux avoir une moyenne de 450 à 500 dollars de salaire mais combien de chose est-ce que j'achète dans mon pays avec ces 500 dollars ? Et nous n'avions pas seulement un salaire plus élevé en dollars mais nous avions celui qui possédait la parité la plus élevée... le pouvoir d'achat en parité. Alors... avec les retraités, il s'est passé la même chose. Le degré le plus élevé de couverture, nous arrivons pratiquement à une couverture de 97 à 98% à partir du moment où nous avons réussi aussi à récupérer l’administration des AF JP. Cela nous a permis de réaliser les tâches d'inclusion, les moratoires de retraite qui jusque là irritaient certains parce qu'ils disaient qu'ils n'avaient pas cotisé mais ils ne se rendaient pas compte qu'avec cela, nous obtenions un meilleur pouvoir d'achat, un meilleur pouvoir d'achat pour les gens qui réalimentaient un pays dans un monde qui, à partir de la crise de 2008, était devenu extrêmement difficile et complexe. Parce que tout ce phénomène, en plus se produit dans un monde avec une crise qui n'a pas encore été surmontée, la crise de 2008, quand Leaman Brothers est tombé et ensuite, ils vont, je ne sais pas pour quel sauvetage ils vont mais ils ont plus de sauvetages que les pirates du XVIII° siècle et ils continuent à sauver les banques, ils continuent à sauver les banques alors que les gens continuent à être ruinés, pourquoi, dites-le moi, non ?
Alors le pouvoir d'achat, les négociations paritaires libres, jamais, jamais on n'a arrêté aucune négociation paritaire en Argentine pendant les 12 ans et demis de gestion avec un pourcentage en-dessous de l'inflation, jamais. Jamais les salaires n'ont été baissés en-dessous de l'inflation, c'est pourquoi il y avait du pouvoir d'achat. Et je l'ai dit l'autre jour à l'Institut Patria quand j'ai dû faire une toute petite intervention, que pendant ces 12 ans et demi, les syndicalistes étaient les mêmes et maintenant aussi ce sont les mêmes mais maintenant, les négociations paritaires qui ont été arrêtées cette dernière année l'ont toutes été à la moitié de l'inflation ou moins. Je veux dire que quand les négociations paritaires s'arrêtaient au-dessus de l'inflation avec un fort pouvoir d'achat, ce n'était pas dû à la gestion ou au mérite des syndicalistes, au-delà des exceptions qu'il y a toujours, évidemment mais c'était le produit de la politique d'un gouvernement qui concevait le salaire des travailleurs non comme quelque chose qui coûtait à l'économie mais comme quelque chose qui dynamisait et organisait l'économie par la consommation. Je sais, ils vont dire : « Ca, c'est 'étape de l'investissement et de la consommation. »
Sans la consommation, personne n'investit, c'est une très vieille discussion entre économistes qui vient de l'époque classique, non ? De l'économie. Si c'est d'abord l'investissement et ensuite la consommation. Et sauf si quelqu'un découvre la voiture comme Henry Ford ou ce que Steve Jobs a inventé que... Là, ça peut être d'abord l'investissement et cela produit la demande, la consommation. Mais quand on produit des aliments, quand on produit des voitures aujourd'hui, c'est d'abord la consommation qui garantit au patron que l'investissement qu'il va faire va être rentable parce qu'il va pouvoir le placer sur le marché intérieur ou il va pouvoir le placer sur le marché extérieur à travers l'exportation. Et aujourd'hui, dans un monde en sur-offre, avec de grands excédents, aujourd'hui, le monde a des excédents de toute part, toutes les économies quelque soit son niveau de développement, je me réfère même aux plus hautes technologies et aux techniques les plus élaborées, même celles qui produisent des biens de base, ils ont des excédents de production parce que la consommation a baissé dans le monde entier. La consommation a baissé dans le monde entier suite à la crise qui ne cesse pas, parce qu'on continue à avoir, de plus en plus, plus d'inégalités dans la distribution des revenus et cela s'étend comme une tache d'huile sur toute la planète.
Alors, suite à cela, nous avons des excédents de production de tout côté et à cause de cela, aujourd'hui, on peut voir et, en plus, avec une politique commerciale d'importation libre, nous recommençons à voir dans les supermarchés argentins des oranges de n'importe où, des fruits de n'importe où, des aliments, des cochons,... tout cela porte atteinte au marché intérieur. Cela ne veut pas dire qu'il faut avoir une économie fermée mais une économie qui prend soin des producteurs, des investisseurs et des petites et moyennes industries locales. Bon, c'était la situation en Argentine le 9 décembre et on pourrait dire : bon, mais oui, c'est une opinion. Et je ne me souviens pas, et ce n'est pas un de mes mérites, je ne le prends pas comme un de mes mérites mais comme un mérite des politiques développées pendant 12 ans et demi. Un modèle, un projet de pays. Je ne me souviens pas et s'il vous plaît, si vous sous en souvenez, dites-moi, en Argentine, qu'un gouvernement, après avoir été 12 ans et demi au pouvoir, il s'en va, à son dernier jour de gouvernement ou il va dire au revoir au peuple avec une place où nous n’avions jamais vu tant de monde. Et pas des gens organisés par des partis parce que ça a été le signe distinctif. Moi, ce qui m'a profondément émue, ce 9 décembre, ça a été l'hétérogénéité des gens qui étaient sur la place, la quantité de partis qui étaient sur la place. La première chose que j'ai notée quand je suis descendue de l'hélicoptère qui venait d'Olivos, nous arrivions toujours sur la piste d'hélicoptère à côté de la Rosada, c'est que dans d'autres occasions beaucoup plus importantes, lors d'autres mobilisations... je voyais toujours, en descendant de l'hélicoptère, une quantité de bus.
Cette quantité de bus qui faisait peur à certains personnages de notre pays : « Ils arrivent en bus ». Et oui, tout le monde n'a pas de voiture et les gens, ici, habitent loin et veulent aller à une manifestation et ils y vont en bus. La première chose qui a attiré mon attention sur cette place, le 9 décembre, a été : il n'y avait pas de bus. Je suis descendue de l'hélicoptère et je n'ai pas vu de bus, nulle part. Au contraire, j'ai vu beaucoup de voitures qui stationnaient n'importe comment, au-dessus du sentier, sur les petites places, sur les côtés...Comme si les gens étaient venus en voiture et l'avait jetée là. Que c'est bizarre, il n'y a pas de bus et une quantité de voitures. Et quand je suis arrivée sur la place et que j'ai vu qu'il n'y avait pratiquement pas de drapeaux, qu'il n'y avait pratiquement pas de pancartes, qu'il y avait beaucoup de gens isolés, beaucoup de gens isolés, ce qui m'a été confirmé ensuite par les gens qui étaient sur la place, et qui ont beaucoup tardé à se disperser. Savez-vous pourquoi ces gens ont ont beaucoup tardé à se disperser ? Parce que c'étaient des gens qui n'avaient pas l'habitude d'aller à des manifestations et qui n'étaient pas venus de façon organisée. Quand les manifestations sont organisées, la colonne un tel entre par là et sort par là. La colonne un tel entre par là et sort par là et la manifestation finit là et en 20 minutes, une demie-heure, la place est dégagée. Il y a des gens qui ont mis 2 heures et demi pour arrive à la voiture qu'ils avaient laissée, supposons, à l'Obélisque, parce que les gens se heurtaient dans la manifestation parce qu'ils ne savaient pas par où prendre parce qu'étaient venus des petits, des familles, etc... Alors, je dis, si après 12 ans et demi, lors d'une manifestation que j'ose qualifier d'inédite, un peuple ou au moins une grande partie de ce peuple hétérogène va dire au revoir au Gouvernement qui s'en va...Certainement, il doit y avoir eu des erreurs, des erreurs doivent avoir été commises, il doit y avoir de mauvaises choses. Mais bon, convenons que c'est un phénomène qu'on n'avait jamais vu. Et puissent tous les gouvernements d'ici quand ils finissent, puissent-ils, puissent-ils s'en aller avec une place pleine de gens, parce que, bon, ça signifie que...
Si je vois les retours en arrière, évidemment en ce qui concerne les libertés, je ne peux pas éviter de mentionner le cas de Milagro Sala, prisonnière politique et maintenant s'y sont ajoutés d'autres militants, d'autres dirigeants sociaux parmi lesquels son mari. Ce qui a commencé à se développer en donnant carte blanche aux licenciements. Aujourd'hui, le chômage figure parmi une des... avec l'insécurité et l'inflation, parmi les principales préoccupations des Argentins. Le chômage n'était pas un problème sous notre gouvernement. L'inflation, qui a agité de façon permanente les médias hégémoniques, je me rappelle des émissions qui duraient 1 heure sur le prix de la tomate, par exemple. Il semblait que le prix de la tomate avait explosé et que tout le monde était sur le point de ne plus pouvoir acheter de tomates... Aujourd'hui, l'inflation et la fluctuation des prix des aliments sont constants et c'est une inflation dont je crois qu'elle doit dépasser les 50%, de ce que donnent les indicateurs. Les indicateurs qui ont toujours été très critiquées sous notre gestion, nous avons été 6, 7 mois sans indicateurs et curieusement, ceux que nous ne pouvions pas mesurer par l'INDEC, avec 700, 800, 1 000 employés et tous les instruments propres à un organisme de cette nature, étaient ceux dont ils parlaient tous les mois sous notre gestion quand il y avait l'inflation. L'actuel directeur de l'INDEC est l'un de ceux qui se sont joints aux gens au Congrès et il disait l’inflation est de tant et il y avait des consultants qui avaient 2 emplois ou aucun. Et ensuite avec l'INDEC à sa disposition et toutes les directions des statistiques des provinces, parce que vous savez qu'il y a des accords entre l'INDEC et chacune des statistiques... des directions des statistiques des gouvernements de province d'où sont fournis les indices du chômage.
Le chômage est mesuré dans les provinces par les directions des statistiques qui ensuite communiquent ces nouveautés à l'INDEC. Alors, bon, je crois que oui, il y a un retour en arrière, je crois qu'il y a souvent eu une mauvaise évaluation du gouvernement entrant concernant ce qu'allait être le résultat de leurs négociations, entre guillemets, avec les vautours. Soit ils arriveront à ordonner au Congrès, presque en faisant la queue et en prenant leurs distances pour qu'ils votent un accord dont je crois qu'il a été très mauvais avec les vautours, qui est allé au-delà en janvier, si je me souviens bien. Et non, les investissements se gèrent par rapport à d'autres questions bien que nous, nous supportions une attaque féroce au niveau mondial, financier, parce qu'aujourd'hui, il y a, je dis, il y a 3 étapes essentielles dans tout ce nouveau processus que vit le monde et en particulier la région. Une étape médiatique, un parti médiatique, un parti judiciaire et d'un autre côté, le secteur financier, non ? Qui se répand comme une tache d'huile sur le monde et marque les limites de ces 2 secteurs.
