Brésil : Les motivations économiques du coup d'Etat
Par: Sergio Martín-Carrillo / CELAG, 4 septembre 2016
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Funeste semaine pour la démocratie au Brésil et dans toute la région. Le coup d'Etat contre le gouvernement de Dilma Rousseff est consommé. C'est un coup d'Etat contre la démocratie. C'est un coup d'Etat contre es gouvernements du Parti des Travailleurs (PT) qui ont réussi à réduire la pauvreté extrême de plus de 63%. C'est indubitablement un coup d'Etat motivé par de fortes raisons économiques mais c'est aussi un « coup d'Etat raciste, misogyne et homophobe » comme l'a dit la présidente elle-même dans son discours devant le Sénat. C'est un coup d’État de l'élite contre la majorité. Le Brésil, ce géant qui, pendant tant de décennies a souffert de la faim, de la misère et des inégalités héritées de l'ineffable passé colonial qui a commencé à se réveiller de son cauchemar en 2003 avec l'arrivée au pouvoir du PT et qui maintenant voit ses rêves tronqués de pouvoir fermer ses veines ouvertes1 par la faute de al volonté égoïste d'élites liguées au capital transnational.
Le XXI° siècle avait un nouvel arôme qui n'avait plus été respiré depuis trop longtemps. Le longue et obscure nuit du néolibéralisme était finie. Venezuela, Argentine, Brésil, Bolivie, Equateur, Uruguay, Paraguay… une vague de changement parcourrait la région. Cela s'est traduit par des avancées indubitables dans es indicateurs sociaux (santé, éducation, pauvreté, inégalités...) et dans bien des cas aussi par des avancées dans les institutions. Les changements étaient urgents parce que le patient entrait dans le nouveau siècle en état de coma. Les recettes très différentes de celles appliquées par le Fonds Monétaire International (FMI) ou la Banque Mondiale qui se sont toujours montrées efficaces pour le bénéfice des élites et l'appauvrissement de la majorité.
Mais il ne s'agit pas ici de faire une carte de l'état de la situation dans la région et de débattre sur la thèse du soi-disant changement de cycle. Le but de ce texte est de nous concentrer sur le Brésil et concrètement sur la proposition économique qui a conduit vers le coup d'Etat au Brésil et nous aide à comprendre ce coup d'Etat. Pour cela, il nous faut regarder un peu en arrière.
Premièrement, comme on l'a déjà dit, les réussites sociales et économiques des gouvernements du PT sont irréfutables. Ces réussites sociales ont été fondées sur une augmentation de la capacité de redistribution de l'Etat grâce à de nombreux programmes sociaux et à la forte augmentation de l'investissement social. Cependant, la distribution primaire du revenu n'a pas été modifiée mais comme le gâteau est de plus en plus grand bien que l'Etat en sorte une bonne partie qu'il consacre à améliorer les conditions de vie de la majorité, les élites économiques ont aussi vu augmenter leurs revenus sans voir leurs privilèges mis en danger. Ainsi fonctionnait le pacte inter-classes avec le consentement de l'Etat.
Deuxièmement, la rupture de ce pacte se produit lors du second mandat de Dilma au cours duquel le déclencheur a été la moindre disponibilité budgétaire. Cette réduction des ressources se présente sous forme de dilemme dichotomique. Moins de ressources laisse 2 options : 1) abandonner la grande majorité et leur faire supporter le poids des restrictions budgétaires dans le plus pur style néolibéral ou 2) faire que ce soient les élites privilégiées et riches qui supportent le plus l'ajustement.
Quelle solution a choisi la présidente Dilma Rousseff ?
Dans un premier temps, elle a essayé d'allonger le pacte avec les élites et cela a provoqué, entre autres problèmes, la désignation au Ministère de l'Economie de Joaquim Levy qui est entré au cabinet le 1° janvier 2015. La presse d'opposition l'a bien pris parce que cette vue de l'esprit que sont les marchés disaient être satisfaits. Le résultat, quand cette désignation a été connue, fut une forte hausse de la bourse brésilienne (la plus forte de ces 3 dernières années) et le renforcement du Réal face au dollar états-unien. Pour sa part, à ce moment-là, le loup déguisé en agneau du PMBD célébrait cette réorientation et sa rançon avec un cabinet qui comprenait 6 membres du parti contre 5 précédemment. Le pacte avec le diable semblait fonctionner, au moins pour que les élites continent à être satisfaites.
Cependant, les différents ne tardèrent pas à surgir puisque cette réorientation supposait de rompre avec les postulats classiques du PT. Le pacte avec l'orthodoxie exigeait de plus en plus d'ajustements. Le détonateur fut la controverse entre a présidente Dilma et Joaquim Levy à propos de l'un des programmes sociaux star du PT, le programme « Bourse Famille2 ». Enfin, moins d'un an après son arrivée, concrètement le 17 décembre 2015, a été rendu officiel à grands cris un secret, le départ de Joaquim Levy du Ministère de l'Economie. Ce jour-là, les « marchés » ont montré leur mécontentement. Le bourse brésilienne a baissé de 2,14% et le réal a fortement baissé face au dollar. Bien que le départ se soit produit le 17, les divergences venaient de bien avant à cause de l'engagement de la présidente dans un autre départ, celui sur lequel elle pariait pour que ce soit ceux qui ont le plus qui supportent mes restrictions budgétaires. Ce fut le début du processus de destitution, le 2 décembre 2015. C'est à dire que le détonateur de sa mise en marche a été le choix de la voie contraire aux intérêts des élites économiques. Les cartes allaient être mises sur la table. Ou Dilma Rousseff acceptait le pacte (chantage) ou ils la chasseraient de la présidence par n'importe quel moyen.