Et bon, nous avons été attaqués pendant toute notre gestion parce que nous ne voulions pas arriver à payer les 1600% en dollars, ce qui nous semblait déjà dépasser le concept d'usure pour entrer dans la spoliation, non ? Et je crois que bon, le fait qu'il y ait eu division entre les partis qui pouvaient accéder au pouvoir est ce qui a précisément encouragé les vautours à continuer d'exiger parce qu'il y avait des gens qui leur disaient par-dessus la tête du gouvernement que s'ils arrivaient au pouvoir, ils allaient s'arranger avec eux et allaient leur payer quelque chose. Cela, évidemment, leur a donné une force inhabituelle pour que les vautours s'entêtent et disent que non, que c'était ça ou rien. Et je me demande quelle aurait été la solution pour les Argentins si tous les partis politiques qui ont toujours beaucoup parlé d'unité nationale et d'arriver à un grand accord, avaient pu arriver à un grand accord entre tous pour dire « qui que ce soit qui gagne, ce que nous allons payer, ce sera ça. » Je suis absolument convaincue que si ça avait été l'attitude de toutes les forces politiques, qui n'avaient pas nécessairement besoin d'avoir une couleur progressiste ou de gauche, ça suffit avec leur amour du pays et qu'ils conçoivent la dette extérieure comme l'un des principaux problèmes sinon le principal problème que pendant des décennies, notre pays et la région ont traversé. Et aujourd'hui, c'est aussi un problème terrible en Grèce et dans d'autres endroits du monde.
En Espagne, où aujourd'hui, elle est pratiquement à 100% du PIB et dont l’endettement et je lisais dans les rapports de presse qui m'arrivent tous les jours, que pendant cette dernière année 2015, 36 000 familles ont perdu leur maison à cause d'hypothèques en Espagne. Le gouvernement a pu être formé à grand peine. Maintenant, le PP et Ciudadanos mais avec 30 % et quelques, 40% et avec une économie en débâcle. Convenons que c'est un moment complexe pour le pays dans un moment complexe pour le monde. Parce que nous ne pouvons jamais, nous, les Argentins, comme je le dis, nous parlons toujours comme si c'était la planète Argentine, comme si nous étions isolés du monde... et qu'il n'y ait rien à voir que... Bon, je crois que tout cela influe, le Brexit, la sortie de l'Angleterre de l'Union Européenne, la situation mondiale, la désintégration aussi des organes régionaux. Le MERCOSUR est très affaibli, l'UNASUR aussi. Nous voyons que l'Union Européenne s'affaiblit aussi, la sortie de l'Angleterre a été un coup dur pour l'Union Européenne. Les BRICS qui se présentaient comme une alternative, ont encore tout frais le souvenir de la présidente Dilma Rousseff convoquant à Brasilia l'UNASUR et les BRICS, se mettant d'accord pour former ce groupe...le fonds spécial des BRICS qui allait être une sorte de fonds alternatif, bon, après, il y a eu des difficultés. Evidemment, au Brésil, celles que nous connaissons, la Russie aussi a eu des difficultés dans son économie. Par quoi on voit qu'en termes d'économie et de blocs économiques, il semblait que naissait une multi-polarité plus importante dans le monde... La situation de la région au MERCOSUR, la situation des BRICS eux-mêmes, la situation d'affaiblissement de l'Union Européenne, à partir du fait objectif de la séparation de l'Angleterre, nous révèlent comment cette multi-polarité qui semblait augmenter a subi un préjudice et nous avons à nouveau, je ne dis pas un monde unipolaire mais quelque chose qui lui ressemble assez.
Et qui n'est bon pour personne, pas même pour ceux qui semblent être les bénéficiaires apparents de cette renaissance de l’uni-polarité, non ? C'est un moment difficile. Je disais, le gouvernement a fait une évaluation, je crois qu'elle est erronée, que les dollars allaient pleuvoir, je crois qu'en plus, le sujet de... remarquez que le 13 avril, personne ne parlait des tarifs du gaz et de l'électricité et je me souviens avoir dit quand cet acte a eu lieu à Comodoro Py, avoir parlé d'un Front Citoyen dans lequel de nouvelles majorités allaient être construites, pas sur les bases sur lesquelles étaient organisés les partis mais sur la façon dont ils allaient être agressés ou non par la politique économique. Et j'ai parlé de la facture du gaz et de l’électricité et du garçon du supermarché, le 13 avril, quand il n'y avait aucun dirigeant politique en Argentine qui constatait ça. Ils étaient tous très enthousiasmés parce qu'ils avaient approuvé l'accord avec les vautours et que tout allait être résolu. Et cela n'a pas fait de moi une visionnaire, ni quelqu'un de clairvoyant, d'intelligent mais simplement une personne qui avait été assise pendant 8 ans dans le fauteuil de la Casa Rosada . Je savais que ces arguments auxquels personne n'avait prêté suffisamment d'attention, annoncés fin janvier et fin février quand ils sont arrivés, quand ils sont arrivés, allaient avoir un impact phénoménal sur l'inflation, sur la qualité de vie et sur toute l'activité économique. Parce que là, il y avait une idée de la façon dont les subventions étaient pour les gens de couleur, de la façon dont les subventions étaient pour les pauvres, pour les habitants des bidonvilles, pour les noirs, que sais-je, comme ils aiment les appeler... pour les « cabezas3 » comme disaient auparavant de façon méprisante. Et non, les subventions étaient pour toute l'économie, elles étaient pour les petites et moyennes industries et aussi pour les grandes.
Les subventions étaient un salaire indirect pour les travailleurs, pour la classe moyenne qui pouvait consommer et qui pouvait voyager, qui pouvait acheter une voiture ou la changer ou acheter une maison. Et il me semble que cela n'a pas été correctement visualisé et je me souviens que le Ministre de l'Economie a dit que l'augmentation représentait la valeur de 2 pizzas. C'est enregistré. Je n'ai pas l'habitude de faire des évaluations subjectives mais des évaluations de faits objectifs. Et je me souviens que quand un journaliste, un de vos collègues, lui a posé des questions sur l'impact de l'augmentation des tarifs sur l'économie, le Ministre de l'Economie dont on suppose qu'il doit avoir une idée de ce qui va se passer, a dit que c'était le prix de 2 pizzas. C'est comme je le dis, non ? Bon, ça a été un peu plus que 2 pizzas, pas des plus chères avec des poivrons rouges, du jambon et des olives de toutes sortes, qui a été atteint pour payer la facture maintenant. Alors, je crois que là aussi, il y a eu une très mauvaise évaluation. Et je crois qu'il y a eu aussi une mauvaise évaluation pour éliminer les revenus de l'Etat qui pesaient sur les secteurs les plus regroupés de l'économie qui étaient très rentables et il s'est dessiné un déficit qui n'existait pas parce que l'INDEC lui-même a indiqué que le déficit était de 1,9 point et non des 7 points qui étaient indiqués par le Ministre de l'Economie, ce qui, en outre, était incohérent... S'il y avait un déficit, réduire précisément les secteurs comme le secteur minier, les retenues, ou les secteurs de production de base hautement regroupés... et aussi les fameux droits à l'exportation, on pense toujours que le la première chose à faire, c'est d'équilibrer le pays au niveau fiscal, si on pense que le problème est fiscal et ensuite récent... Mais dire qu'on a 7 points de déficit, réduire les secteurs qui apportent le plus de revenus : les droits à l'exportation ou les impôts ou si on veut les impôts sur les voitures importées et d'un autre côté augmenter de 100% et plusdes tarifs qui ont un impact sur toute l'économie, depuis les secteurs informels jusqu'aux grandes entreprises... c'est comme un cocktail de choses qui ne vont pas ensemble. Parce que l'un est opposé à l'autre. Alors, je crois qu'il y a eu une mauvaise évaluation, je crois qu'il y a eu un mauvais calcul ou une faute de calcul ou non, ou peut-être, ce qu'on voulait, c'était provoquer un choc pour qu'ensuite les travailleurs acceptent n'importe quel salaire par peur de n'avoir plus de salaire.
Soit une sorte d'assouplissement ou de précarisation obligée grâce à la peur de ne plus avoir de salaire ou parce que l'argent n'arrive pas. Est-ce que ça a provoqué un choc ? Bon, ça, ce sont des hypothèses que je n'aime pas aborder mais ce qui est sûr, c'est qu'au-delà des hypothèses ou des intentions, personne ne doute des bonnes intentions de personne, le résultat me semble avoir été le résultat attendu. Pas celui attendu par la société à laquelle ils avaient dit qu'il n'y aurait pas d'augmentation de tarifs, qu'il n'y aurait pas de dévaluation, qu'on n'allait poursuivre personne, qu'il n'y aurait pas de licenciements, que tout allait aller mieux, même que le football serait conservé, le Football pour Tous4. Je ne parle pas de ça, je parle simplement du fait que ça n'a pas été le résultat attendu par l'équipe même qui s'est auto-définie comme la meilleure équipe de ces 50 dernières années, non ?
Journaliste : On a remarqué que pendant ces dernières semaines, à la différence de mai 2010, le bicentenaire de l’indépendance a été très froid contrairement à celui de mai 2010. Curieux, la même saison d'hiver et 2 anniversaires célébrés d'une façon aussi différente. Cela met sur le tapis quelque chose qui m'inquiète et qui a aussi été souvent une motivation de votre gouvernement et aussi pendant les années de Néstor Kirchner, le thème de l'Etat, de la société, de notre histoire. Au Mexique, où j'ai résidé plusieurs années, beaucoup d'entre nous ont vérifié d'une façon préoccupante l'anéantissement systématique de l'histoire nationale d'un pays qui fut si important pour nous. Et dans lequel Manuel Ugarte a été ambassadeur en 49-50, l'homme de la grande patrie fut peut-être le meilleur de tous. Et pour cela, je le remercie...
CFK: Un grand intellectuel, un grand intellectuel. Je ne sais pas si le meilleur me laisse le défendre, laissez-moi défendre Belgrano qui est à moi, mais un grand intellectuel.
Journaliste : (…) Alors, cet effort qui a été fait pour mettre l'histoire argentine à sa place5, pas dans le local d'un parti, dans un endroit qui mérite d'être l'endroit de la Grande Patrie a été non seulement occulté par les grands médias mais un motif de grande attention dans de nombreux médias non journalistiques mais intellectuels, politiques. C'est à dire... parce que cela était à la fois connecté avec ce qu'Hugo Chávez faisait avec la pensée Bolivarienne au Venezuela et Rafael Correa en Equateur en parlant de la révolution libérale et vous, en invoquant ou en rappelant Belgrano. Votre inquiétude au sujet de l'impact que cela a sur la conscience politique des peuples aujourd'hui, en ce moment si difficile que nous ne savons pas si c'est un lever de soleil ou un coucher de soleil.
CFK: Pour moi, l'histoire a toujours été très importante en tant que signifiant mais pas comme une... à voir comme un récit et un petit conte sur ce qui nous arrive mais comme une compréhension, une signification de ce qui est en train de nous arriver et de ce qui peut nous arriver. Parce que l'histoire n'est pas un conte à propos de qui a existé, de comment on a traversé les Andes, si Mariquita Sánchez de Thompson jouait l'hymne national sur un piano désaccordé ou avec un chignon ou non. L'histoire, c'est pour... pour au moins, pour nous, qui militons et faisons de la politique, l'instrument par lequel on peut changer le destin d'un pays et le destin d'un peuple... L'histoire est la façon que nous avons d'interpréter ce qui s'est passé, de comprendre ce qui s'est passé, de comprendre ce qui nous arrive et de pouvoir prévoir ce qui peut arriver. Mais en plus, c'est aussi une façon de savoir pourquoi nous sont arrivées les choses qui nous arrivent. Et l'une des questions que j'ai toujours trouvées centrales. Et c’est pourquoi la commémoration du 25 mai pour moi, était très importante, pour les Argentins, parce que le 25 mai 1810 était la propriété de l'historiographie libérale en Argentine.
C'était comme... Perón avait pris le 9 juillet comme jour de l'indépendance économique, etc... Peut-être parce que le 25 mai, c'était la ligne Mayo – Caseros6. C'était la ligne de ceux qui, bon... étaient venus de Caseros, ceux qui n’étaient pas nationalistes. Et à moi, il me semble que non, parce que le 25 mai, je ne sais pas si c'était le produit de la génération Billiken, qui sait, moi, je ne sais pas... Et oui, Pedro, ne ris pas. Le 25 mai, nous le représentions au collège, nous prenions de gros peignes, aux enfants, on peignait de petites moustaches, on leur mettait un chapeau haut-de-forme. C'était la noire de mazamo... qui vendait de la mazamorra7, c'était la culture populaire et peut-être, je me disais... Comment, la culture populaire...? Et le premier centenaire avait été célébré sous l'état de siège, avec une forte répression, avec l'infante d'Espagne qui était venue nous rendre visite dans ce magnifique ascenseur que possède la Casa Rosada par lequel monte le Président ou la Présidente quand c'est une femme. C'était un cadeau pour le centenaire, de l'infante qui s'est promenée avec son carrosse dans les belles avenues de Buenos Aires sous l'état de siège avec la répression, avec la faim, avec le chômage, avec des ouvriers en prison, etc... Et en moi a commencé, j'étais déjà sénatrice, à entrer la petite bête du Bicentenaire et quand Néstor arrive à la présidence, bon... nous avons commencé à travailler avec un architecte, avec Margarita Gutman, qui m'a rendu visite, qui était de la New School American de New York, l'université de Stiglitz... Elle, nous avons commencé à discuter du bicentenaire, comment devait être le bicentenaire. Pense que je te parle des années 2004, 2005, nous ne savions pas qui allait être le président en 2010 et je commençai là à parler déjà du bicentenaire et à penser à ce bicentenaire qui devait être d'abord national, profondément national, qui devait être fédéral, qui devait être populaire et qui devait être américain du sud, régional, d'intégration latino-américaine parce que c'était l'histoire... en plus, du 25 mai. Voyons. Qui San Martín a-t-il délivré ? Le Chili, le Pérou, ensuite, il est allé rencontrer Bolívar, ou... ce n'était pas que j'étais en train de m'inventer une histoire comme ils disent : « le récit littéraire ». Non, ce n'était pas un récit littéraire, ceux qui ont occulté l'histoire, ce sont les autres.
Journaliste : Maintenant, il semble que les grands hommes sont très angoissés.
CFK : Je vais te donner une interprétation de cela parce que... rappelle-moi que j'ai une interprétation à propos de ce que tu me demandes. Alors, quand ils nous disent « le récit littéraire». Quel récit ? Nous racontons le 25 mai comme il a été... ce qui nous est arrivé depuis ce 25 mai jusqu'au 25 mai 2010 et la vérité de ce 25 mai 2010 où nous avons marché au milieu des gens. Piñeira, du Chili, président du Chili, Miguel Piñeira, Lula, président du Brésil, Fernando Lugo du Paraguay, Evo Morales de Bolivie, Pepe Mujica de l'Uruguay, Rafael Correa de l'Equateur. Sin policiers. Chávez. Ah ! Hugo, mon dieu, mon Dieu, mon dieu ! Hugo, oui, mon cher ami Hugo. Hugo, marchant parmi les gens. J'ai une camarade qui me dit toujours : j'étais en train de faire pogo et peut-être, je suis revenue ainsi, je suis rentrée dans quelqu'un et c'était Evo Morales qui était derrière moi. Je ne pouvais pas le croire. Et il était incroyable que... d'abord, les présidents quand nous sommes sortis dans la rue, se sont regardés, m'ont regardée et ont dit : allons-nous marcher ainsi, au milieu des gens, dans la rue ? Je leur dis : t'inquiète, il ne se passe rien. Allons-y et personne ne va rien nous faire. La vérité, c'est que ça n'était presque jamais arrivé, 10 présidents marchant dans une foule de plus de 3 millions de personnes. Pepe me dit : Imagine-toi que dans cette rue-là, entre tout l' Uruguay et que personne...et qu'ils étaient un parmi la foule.
Ca a été une chose très émouvante et ensuite, ce rappel de notre histoire où en plus, je vais vous raconter un secret ou une confidence. Nous avions prévu que la patrie volante apparaisse d'abord. Vous rappelez-vous de la patrie volante8 ? Et à cause d'un problème de charrette, nous n'avons pas pu sortir celle de la patrie volante et celle des peuples originaires est sortie d'abord. Et la vérité, c'est qu'il y a d'abord les peuples originaires et ensuite la patrie volante. Le drapeau n'était pas le premier, celui de l'Argentine, d'abord, ça a été les peuples originaires. Et sur un coup de bol, comme nous avons dit... ils sont sortis correctement en termes d'histoire : le premier défilé avait à sa tête les peuples originaires et juste après, venait la patrie volante avec toute l'histoire. Alors, l'histoire doit être vue parce que je crois que les problèmes que nous avons eus ont été la conséquence de notre subordination culturelle. La colonisation militaire et politique... dont nous avons été délivrés par nos héros et par les pères de la patrie a été remplacée plus tard par une sorte de colonisation culturelle contre laquelle le péronisme, l'irigoyisme, le rosisme ont beaucoup lutté mais ça a été des luttes avec des avancées cycliques et des retours en arrière historiques. Parce qu'il n'y a jamais eu un renforcement culturel venu de ce que ces mouvements populaires prônaient.
Ce que l'autre jour, Alvaro Linera racontait, ce dont il parlait, ce qu'il disait de... le déclassement des basses classes quand elles montent, quand, suite à la propre politique que mettent en œuvre les gouvernements populaires, elles finissent par monter socialement et politiquement et ne se rendent pas compte que cette progression politique et sociale, au-delà de l'effort personnel que chacun doit faire évidement pour progresser, est la conséquence des politiques des gouvernements. Et qu'on peut travailler toute la vie, comme disait un de mes amis : et dis-moi, avant que Kirchner arrive au gouvernement, que faisiez-vous ? Vous dormiez jusqu'à midi, vous ne travailliez pas ? Et pourquoi juste à partir de 2003, 2004, 2005, tu as pu acheter la maison, la voiture... ? Avant, tu ne travaillais pas, tu n'étudiais pas, tu en te levais pas de bonne heure ? Mais ça ne te rapportait pas parce qu'il n'y avait pas un Etat qui t’accompagne avec des politiques publiques. En ce qui concerne la subordination culturelle, ça a à voir avec l'histoire et à cause de cela, l'histoire est si importante. Pas comme une question épique ou de devenir héros mais simplement parce qu'elle est importante... Ce n'est pas pour rien que les principales puissances du monde, si tu veux, je te dis les Etats-Unis, ont fait des films sur leur histoire.
L'industrie cinématographique hollywoodienne est une machine à transférer la culture et à transférer l'histoire racontée par eux, évidemment. Vous voyez la seconde guerre mondiale et il semble que ce soient les yankees qui l'auraient gagnée seuls et en ce qui concerne les chiffres, 400.000 soldats nord-américains sont morts et 26 000 000 de Russes sont morts entre la population civile et les soldats. Il est mort beaucoup plus de soldats russes, je crois 8 000 000 de soldats russes et le reste, c'est la population civile. Les Russes sont ceux qui ont eu le plus de morts au front pendant la seconde guerre mondiale. Cependant, demandez à n'importe qui dans le monde et on te dit : Qui a gagné la guerre ? Les Yankees. Et parce qu'ils ont raconté ça, les Nord-américains. Ils y ont contribué, personne ne le nie. Une contribution importante, personne ne le nie. C'est pourquoi il est si important de raconter l'histoire et ceux qui l'ont le mieux racontée ont été ceux qui dominent le monde, les Etats-Unis. Alors, il est important de savoir qui raconte l'histoire et comment elle est racontée. Ce n'est pas une question de récit ni une question épique. C'est aussi une question de façon de raconter des forces dans le monde. Et pour finir et ne pas chercher à échapper à ce que vous m'avez demandé, l'angoisse, je crois que tu penses à ce qu'a déclaré le président en présence du roi, du roi à la retraite pour être plus précise, le 9 juillet. Je vais être sincère : pour moi, ce serait facile de faire toute une élucubration sur le colonialisme et ça tomberait bien... quel esprit colonisé que celui-ci, que l'autre. Ma fille a une interprétation qui dit qu'être une colonie peut être un désir politique.