A cette date, Joaquim Levy avait déjà rempli sa fonction. Commencer une phase de choc économique qui, en plus de provoquer de forts ajustements, a fait augmenter l'inflation au-dessus de 10%, quelque chose d'impensable un an auparavant. Les conditions étaient favorables pour que le FMI et la Banque Mondiale se joignent au festin. Et évidemment, dès la fin de 2015 Joaquim Levy était aussi Directeur Général et Directeur Financier du Groupe Banque Mondiale.
La touche de complot des capitaux internationaux n'a pas manqué. Le FMI a réduit progressivement les projections de croissance du Brésil jusqu'à transformer la situation de l'économie brésilienne en une grande récession qui ne relevait pas la tête. Quand commença le processus de destitution, le FMI annonça une récession du PIB du Brésil de 3,8% alors que le CEPAL disait au mois d'avril que la baisse du PIB serait de 0,9%. Le choc, s'il n'est pas réel, doit être induit. Cependant, après l'arrivée provisoire au pouvoir de Temer en avril et avec la contrôle qu'a fait en juillet le FMI de l'économie brésilienne, il a corrigé la chute du PIB pour cette année à 3,3% étant donné « que l'exercice de l'économie brésilienne au premier semestre a été meilleur que prévu et avec cela, on prévoyait que la contraction annuelle serait moins drastique que ce qu'on avait pensé. » De plus, le FMI a aussi majoré les prévisions de croissance pour 2017, passant d'une croissance nulle à une croissance estimée à 0,5%. Avec cela, on cherche à mettre en évidence que le premier « paquet » de Temer avait eu rapidement des effets positifs sur la croissance. C'est vrai, évidemment, si on publie les conditions de vie de la grande majorité, la qualité de la démocratie, et comment ce n'est pas le cas si on compare avec les prévisions antérieures que cet organisme avait faites pour discréditer l'exercice économique du gouvernement de la présidente Rousseff. Si finalement, l'économie brésilienne ne baisse « que » de 2%, même plus que ce que prévoyait le CEPAL au début de l'année, ce sera un soi-disant succès des politiques téméraires du nouveau gouvernement en comparaison des prévisions catastrophiques du FMI.
Mais en quoi consistent les mesures économiques prises par le Gouvernement de Temer ? Le premier paquet a consisté à donner une forte impulsion à la privatisation de tout ce qui était rentable pour l'Etat et par conséquent, pour la société brésilienne. Il a commencé par le secteur de l'électricité dans lequel il a privatisé plus de 200 petites entreprises qui, en plus d'être rentables, remplissaient la fonction sociale d'amener l'électricité dans la plupart des endroits du pays. Les privatisations sont aussi arrivées aux entreprises de transport et à celle de la gestion des aéroports et des ports. D'autres institutions publiques s'ouvrent à une plus forte participation privée comme le Secours économique et Fédéral de Caixa ou l'Institut de Réassurance du Brésil. Et, évidemment, dans la bataille pour la spoliation, ne pouvait pas manquer le nouveau joyau de la couronne brésilienne, les grands gisements pétrolifères de la couche pré-sel3.
Les actifs du pays ne sont pas seuls en vente. Tout l'investissement social qui a obtenu des avancées sociales si importantes en terme de réduction de la pauvreté et des inégalités ou d'accès à l'éducation et à la santé souffre aussi de l'ajustement. Depuis que Temer occupe provisoirement la présidence, il a montré sa volonté d'éliminer le fonds créé pour investir les revenus pétroliers dans l'éducation. En juillet, il a supprimé les prestations de al Bourse Famille, excluant 10 millions de familles de cette aide. Et ce ne sont que quelques exemples de ce qu'a fait Temer pendant son interim avant le 31 août. Maintenant, le coup d'Etat étant consolidé, il a lancé de nouvelles coupes dans le droit du travail et dans les pensions, des coupes dans la santé où l'ajustement pour l'année prochaine devrait atteindre presque 40%. Cependant, malgré toutes ces coupes, le déficit public en 2016, selon le gouvernement de Temer lui-même sera de 48 888 millions de dollars, beaucoup plus élevé que les 27 286 millions de déficit de 2015 qui était soi-disant intolérable et provoqué par le soi-disant gaspillage d'argent public dans les mesures de protection sociale.
Qui sont les gagnants et qui sont les perdants de ce coup d'Etat, c'est clair. Quels sont le s intérêts des gagnants aussi. Comme l'a dit Dilma, « l'histoire sera implacable avec ceux qui se croient vainqueurs. » Dilma Roussef a survécu aux tortures et aux vexations d'un régime militaire, c'est sûr, elle ne s'agenouillera pas devant les outrages de quelques élites corrompues qui ne jouissent pas du soutien du peuple. Le coup d'Etat contre la démocratie au Brésil est un coup d'Etat du capital, qui n'accepte pas les gouvernements qui pensent à la majorité plus qu'aux élites. Le néolibéralisme est revenu sous forme de coup d'Etat...
NOTES
1Allusion au livre d'Edouardo Galleano « Les veines ouvertes de l'Amérique Latine ». (NDT)
2Le Programme Bourse Famille profitait à presque 60 millions de pauvres en fournissant une aide financière pour couvrir les besoins de base des familles.
3Les champs pétrolifères ou gaziers dits « pré-sel » se situent dans la croûte terrestre, sous des couches de sel, à environ 7 000 m de profondeur et sont très difficiles à exploiter Au large des côtes brésiliennes, ces gisements contiendraient 50 milliards de barils, soit à peu près 3 fois les réserves actuelles du Brésil. (NDT)
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