Et, si je peux me permettre, j'ai une interprétation très personnelle de cette phrase : je crois que quelqu'un qui se psychanalyse depuis longtemps de façon permanente et qui a été quelqu'un qui a été élevé par une famille très puissante et par un père très dominateur... et je sais que maintenant, je vais être horriblement critiquée pour tout cela. Ils vont dire : interprétation psychologique, elle intervient dans la famille. Non, simplement, j'interviens dans une expression... et je crois qu'en ce moment, le président a reflété l'angoisse... quand il parle de l'angoisse qu'ont dû avoir les grands hommes en prenant leur indépendance. Si on me permet une interprétation psychologique, je crois qu'il traduisait un état d'esprit personnel concernant ce que peut éprouver une personne qui se sentait protégée, couverte, dans un environnement quand ils ont dû prendre leur indépendance vis à vis d'une figure paternelle très forte et autre. Par là non, par là ma fille a raison et c'est le désir d'être une colonie qui est également un désir politique mais bon, permettez-moi cette interprétation psychologique bénévole si on veut. Mais le président n'est pas énormément intéressé par l'histoire et il n'affiche pas non plus sa connaissance de celle-ci. Par conséquent, je crois que cette interprétation et ce phénomène d'angoisse qu'on évoque... L’angoisse n'est pas un sentiment politique, patriotique, historique. L'angoisse fait plus référence à une situation personnelle, quand quelqu'un est angoissé... Quelqu'un est préoccupé par la politique, il est préoccupé par la situation économique mais l'angoisse fait... pour le moins... et je ne me suis jamais faite psychanalyser... l'angoisse, pour moi, évoque plus un état d'âme personnel qu'une interprétation politique, historique, surtout lorsqu'il s'agit d'une personne qui n'a pas fait de la politique et de l'histoire un leitmotiv.
Journaliste : Parlons un peu du présent et de ce dont auparavant, on parlait comme du parti judiciaire. Récemment, votre avocat a dit que vous étiez en train d'envisager de recourir à un tribunal international pour dénoncer un harcèlement, une persécution judiciaire face à toute cette vague d'enquêtes, d'accusations, de dénonciations judiciaires. Je voudrais vous demander si effectivement, vous allez le faire, quel tribunal ce sera et ce que vous pensez qu'il va se passer avec ces affaires.
CFK: Voyons. Je crois que le phénomène qu'on vit en Argentine n'est pas un phénomène si peu... je reviens au début, quand Edgardo me demandait... nous avons vu le parti judiciaire, maintenant, je crois que le parti judi... est dans le monde, au moins dans certaines régions, on voit très clairement l'apparition d'un parti des médias qui juge publiquement, un parti judiciaire qui est comme le miroir de ce parti des médias et bon, un secteur qui intervient avec ces 2 étapes fondamentales dans la région. Dans la région, on voit cela très clairement.
Dans le cas du Brésil, l’intervention de ce parti judiciaire s'est vue très clairement. Ici aussi, elle se voit... c'est plus, pendant toute notre gestion, parce que ce n'est pas une question qui arrive maintenant. Notre gestion a été fortement infiltrée par le parti judiciaire. La loi sur les médias a été un modèle contre la monopolisation ou l'hégémonie médiatique, elle a été suspendue par le parti judiciaire. Nous avons eu, quand nous voulions payer avec des réserves, comme ensuite, finalement, nous y sommes arrivés, des mesures préventives... Il y a toujours eu une intervention du parti judiciaire, c'est plus, le projet, la tentative que nous avons faite pour démocratiser le pouvoir judiciaire, le dernier pouvoir organisé en corporation qui reste en Argentine et qui consiste, de façon basique, pas en ce que les juges mais ceux qui font partie du Conseil de la Magistrature, les professeurs qui font partie du Conseil de la Magistrature, les avocats qui font partie du Conseil de la Magistrature, soient également élus par le vote populaire comme sont élus les députés et les sénateurs qui font partie de cet organisme. Pas les juges qui jugent parce que, évidemment, cela n'est pas approprié. Bon, ça a été la seule fois où la Cour a fait usage du per saltum9.
En plus, il y avait des lois qui brisaient un peu cette inertie du pouvoir judiciaire dans lesquelles entraient les fils du juge, les amis, la famille qui constitue ce qui est connu sous le nom de famille judiciaire. C'était une tentative et un projet de démocratisation très large qui aurait permis que la démocratie entre dans un pouvoir qui, naturellement, est corporatif parce que que le pouvoir soit acquis à vie est un obstacle, si on veut, assez ancien, non. C'est le seul pouvoir au monde qui est acquis à vie. Tous les autres pouvoirs sont soumis, au moins les institutions de l'Etat, à des élections, à des renouvellements, etc... etc... Nous souhaitions alors que ce Conseil de la Magistrature ait une représentation strictement populaire qui, en plus du pouvoir judiciaire, aurait pu être intégré au mérite, par des examens et non parce qu'on était le parent ou l'ami du juge ou du secrétaire ou du procureur de service. Et bon, il a été renversé aussi quand il a été envoyé avec un projet du Pouvoir Exécutif, il a été traité par les 2 chambres avec la majorité requise, la majorité absolue parce que pour modifier le Conseil de la Magistrature, la Constitution exige la majorité absolue soit la moitié plus 1 voix des membres du Parlement. Et cependant, ils l'ont renversé, ça a été la seule fois où la Cour a fait le per saltum. Pour se défendre elle-même en tant que corporation. Regardez, maintenant, nous avons le problèmes des tarifs.
Je ne sais pas ce qu'on va payer. J'ai lu qu'éventuellement, les factures arriveront tous les 20 jours. Il y a un patron de journal qui dit que les factures vont arriver tous les 20 jours. Et moi, je dis : Vont-ils aussi payer le salaire aux gens tous les 20 jours ? Pourquoi les factures s'accumulent-elles dont on ne sait pas quand ça va finir à cause de la Justice. Rien de cela ne représente un per saltum, pas même dans des moments plus graves que nous avons vécus. Alors, évidemment, il y a un parti judi... qu'il y a une persécution judiciaire, il me semble que c'est plus qu'évident, qui, en plus, a été annoncée. Si on lit les chroniques des journaux pendant les derniers... moi, je te dirais pendant mon dernier mandat dans sa totalité, des journalistes, des éditorialistes, disaient pendant les 3 ou 4 dernières années que moi, quand je quitterai le pouvoir, il y aurait de sérieux problèmes avec le Justice. C'est écrit en lettres majuscules. Ou ils étaient voyants ou évidemment, ils faisaient partie d'une organisation médiatique judiciaire qui est celle qui se développe maintenant. Des plaintes alors que l'étais encore présidente. J'ai été dénoncée 4 fois parce que je n'étais pas avocate et ils ont fini par me donner le titre à Comodoro Py parce que 4 fois, ils ont affirmé que mon titre d'avocate était faux. Et pas maintenant, sous ma gestion. Ils ont fait une enquête sur moi pour enrichissement illégal, de 1995 à 2012. 3 affaires, non-lieu et ils continuent. L'affaire des dollars à terme, bon, l'affaire des dollars à terme, est la plus emblématique en matière de persécution judiciaire. C'est que ceux qui... parce que, que s'est-il passé ? Moi, je crois que le magistrat, la personne qui a engagé l'affaire, quand on m'a citée, moi et le Ministre de l'Economie, que nous n'avions été cités par le procureur, pensait que les bénéficiaires des contrats en dollars à terme allaient être des amis à nous ou des gens connus de nous. Et quand on a enquêté, il s'est avéré que les bénéficiaires des contrats à terme étaient ceux-là même qui avaient fait la dévaluation.
Et non seulement, c'étaient ceux-là même qui avaient fait la dévaluation mais dans le cas de l'un des fonctionnaires, le vice-chef de la Direction du Cabinet, c'était celui qui avait signé le contrat avec l'ex directeur du ROFEX, qui est l'un des marchés à terme. Le prix qu'il allait toucher en tant que chef d'entreprise quand il avait signé le contrat en dollars à terme, avant de savoir qu'ils allaient gagner les élections. Il a signé son contrat à terme et il a fixé le prix en étant fonctionnaire. Ca, oui, c'est un délit, ça, oui, c'est un délit, parce que c'est une négociation incompatible à cause d'un conflit d'intérêts mais pas... ceux qui ont dévalué et ceux qui ont touché les contrats en dollars à terme ne sont pas inculpés mais nous sommes inculpés, nous, qui avons été ceux qui voulions prendre soin de la valeur de la monnaie et qui l'avons fait. Parce que nous savions qu'une dévaluation allait avoir un impact brutal comme celui qu'il y a eu. Bon, la vérité, c'est que c'est une affaire absolument arbitraire sans queue ni tête, ce qui révèle la persécution et la dernière. Bloquer la pension de la présidente, qui est pathétique et même ridicule mais, bon... cela révèle un peu la situation de persécution... Voyons. Je ne me plains pas. Quand tu décides que les responsables du génocide doivent être jugés par les juges de la Constitution et recevoir les peines pour ce qu'ils ont fait. Quand tu décides de récupérer des édifices comme l'ESMA pour les remettre à la mémoire non seulement du peuple mais du monde.
Quand tu prends la décision de récupérer l’administration des ressources des travailleurs qui ont reçu des commissions des entrepreneurs privés pour 12 000 millions de dollars. Quand tu décides que les travailleurs doivent avoir un salaire qui leur permette de vivre dignement et de stimuler l'économie. Quand tu décides qu'il faut récupérer les Yacimientos Petrolíferos Fiscales (Gisements de Pétrole Fiscaux), l'entreprise la plus importante du monde. Quand tu décides de récupérer Aerolíneas Argentinas et de la transformer en une compagnie aérienne compétitive. Quand tu décides de récupérer AYSA, l'ancienne AYSA, pour faire les travaux d'infrastructure nécessaires. Quand tu décides ces choses-là, bon, il était clair que l'un des risques est la prison et qu'ils te poursuivent politiquement. N'importe quoi... une autre ne prendrait pas ces risques mais ce sont les risques qu'on doit prendre au-delà du fait qu'aucune de ces affaires, au-delà du fait qu'aucune de ces affaires qui sont toutes inventées, il n'y ait pas la plus petite entité pour condamner quelqu'un. Mais bon, ce sont les risques non juridiques parce que cette Constitution n'a pas appliqué les juridiques, ces codes de procédure et tous les codes de fonds ne feraient pas qu'il y ait un risque. En appliquant les codes de la politique en Argentine et oui, c'est l'histoire argentine, en plus.
Pedro Brieguer: Présidente, lors de l'une des dernières réunions du MERCOSUR, vous étiez très satisfaite de l'entrée du Venezuela, de l'incorporation aussi de la Bolivie... Maintenant, nous voyons une crise au MERCOSUR, et une tentative pour isoler le Venezuela grâce au gouvernement par interim du Brésil et avec le soutien du Paraguay et de l'Argentine. L'économiste Alfredo Serrano Mansilla a une expression au sujet de ce qui arrive sur le continent de Notre Amérique Latine qui est « un continent en affrontement ». Je me souvenais de quand vous avez signalé aux Nations Unies en 2009 ce qui s'était passé au Honduras, ce que vous avez fait là, c'était pour essayer de restaurer le gouvernement de Manuel Zelaya. Il y a eu plusieurs tentatives de destitutions, des coups d'Etat contre Hugo Chávez en 2002, Rafael Correa, Manuel Zelaya, Fernando Lugo, Evo Morales. Comment comprend-on ce qui se passe dans la région en tenant compte aussi de ce qui se passe au Brésil ? Quel est l'axe de l'affrontement et qu'est-ce qui fait que cet affrontement est si fort ?
CFK : C'est très simple, Pedro. Maintenant, je vais répondre à la première question que m'avait posée Edgardo mais tu me l'as posée tout à l'heure. Tu dis « continent en affrontement » et je crois que là commence le problème. Je reprends depuis l'analyse disant que les Etats-Unis avaient été un état un peu détourné (de l'Amérique Latine) à cause de sa lutte contre le terrorisme et du fait qu'il avait été agressé fortement sur son propre territoire à partir des Tours Jumelles. Je crois que ce continent en affrontement commence à se voir clairement quand les gouvernements nationaux et populaires - Brésil, Argentine, Venezuela, Bolivie – commencent à avoir des relations commerciales, politiques et économiques avec d'autres acteurs internationaux, en particulier avec la République Populaire de Chine, avec la Russie, qui étaient des terrains interdits à ces pays de la région. Les accords stratégiques conclus par l'Argentine, par exemple le premier, qu'a conclu le Président Kirchner avec le Présidente Hu Jintao et moi, ensuite, je l'ai renforcé avec le Président Xi Jinping, dont l'expression la plus caractéristique est la construction, pour la première fois, de 2 barrages hydroélectriques de grande taille par les Chinois, ni plus ni moins qu'en Amérique du Sud, le Belgrano Cargas, sur lequel je lis malheureusement qu'il semble qu'ont été arrêtées les négociations avec le gouvernement chinois sur le Belgrano Cargas, qui transporte sur 9 000 km et traverse sur 1 000 km toute la partie NEA-NOA du pays. Je crois que ça commence là et avec la participation du Brésil aux BRICS.
La réunion dont je parlais, où étaient présents Xi Jinping, Poutine, le président d'Afrique du Sud, tout cela, évidemment, à Brasilia, et la création de ce fonds presque alternatif à ce que pourrait être la gestion du Fonds Monétaire International, crée une alerte rouge – je crois – dans un pays comme les Etats-Unis qui est un pays qui ne pense pas à voir qui va gagner les élections, si c'est Hillary ou Trump. Le système nord-américain est le même que ce soit l'un ou l'autre qui gagne. Je ne critique pas qu'on pense de cette manière en tant que puissance. Toute puissance pense son développement non sur la base de la prochaine élection présidentielle ou des prochaines élections législatives mais de sa survie en tant que telle pendant les 50 ou 60 prochaines années, elle planifie de cette manière. Le parti Communiste Chinois aussi le fait de cette manière. Souvent, la Chine avec plus d'inquiétude parce qu'ils sont 1 400 millions dont il faut prendre soin et dont le nombre augmente de plus en plus. Ou les grandes puissances ont une planification stratégique à long terme. Et évidemment, je crois que les Etats-Unis peuvent avoir vu que la République Populaire de Chine était en train d'entrer dans la région, que la Fédération de Russie était en train d'entrer dans la région et que cela pouvait être l'objet de problèmes dans une région qui est : un des aquifères les plus importants du monde, une des réserves de minerais les plus importantes du monde, une des réserves en énergies les plus importantes du monde – le Venezuela, notre propre Vaca Muerta – et en plus en aliments, une autre chose essentielle. Nous sommes le grand producteur d'aliments, de matières premières dans le monde, c'est pourquoi nous sommes une région stratégique pour le développement et le maintien de tout pays qui aujourd'hui est une puissance dans le monde. Je crois que cela doit avoir fait bouger des intérêts, des pensées et des actions de telle manière qu'il y aurait une limitation aux investissements ou à l'ouverture de ces pays, de nos pays, à des gouvernements qui, évidemment, ont aussi des différends commerciaux, des différends géopolitiques.
Une nouvelle carte géopolitique est en train de se redessiner dans le monde complexe, beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît parce que ce qui semble être une tension entre la Chine ou les Etats-Unis pour des questions économiques, ou la Russie, comprend un ingrédient nouveau qui est l'apparition du terrorisme dans le monde, un ingrédient très fort, très nouveau, qui est absolument post-moderniste. Les leaders modernes étaient des individus, non ? C'étaient Mandela, Fidel Castro, Charles de Gaulle, Kennedy, Perón, Yasser Arafat, c'étaient des individus. Figurez-vous que la seule trace de leader moderne, c'est Vladimir Poutine mais ensuite, les leaderships sont basés de façon systémique sur ce que sont les Etats-Unis. Figurez-vous ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis, un autre sujet sur lequel j'ai envie de discuter, là. Dans quelques temps, le premier mardi de novembre, il va y avoir des élections aux Etats-Unis et il y a 2 candidats qui peuvent gagner : Trump ou Hillary Clinton. L'un a - disent-ils – 57%-58% d'opinions défavorables. Hillary dit qu'elle a 52%-53% d'opinions défavorables. C'est à dire que plus de la moitié des Etats-uniens n'apprécient pas les 2 candidats de leur pays. Avec ça, ils ne vont pas voter pour le candidat qui leur plaît le plus, ce qui est normal, mais ils vont voter pour le candidat qui leur semble le moins mauvais. C'est très mauvais pour la politique parce que cela donne un pouvoir énorme aux corporations et c'est ce qui a toujours fait peur à l' establishment des Etats-Unis, qu'il ne leur sorte pas à nouveau un Roosevelt qui peut-être leur mette l'échiquier en désordre.
Aux Etats-Unis, le président pouvait être réélu indéfiniment jusqu'à ce que Roosevelt ait gagné 4 fois les élections. L'un d'eux, qui, en plus, était un homme qui luttait contre les corporations et qui disait : « J'ai là la clef et je ne pense la donner à aucune corporation parce qu'elle est au peuple des Etats-Unis ». Je crois alors que lors d'une élection où sera élu Hillary Clinton ou Trump, ce sera un président assez faible face au pouvoir des corporations. Aux Etats-Unis, il n'y a pas de leader individuel, c'est systémique, c'est le leader d'un système de pouvoir. Après, tu as le leader chinois qui par ses caractéristiques propres, est le leader du Parti Communiste Chinois, ce n'est pas un secret, qui, en plus, élit ses leaders provisoirement mais celui qui dirige, c'est le Parti Communiste Chinois. Oui, il y a Poutine qui est un leader individuel. Et ensuite, les leaders qui ont surgi dans la post-modernité sont d'ordre religieux : le Pape François est un leader très fort et d'un autre côté, celui du monde islamique qui ne reconnaît aucne figure ponctuelle mais ce sont des leaders de caractère religieux et spirituel, ceux de la post-modernité, ce qui n'est ni bon ni mauvais en soi mais implique des défis différents.
Ce qui s'est passé à Nice par exemple. C'est une question dont j'ai discuté et il semble que cela n'a plu à personne au Conseil de Sécurité quand j'ai dû intervenir à New York en septembre 2014, quand j'ai dit que l'année précédente, ils nous avaient demandé notre soutien pour envahir la Syrie, renverser al-Ásad et aider les fighters of freedom qui étaient les guerriers de la liberté et l'année suivante, les guerriers de la liberté étaient devenus l'ISIS et étaient des ennemis de l'Humanité. Cela ne s'est pas passé en un siècle, cela s'est passé en à peine 1 an. Je veux dire qu'il y a eu une mauvaise évaluation de la part de la première puissance du monde en ce qui concerne ce qu'a été la Révolution Arabe, le Printemps Arabe ou n'importe comment qu'on l'appelle, une mauvaise évaluation concernant les guerriers de la liberté qui ont fini par être ceux de l'ISIS. Et moi, j'ai dit à ce moment-là que le monde allait devenir un endroit sans sécurité, où que ce soit et que le terrorisme, ce qu'il cherchait, c'était ça : créer la terreur. Que ces films sur lesquels ils décapitaient des gens pour faire peur aux gens étaient précisément le leitmotiv du terrorisme. Et regardez ce qui s'est passé à Nice maintenant.
Toute personne qui aurait peur d'un attentat terroriste dirait : bon, je ne prends pas le métro parce qu'il peut arriver ce qui est arrivé à Atocha, je ne vais pas dans un restaurant fréquenté parce qu'il peut exploser, si je vois quelqu'un avec une arme, je vais courir parce qu'il peut me tirer dessus. Ce n'est pas encore la peur que quelqu'un se fasse exploser ou commence à tirer dans l'Aéroport d'Istanbul comme nous l'avons vu également dans le dernier attentat à Istanbul dans lequel beaucoup de gens sont morts, ce que nous pourrions appeler le terrorisme connu. Non, maintenant, nous nous trouvons avec des loups solitaires. Qui peut penser, quand il voit un camion que le camion va lui passer dessus ? Personne. C'est pourquoi il y a eu tant de morts, parce que personne n'a couru quand il a vu venir le camion, parce que personne ne pense qu'un camion va tirer. On pense que s'il y a un terroriste, il va se faire exploser, ou un homme armé va apparaître ou il va faire exploser une bombe, ou on ne monte pas dans un avion de peur qu'il y ait un attentat.
C'est ça, le terrorisme : faire sentir aux gens qu'ils ne vont être en sécurité nulle part. Et j'ai lu l'autre jour 2 analyses, l'une était de Jorge Alemán – le psychiatre – qui parlait du terrorisme et de la pensée circulaire10, des gens qui sont des loups solitaires qui ne sont même pas organisés mais qui viennent sur la terre de leurs ancêtres et détruisent tout et ce personnage, en plus, souffre des inégalités et de la marginalisation dans les économies ou dans les pays occidentaux et alors, un jour, il se lève et commence à essayer de découper les gens avec un cimeterre, comme c'est arrivé dans un avion. Alors, nous sommes dans un monde très complexe et il n'y a pas de stratégie claire pour affronter ce phénomène du terrorisme, comme nous l'avons vu à Nice, une ville d'extrême droite française. Alors, je crois que cela demande que ceux qui ont l'immense responsabilité de conduire les destinées du monde, parce qu'ils le font, parce qu'ils font partie du Groupe des 5+1 qui, par exemple, sont arrivés à l'accord nucléaire avec l'Iran – ce sont les pays les plus importants du monde, que cela nous plaise ou non, mériteront nos critiques, mais bon... - je crois que là, il manque un leader pour s'asseoir et penser une stratégie différente parce que si on continue avec la stratégie d'aller envahir et bombarder des pays, c'est chaque fois pire. Einstein disait que c'était un symptôme de folie de chercher d'autres effets avec les mêmes méthodes.
On en est venu à faire cela : on envahit un pays, on le bombarde, on tue le tyran, le leader de service. Regarde ce qu'est la Libye aujourd'hui: un conglomérat de tribus où il faut aller et négocier avec chaque tribu pour voir qui sortira le pétrole d'ici ou de là. Moi, j'ai pu voir Muammar Kadhafi en Libye s'asseoir avec tous les chefs africains, avec tous les chefs des tribus et les organiser. Et plus encore, quand il était en Libye, c'était Bush qui était président, à ce moment-là et le fils aîné de Kadhafi rencontrait Condoleezza Rice à Washington ou il y avait des négociations. A cause de cela, je dis qu'il y a une mauvaise lecture, une mauvaise évaluation et suite à cette mauvaise lecture et à cette mauvaise évaluation, on commet des erreurs qui ont permis que l'un des diplomates les plus connus concernant le Moyen Orient (Christopher) Stevens soit assassiné, précisément à Bengasi, où se trouvaient les combattants de la liberté. Bon, là où se trouvaient les combattants de la liberté, ils ont tué un diplomate états-unien qui était un expert en matière de Moyen Orient. Alors, il me semble que c'est le moment de s'asseoir et de repenser les stratégies. Je ne vais pas savoir le faire, moi, vous n'allez pas savoir le faire, vous mais j'imagine que ceux qui sont assis ou s’assoiront à Washington, au Kremlin, à Beijing, à Berlín, à París ou à Londres vont devoir le faire. Ils vont avoir à la faire parce que cela empire et pas que parler si nous parlons de la question économique dont je pense que c'est l'autre question, également liée (à cela). L'autre jour, Rogers le disait, que les inégalités font naître aussi des loups solitaires dans le monde, en Europe. Cet homme qui conduisait le camion était un Français fils de Tunisiens qui a tué une multitude de Musulmans et de tunisiens en les renversant avec le camion.
Regardez comme ça va faire une boule de neige qu'on ne peut plus arrêter. A cause de cela, je dis que c'est un monde très complexe qui demande beaucoup d'intelligence et en particulier de comprendre que la bonne voie est la coopération internationale sérieuse, que le monde de la domination où l'un dit « C'est comme ça » et tout le monde dit « Oui, bwana11 ! » est terminé. Au moins pour une partie du monde, c'est terminé. Le type qui est monté dans le camion, ce que dit le président des Etats-Unis, ça ne l'intéresse pas, ni ce que dit Poutine ni de que dit Xi Jinping. Et le prochain qui montera je-ne-sais-pas-où et qui s'écrasera sur je-ne-sais-pas-qui n'en aura rien à faire non plus. Alors, il me semble que nous devons être dans cette logique. Il y a un phénomène social, de communication dans ce monde totalement interconnecté où j'appuie sur Enter et je capte quelqu'un qui filme un assassinat. Ce qui se passe aux Etats-Unis, nous avons un président de couleur et le conflit racial renaît avec des policiers tués par des gens de couleur qui se sentent agressés par cette police. Ce n'est un secret pour personne que la population carcérale des Etats-Unis, la plus importante du monde, est composée essentiellement par des gens de couleur et des Latinos. Alors, les inégalités sont aussi un élément puissant dans un monde si peu sûr. Je ne dis pas que ce soit l'unique composante, il me semble qu'il y en a beaucoup d'autres et qu'on doit s'asseoir et y penser.
Journaliste : Présidente, revenons un peu à l'Argentine. Votre gouvernement a pris une série de décisions qui, à l'époque, ont été critiquées par certains secteurs de la société, comme par exemple le régime de change, le régime des importations. Aujourd'hui, prendriez-vous les mêmes décisions ou changeriez-vous quelque chose ? Merci.
CFK : Un peu court, bien russe. Du régime des changes, on en a beaucoup parlé. Je savais qu'on me poserait cette question et j'ai regardé quelques chiffres. Entre le 27 janvier 2014 et le 4 décembre 2015, un peu moins de 2 ans, savez-vous combien de dollars ont été vendus sur le Marché Unique Libre de Change ? Combien La Banque Centrale a vendu, pas à des importateurs, pas à des chefs d'entreprises, à ceux qui achetaient des billets avec le consentement de l'AFIP pour capitaliser ? 9.500 millions de dollars en billets, pour capitaliser. Cependant, on disait que les gens ne pouvaient pas acheter des dollars. Et quand on a vu la quantité, qui étaient ceux qui les achetaient – je n'ai pas les noms mais j'ai les secteurs d'activité – c'étaient des salariés. En plus, c'était très facile d'en acheter, les plus gros achats de dollars se produisaient toujours entre le 28 et le 29 de chaque mois et le 4 et le 5 du mois suivant, quand les salaires étaient payés. C'est à dire qu'il y a eu des Argentins salariés qui ont pu acheter 10 000 millions de dollars bien que les journaux aient dit : « Les dollars ne se vendent pas. » Et je ne te parle pas des Argentins qui voyageaient dans le monde avec des cartes, ici, c'était illimité, la carte devait être payée et le gouvernement payait les cartes et les passages. Alors, on a eu l'idée dans la société qu'on pourrait accéder aux dollars. Quand Kirchner est arrivé au pouvoir, on pouvait acheter environ 500 000 dollars par personne et par mois. Evidemment, personne ne pouvait les acheter à ce moment-là ou peu de gens pouvaient les acheter. Ensuite, quand l'économie s'est relevée, on a augmenté à 2 millions de dollars par mois pour éviter que le peso ne soit surévalué.
Mais dans tout processus de réindustrialisation comme celui qu'il y a eu en Argentine, l'étranglement du secteur extérieur, et dans un processus ascendant de grande mobilité sociale où en plus il y a une habitude très épurée dans la société argentine qui est celle de thésauriser des dollars pour l'épargne, une chose qui n'arrive pas par exemple au Brésil ni dans d'autres économies, l'étranglement du secteur extérieur à cause de la demande en dollars, en monnaie forte, a été une constante dans notre histoire. C'est également arrivé à Perón pendant son premier et son deuxième gouvernements. C'est que c'est la conséquence de la croissance économique et d'une accélération de la croissance parce que, c'est amusant, parce qu'on a dit que nous avions un gouvernement anti-américain... Si vous voyez la balance des paiements pendant un gouvernement pro-Etats-Unis comme fut celui de Menem pendant les années 90, la balance commerciale était déficitaire pour les Etats-Unis. Cependant, la balance commerciale sous notre gouvernement, fut très excédentaire pour les Etats-Unis. Parce que, comme nous étions en train de nous réindustrialiser et que nous achetions des biens d'équipement12 pour l'industrie, pour produire, nécessairement, nous faisions appel aux économies à technologie plus avancée et les Etats-Unis en sont une.
Par conséquent, la politique du change ne changera pas parce que si elle changeait, ce serait peut-être la politique industrielle pour la rendre moins dépendante ou pour que le développement soit plus parfait et que les chaînes de production ne demandent pas autant de devises.
Mais figurez-vous une chose, on fait une manifestation avec des casseroles là, pour le 8 novembre, parce que les gens ne pouvaient pas acheter des dollars, et je leur demande à tous : maintenant, combien de dollars pouvez-vous acheter ? Maintenant, on peut acheter tout ce qu'on veut, d'abord, ça a été 2 millions, puis 5. N'importe quel Argentin peut obtenir la quantité qui lui passe par la tête. Mais j'ose dire que c'est une infime minorité. Sous ma gestion, ils sont arrivés à faire 14 millions d'opérations d'achat pour presque 10 000 millions, de la part des salariés et de la classe moyenne qui épargnait en dollars ce qui leur restait à la fin du mois. Ou ils l'utilisaient soit pour payer les mensualités de la voiture, réparer un réfrigérateur ou une climatisation. Maintenant, on les critiquait même pour utiliser la climatisation ou avoir une cuisinière, moi, je ne leur ai jamais interdit et je ne me suis jamais mise en colère parce que quelqu'un utilisait ces appareils électro-ménagers. Au contraire, c'est sous notre gouvernement que des millions d'Argentins ont pu les acheter, les remplacer ou même accéder au gaz.
Alors, je crois que beaucoup de choses seraient améliorées parce qu'on cherche toujours cela et on essaie de faire au mieux. Mais on croit au mythe qu'il n'y avait pas de dollars et je l'ai dit alors, qui a emporté les presque 10 000 millions vendus entre le 27 janvier 2014 et le 4 décembre... j'estime qu'ils doivent être arrivés à plus. Comment peut-on dire qu'il n'y avait pas de dollars si tout le monde voyageait à l'étranger et payait par carte ? On croit au mythe disant qu'ils ne les avaient pas, c'est pourquoi, je répète : combien d'Argentins ont pu acheter les mêmes dollars qu'ils achetaient auparavant ? Certainement, ils les ont et ce n'est pas mauvais qu'ils les aient parce qu'ils les ont toujours eus. Ce qui est mal, c'est de tromper et de mentir aux gens. Et ce qu'on te disait quand un appareil hégémonique des médias installe un sentiment commun dans le meilleur style de Gramsky qui a fini par agir contre les intérêts de ceux qui font usage et affichent ce sentiment commun. Je me rends compte qu'il y avait des gens qui critiquaient les subventions et maintenant, ils sortent pour protester avec des casseroles parce qu'ils ne peuvent pas payer le gaz. Et c'est bien qu'ils le fassent. Parce qu'il y a aussi un autre mythe que je veux éclaircir parce qu'il est important, on dit qu'il y avait un déphasage entre ce qu'on payait en services dans le Grand Buenos Aires et dans le pays profond. Je veux, lors de cet acte solennel, vous raconter comment était le système. Celui qui vend l'énergie c'est Camesa, à travers l'Etat, c'est l'administrateur en charge des tâches de production, de transport et de distribution.
Notre gouvernement faisait payer le mégawatt le même prix à Edenor et à Edesur qui sont les grands distributeurs de la Capitale et de la banlieue qu'à Epec, le distributeur de Córdoba, qu'à celui de Santa Fe, de Misiones ou de Santa Cruz. Pour que vous voyez que je suis neutre, que font-ils là ? L'entreprise de distribution de la province est publique. Mais ceux à qui on payait beaucoup plus cher ce mégawatt étaient les distributeurs qui, dans certains cas, sont d'Etat et dans d'autres cas, privés. Cela ne se passait pas à Buenos Aires parce qu'Edenor et Edesur sont les 2 seules entreprises dans lesquelles c'est l'Etat qui fixe les prix. Le même Etat qui est représenté aujourd'hui par le gouvernement actuel, il a fait un énorme transfert aux distributeurs dans lesquels il y a aussi des amis du gouvernement. Petrobras, qui a été acheté lors d'une opération de Pampa Energy, un fonds administré par Midlin et Lewis, le magnat du sud. Une opération de 900 millions de dollars sur lesquels ont été payé 300 millions. Il reste encore à payer à Petrobras 600 millions. Et qui va payer cette différence ? Midlin ? Non, vont la payer tous les consommateurs de gaz de la République Argentine. A cause de cela, il faudrait voir comment sont composés les staff des sociétés des principales entreprises de production et de distribution d'électricité et de gaz. Sans aller plus loin, celui qui était le patron de Metrogas jusqu'en décembre de l'année dernière est aujourd'hui en charge d'Energas, où il doit s'occuper de contrôler Metrogas. A cause de cela, un autre des problèmes en matière de tarifs est la collusion, le conflit d'intérêt entre ceux qui sont les patrons des entreprises de gaz ou de pétrole et les fonctionnaires du gouvernement. Et ensuite, c'est le cas du ministre de l'Energie qui, sous notre gouvernement, aurait été l'objet de dénonciations à La Haye ou à la Cour Inter-américaine des Droits de l'Homme.
L'autre question que vous m'avez posée concerne les importations. Aujourd'hui, nous avons un régime de libre importation et nous pouvons voir des rayons avec des produits du monde entier. Le libre commerce n'est encore pratiqué dans aucune partie du monde. C'est un drapeau brandi par les pays importants alors que chez nous, par exemple, est interdite l'entrée des citrons des Etats-Unis et nous avons dû faire un procès pour qu'ils y laissent entrer la viande. Tout le monde protège sa production, ses chefs d'entreprises, ses commerçants, ce qui ne veut pas dire que nous nous fermons au monde. En fait, ce que nous voudrions, c'est que les multinationales viennent investir. Maintenant, si on leur permet d'importer librement, pourquoi est-ce que je vais investir dans le pays, avec un marché intérieur déprimé en ce qui concerne la consommation, si je peux produire à moindre coût dans mon pays d'origine ? Alors, je vais ouvrir un bureau de commerce d'importation avec une chaîne de distribution et point. Le problème, c'est que c'est un raisonnement à court terme puisque, s'il n'existe pas de consommation, si on a fermé les commerces, qui va acheter ces produits importés ? Quelques-uns le feront mais ce n'est bon ni pour la démocratie ni pour le pays, ils devraient réviser ces politiques. Ce n'est pas fermer l'économie, cela signifie prendre soin de ce qu'on produit. Maintenant, on peut trouver des oranges d'Israël ou des cochons du Danemark... vous savez combien de gens qui n'ont même pas voté pour nous, qui ont investi dans le secteur rural, dans des élevages de porcs parce qu'il fallait remplir le quota du marché intérieur, maintenant, doivent les tuer parce qu'entrent des porcs du Brésil ou d'Allemagne à des prix avec lesquels nous ne pouvons pas entrer en compétition, en plus d'abandonner les droits sur le maïs avec un revenu de base pour l'industrie avicole, porcine et des fermes celui-ci s'envole au niveau international.
Le secteur fermier se porte mal aussi, le maÏs est cher, les produits vétérinaires ont beaucoup plus augmenté que le prix du produit et les revenus de la ferme. Le changement aujourd'hui, c'est un retour en arrière avec l'ajout du fait qu'il n'y a pas de consommation intérieure pour soutenir une parité du change compétitive pour la production nationale. C'est le grand problème, les difficultés que je vois à grands traits, que la meilleure équipe de ces 50 dernières années, certainement, trouvera la solution. Pour le moment, il faut demander qu'on trouve une solution à quelque chose d'aussi simple qu'une facture de gaz parce que les gens ne savent pas encore combien ni quand ils vont devoir payer... 400%, 1000% tous les 2 mois ou tous les 20 jours. Enfin, si on arrive à trouver une solution à cela, je parie qu'ils peuvent trouver une solution à des choses un peu plus complexes.
Journaliste : Ces derniers mois, nous avons vu des gens proches de vous comparaître devant la Justice. Est-ce que la possibilité qu'on décide de vous arrêter vous préoccupe et quelle est votre réponse à cette quantité de généralisations qu'on voit dans les médias ?
CFK: A première vue, en ce qui concerne la peur de la prison, non. Si j'avais eu peur de la prison, je n'aurais pas fait ce que j'ai fait en tant que Gouvernement, je n'aurais sans doute pas non plus milité dans les espaces politiques dans lesquels j'ai milité depuis ma jeunesse. Etre péroniste n'a jamais été facile dans ce pays. Et ça n'a jamais été sans prix. Péronistes, avec l'orientation que nous avons toujours eue, nous qui partageons cet espace. En ce qui concerne les épisodes que vous mentionnez, aucune généralisation n'est bonne. Ce qui a pu se passer avec tel ex fonctionnaire, sans le minimiser, c'est ce qui peut se passer dans n'importe quel gouvernement. Mais j'aimerais aussi dire qu'entendre une personne qui s'appelle Macri parler de pillage de l'Etat, parler de travaux publics ou de certaines choses, me semble un manque de respect pour la mémoire et l'histoire récente des Argentins. Moi, je n'ai aucune entreprise de construction, en effet, je l'ai dit l'autre jour en parlant avec un de tes collègues, je soutiens qu'il faut créer au Parlement une commission bi-camérale d'audit des travaux publics.
En Argentine, on a investi dans les travaux publics, pendant les 12 dernières années, 107 000 millions de dollars. De 1990 à 2002, on a investi 18 000 millions de dollars. La seule chose que je demande, c'est qu'on fasse un audit sur les 12 dernières années pour déterminer s'il y a eu des sur-prix, qui les a empochés. Parce qu'en ce moment où le Gouvernement a décrété une nouvelle fixation des prix des travaux publics, c'est indispensable. Dans quels travaux est-ce que ça a été re-déterminé dans ceux où il y avait déjà des sur-prix ? Les derniers 45 000 millions qui ont été attribués pour l'enfouissement du train Sarmiento, une œuvre que nous n'avons jamais pu commencer parce que l'UTE, l'entreprise qui a gagné l'appel d'offres, de laquelle fait partie IECSa, de Calcaterra, petit-fils et ami de Macri, avec Odebrecht et d'autres entreprises, a besoin d'un financement privé, ça ne devait pas venir de l'Etat. Et maintenant, on m'informe que par décret, on lui attribue 45 000 millions pour le financer. Que se passe-t-il avec les entreprises qui ont perdu cette accréditation parce qu'elles n'avaient pas de financement extérieur ?
A cause de cela, je crois qu'on doit faire cet audit des travaux publics de ces 12 dernières années puisque ce sont 107 000 millions, sur lesquels 57% ont été faits par le Gouvernement national mais le reste a été fait et soumissionné par les gouvernements des provinces et des municipalités. La seule chose que faisait le Gouvernement national, c'était d'envoyer l'argent. Et il y a environ 25 000 millions pour les Ponts et Chaussées, le même chiffre pour les infrastructures énergétiques, vous avez 15 000 millions pour les logements, faits par les provinces, environ 12 000 millions en travaux concernant l'eau, 11 000 millions en transfert de fonds fédéraux solidaires du soja que faisaient les gouvernements municipaux. Pour cela, il serait très intéressant et nécessaire de déterminer ce qui s'est passé et chacun devra répondre de ce qu'il a fait. Moi, je vis dans cette maison, qui est à mon nom, et qui était à moi avant que je sois présidente. Je ne vis pas dans une maison donnée par une entreprise de construction. Je crois que le sujet de la généralisation n'est pas bon et en plus avec les conflits d'intérêt et avec certaines affaires de scandales de notoriété publique et pour les procureurs, c'est simple. Il suffit de décrocher un téléphone pour savoir avec qui ces fonctionnaires parlaient, avec qui ils se réunissaient. Nous voyons que certains des principaux adjudicataires des travaux publics font partie du Gouvernement, il faut faire attention à cela parce que ça finit par avoir un impact important sur la politique. Comme si la politique impliquait qu'ils sont tous égaux, que politique est synonyme de corruption et quand cela finit par s'enraciner dans une société finalement, c'est le triomphe des corporations qui continuent à manoeuvrer les gens avec le concept que la politique est corrompue. Non, la politique n'est pas corrompue. Il peut y avoir des hommes politiques corrompus, identifiez-les moi. En ce qui concerne la question sur les affaires, je crois que même les journalistes les plus anti-K13 – si on veut les appeler ainsi – disent que l'affaire des dollars à terme est arbitraire. Comment peuvent-ils inculper une présidente, un ministre de l'économie et un directeur de la Banque Centrale qui n'ont pas été ceux qui ont décidé une dévaluation et n'étaient pas les bénéficiaires des contrats en dollars à terme ?
Là, vous avez même une première affaire qui est évidemment une stigmatisation d'un secteur politique. Mais en plus, les dénonciations qu'on a faites sur moi, même quand j'étais Présidente, j'ai été impliquée dans 3 affaires d'enrichissement illégal, on a fait une enquête sur moi de 1995 presque jusqu'en 2012, toujours pour des choses liées à des Déclarations Officielles de Patrimoine. On ne m'a trouvé aucun compte à Panamá. Je n'ai aucun compte à l'étranger. Je n'ai pas de sociétés secrètes qu'on m'ait découvertes. Tout ce qu'ils disent est écrit dans mes propres Déclarations Officielles de Patrimoine signées et présentées par moi solennellement non seulement devant le Bureau Anti-corruption mais aussi devant l'AFIP. Quelqu'un peut-il être assez fou pour déclarer des choses dans une Déclaration Officielle de Patrimoine pour qu'ensuite, sur la base des chiffres qui se trouvent dans cette Déclaration Officielle, ils disent, non, il a commis un délit ? Et il en résulte que tous les jours, il y a des gens qui, quand ils n'ont pas de comptes à l'HSBC, qui font fuir l'argent du pays, apparaissent dans les Panamá Papers, ensuite, ils disent qu'ils avaient oublié qu'il y avait un compte.
Imagine-t-on qu'ils me trouvent un compte à l'étranger et que je dise que je ne m'étais pas rendue compte que j'avais un compte à l'étranger. Qui aurait accepté que moi, je dise cela ? Si au moment des Panamá Papers, les journalistes allemands eux-mêmes disaient cela, les journalistes argentins étaient excités parce qu'ils pensaient qu'ils allaient trouver un Kirchner dans les Panamá Papers. Et ils n'ont trouvé aucun Kirchner, ils ne vont pas en trouver, pas le moindre Néstor Kirchner, Cristina Kirchner, Máximo Kirchner et Florencia Kirchner, parce que tout ce que nous avons, nous l'avons ici, dans notre pays. Je ne te raconte pas quand ils ont inventé, en couverture de Clarín, un compte de 40 millions de dollars à mon fils avec Nilda Garré. Savez-vous combien de gens qui, par ici, ont vu cette couverture, ensuite n'ont pas appris que Máximo a parlé à la radio et l'a démenti et sont restés avec la couverture de Clarín disant que Máximo avait 40 millions de dollars ?
Ou ce qui s'est passé hier ou avant-hier, avec le fameux arrêté de Milagro Sala dont je peux te montrer 4 feuilles entières de sites de tout le pays disant « il y a une BMW propriété Milagro Sala pleine d'argent. » Ensuite, est sortie l'information que ce n'était pas sûr. Vous savez combien de gens ont lu les 4 pages des sites disant cela et n'ont pas lu ensuite qu'il n'y avait pas d'argent de Milagro Sala ?
Hier, j'entre dans un des sites de l'Ambassade que j'appelle House Organ et je vois : « L'ex Sénateur K arrêté à Ezeiza avec 30 000 dollars. » Tous sont K. Cet ex Sénateur n'a pas été élu en 2011 parce que j'ai proposé l'actuel vice-gouverneur de la province, le Dr. Pablo González, qui fut le candidat au Sénat de la Province de Santa Cruz. Cependant, ils mettent que le sénateur précédent, qui est celui sur lequel on a trouvé 30 000 dollars est K. Savez-vous une chose ? Le frère de cet ex Sénateur, qui est un comptable, ce n'est pas la peine de dire les noms, il ne faut pas salir les gens, il faut attendre que la justice statue. Le frère de cet ex Sénateur qui fut aussi un de nos fonctionnaires au BICE, est aujourd'hui un collaborateur du Ministère de l'Economie de Prat Gay et du Secrétaire au Trésor. Par cet ex Sénateur, j'ai connu le Dr. Lorenzetti, dont il est très ami. C'est lui qui me l'a présenté quand j'étais Sénatrice, il me disait même que c'était un excellent candidat pour être membre de la Cour.
Ou par exemple, ce qui s'est passé avec un autre ex Sénateur, que j'ai connu et qui a été un de mes camarades à l'UCR, ils ont amené une personne du Paraguay, liée au trafic d'éphédrine, disant et menaçant la Ministre de la Sécurité que les fonctionnaires du Gouvernement précédent tremblaient parce qu'il allait parler. Il en découle que maintenant, on dit que cet ex Sénateur, ex Président de l'UCR, est président du groupe, un artifice de l'alliance entre l'UCR et Cambiemos. Ce monsieur le dénonce pour avoir reçu un pot-de-vin de 200 000 dollars pour accuser le juge de l'affaire de l'éphédrine et le destituer. Mais comme cela vient du parti radical, c'est un mensonge. Alors, comment est-ce ? Si ceux qui sont dénoncés, accusés, sont péronistes, ils sont des « repentis », si un péroniste les dénonce, c'est un « repenti », qui quelqu'un de Cambiemos ou un radical les dénonce, c'est un « condamné ». Il me semble qu'il faut commencer à mesurer tout le monde à la même aune et en finir avec cela et chacune des explications que je dois donner. Mais pour cela aussi, on a besoin d'une justice qui agisse à l'intérieur de la loi, c'est l'autre problème que nous avons, que les garanties accordées par la Constitution soient respectées. Parce que nous avons beaucoup lutté pour cela. Et ce que je vois aussi dans cette étape, quelque chose qui fait partie de ce qui me préoccupe le plus, c'est qu'il y a une sorte de diminution très notable de l'intensité de l'Etat de Droit. L'Etat de Droit a toujours été un obstacle pour imposer des plans qui apportent la misère, la faim et le transfert des ressources des secteurs salariés, des classes moyennes, des petites et moyennes entreprises aux secteurs les plus privés. Il a toujours fallu faire un coup d'Etat militaire pour pouvoir mettre en pratique cette sorte de plans. Aujourd'hui, grâce au parti des médias et au parti judiciaire, ce n'est plus nécessaire.
C'est pourquoi il est très important que les procédures judiciaires soient conformes aux garanties qu'établit la Constitution, soient conformes aux codes de fonds et aux Codes de Procédure. On ne peut pas accuser ou monter des shows ou des spectacles médiatiques sur la base de la violation des garanties de tout citoyen, qu'il ait été président ou qu'il soit balayeur. Etre président ne te donne pas plus de droits qu'à n'importe quel citoyen mais ça ne te donne pas moins de droits non plus, il me semble que c'est ça, le problème.
Et quand on voit, comme nous avons vu hier ces sites avec la BMW, je me demandais : Combien de gens ont lu depuis que c'était un mensonge ? Combien de gens ont-ils été informés que ce sénateur sur qui on a trouvé 30 000 dollars n'est pas un ex Sénateur K ? Combien de gens ont été informés que c'était un mensonge, que Máximo avait 40 millions de dollars aux Bahamas ? Combien de gens ont été informés que c'était un mensonge, que Florencia avait un appartement sur Park Avenue, en plein cœur de Manhattan ? Combien de gens ont été informés que c'était un mensonge, que j'ai fait à ma fille quand elle était enceinte des travaux de rénovation pour 28 millions de pesos à Olivos ? Combien de gens ont été informés que ma fille n'a pas et n'a jamais eu une Mini Cooper pour ses 17 ans pour la bonne raison qu'elle ne sait pas conduire ? Mon fils, la dernière fois qu'il est sorti du pays, c'était en 2001, fils de 2 ex présidents. La dernière fois que Máximo Kirchner est allé à l'étranger, c'était en 2001. Et je défie n'importe quel autre homme politique argentin, parce que Máximo fait de la politique, qu'ils me disent si leurs enfants ne quittent pas le pays pour se rendre à l'étranger et ce n'est pas mal qu'ils le fassent, ce n'est même pas un exploit de Máximo de ne pas s'être rendu à l'étranger mais il faut voir aussi comment vit chacun de nous pour pouvoir se rendre compte et juger. Il me semble que cela aussi est important. Ou le cas de ma fille qui ne vit pas à Park Avenue de New York, qui vit dans un appartement de Monserrat et n'a pas de voiture parce qu'elle ne sait pas conduire. Ce sont aussi des choses qui doivent être prises en compte. Et je te le répète, cette maison est à moi, je l'avais avant d'être présidente et elle ne me vient pas d'une entreprise de construction et encore moins d'une entreprise de construction associée, en plus, à des amis actuels du pouvoir qui a fait des travaux pour l'Etat. A cause de cela, je dis que le juge, ce qu'il doit faire, c'est regarder les enregistrements téléphoniques, voir avec qui tout le monde entrait en relations, ce n'est pas si difficile.
Et cela signifie aussi qu'il y ait, de la part des dirigeants politiques, non l'opportunisme de croire qu'à partir de dénonciations inventées, ils vont arriver à une meilleure position. L'histoire prouve que ce n'est pas ainsi. Que cela dure très peu. Je ne connais personne qui soit passé dans l'histoire, ou qui ait réussi à convaincre la grande majorité du pays d'un projet de pays ou de Patrie à partir de ces choses-là. Ils devraient y repenser et essayer de gagner le consensus populaire en défendant les intérêts que les gens sentent en danger aujourd'hui et ce que je vois, ce sont des gens qui sont K ou anti-K parce que la facture de gaz, les K et les anti-K doivent la payer. La facture d'électricité, celle d'eau dont on ne parle pas beaucoup et qui a subi une augmentation effrayante, les K, les anti-K et ceux qui ne sont rien doivent aussi la payer. Et le garçon qui va au supermarché, je peux t'assurer que le fromage Port Salut qui, il y a 1 mois, là, à La Anónima coûtait 100 pesos et demi le kg, maintenant en coûte presque 300. Les radicaux, les péronistes et tous ceux qui veulent acheter un demi-kilo de Port Salut de La Serenísima à La Anónima des Braun ici, à Calafate, le payent.
NOTES DE LA TRADUCTRICE:
1L'aquifère peut stocker de l'eau souterraine. Un aquifère est une formation géologique ou une roche, suffisamment poreuse et/ou fissurée (qui peut stocker de l'eau) et perméable (où l'eau circule librement). Pour se représenter un aquifère, il faut imaginer un vaste réservoir naturel de stockage d'eau souterraine (https://fr.wikipedia.org/wiki/Aquifère).
2« paritarias » : instruments du droit du travail en Argentine qui permettent aux travailleurs de participer à des discussions avec les patrons pour arriver à des accords "paritaires" négociés sur un certain nombre de sujets (salaires, conditions de travail...). C'est assez différent de nos négociations collectives d'ici mais nous n'avons pas trouvé de meilleure expression que « négociations paritaires »...
3Métis d'Argentine aux cheveux très noirs et appartenant à la classe ouvrière (https://es.wikipedia.org/wiki/Cabecita_negra#Naturaleza_racista)
4Programme social mis en place par le gouvernement de Cristina Fernandez.
5Allusion au Parc de la Mémoire de Buenos Aires en hommage aux victimes de la dictaure militaire de 1976 à 1983 et inauguré en 2006 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_de_la_Mémoire_de_Buenos_Aires)
6Voir http://sitio.patriaargentina.org/blog/?p=481en espagnol ou https://translate.google.fr/translate?hl=fr&sl=es&u=http://sitio.patriaargentina.org/blog/%3Fp%3D481&prev=search pour avoir une traduction très approximative mais qui donne quand même une idée de l'idéologie contenue dans cette ligne...
7Mazamorra : boisson à base de maïs et de lait sucré
8Représentation de la Patrie lors des fêtes du bicentenaire qui dansait, montée sur une grue et semblait voler: photos sur http://www.lagaceta.com.ar/nota/388066/politica/argentina-voladora-fuerzabruta-abrio-desfile.html
9Le per saltum est la possibilité d'un tribunal supérieur, dans ce cas, la Cour Suprême de Justice de la Nation, d'intervenir dans la connaissance des affaires judiciaires en sautant les étapes normales d'intervention des tribunaux de première ou de seconde instance. (http://www.significadolegal.com/2011/03/per-saltum.html)
10Pour avoir une définition de la « pensée circulaire » voir http://www.philo5.com/Incontinence%20intellectuelle/000613%20Raisonnement%20humain%20pensee%20lineaire%20et%20circulaire.htm
11Bwana, nom d'origine swahili, donné par les peuples colonisés au colon blanc esclavagiste et pilleur de ressources naturelles.
12Les « biens d'équipement », (bienes de capital) sont ceux qui sont nécessaires à la fabrication des produits commercialisés par une entreprise (machinerie, immeubles, installations et infrastructures, véhicules, etc...) voir http://www.enciclopediafinanciera.com/definicion-bienes-de-capital.html
13Anti-Kirchner
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