Cuba : Cuballama sur la route des fraudes téléphoniques
par Yurisander Guevara (Juventud Rebelde, 19 novembre 2016)
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Chaque année, l'Entreprise de Télécommunications de Cuba (ETECSA) se bat contre des groupes qui, en violant franchement les lois internationales, mettent en danger son image et causent des millions de pertes à l'économie.
Ce qui se passe actuellement dans les télécommunications est un processus que nous pourrions définir comme paradoxal : même si c'est simple pour la technologie existante, c'est complexe, en même temps, à cause de la forte demande de services provoquée par la multiplication exponentielle du nombre d'abonnés au téléphone portable.
C'est la même chose pour les appels téléphoniques que pour les messages texte ou SMS. Les deux sont gérés par les opérateurs du monde entier qui signent des accords pour permettre le trafic entre le point d'origine et la destination et reçoivent un paiement des usagers pour les services qu'ils prêtent.
Le paradoxe s'exacerbe avec le fait que les entreprises opératrices n'ont pas encore le contrôle total des télécommunications. Actuellement, il existe du matériel qui permet le montage de centrales téléphoniques n'importe où, ce qui a ouvert la voie à ce que certains s'enrichissent avec les nouvelles technologies alors qu'ils ignorent les lois des pays où ils opèrent. Cuba n'échappe pas à ce phénomène.
Une recherche rapide sur internet avec la phrase « appels pas chers vers Cuba » donne des résultats qui permettent de communiquer avec notre pays pour 29 centimes de dollar la minute. Les tarifs officiels publiés sur le site de l'Entreprise de Télécommunications de Cuba (ETECSA) indiquent une moyenne d'1 dollar par minute de conversation à l'étranger pour les usagers qui paient d'avance. Le montant augmente si c'est depuis une entreprise. C'est pareil qui c'est de l'étranger vers Cuba.
Evidemment, quelque chose de bizarre survient sur ces sites depuis lesquels on peut appeler Cuba à un prix si faible. Et cette chose bizarre a un nom : c'est la fraude.
Arnaque
Le prix des appels et des messages texte internationaux depuis et vers Cuba a été l'objet de beaucoup de critiques de la part des usagers. ETECSA a même reconnu qu'il était encore élevé.
Ce serait l'un des facteurs principaux, déclare l'entreprise dans un rapport auquel Juventud Rebelde a eu accès, pour la commission des fraudes dans les services de télécommunications mis en place grâce à des structures complexes à l'intérieur et à l'extérieur du pays, qui ne sont justifiés en aucun cas. Ces fraudes causent en moyenne chaque année des pertes estimées à quelques 6 millions de dollars.
L'une de ces s structures complexes se fait appeler « Cuballama », une filiale de TECHRRIFIC Inc. dont le siège social est au Canada, qui opère aux Etats-Unis et à Cuba illégalement.
Après de longues recherches gênées par la sophistication des ruses, ETECSA révèle en exclusivité à notre journal les secrets de ces affaires illégales et lucratives.
Daniel Ramos Fernández, directeur des Opérations de Sécurité d'ETECSA l'explique ainsi : « Profitant de « l'innocence » des gens, des économies qu'ils ont besoin de faire, de l'absence de valeurs et de la faible perception du risque qu'ils courent, les organisateurs de cette activité illégale les convainquent de faire appel à leurs services. »
Les fraudeurs, ajoute-t-il, « paient le prix de l'activation de la ligne et une certaine commission pour qu'on la leur cède pour un certain temps. »
Les usagers se voient ensuite impliqués dans l'activité frauduleuse en étant responsables, par contrat, envers l'entreprise puisque ce sont les possesseurs légitimes des services. Ainsi, ils doivent répondre d'éventuels troubles dans leurs services pour avoir violé le contrat, payer des indemnisations pour les préjudices causés ou même se voir impliqués dans des procédures pénales.
Quel est le but de l'achat massif de cartes SIM par les fraudeurs ?
Les lignes achetées par ces personnes sont utilisées dans des structures organisées illégalement dans le pays qui cherchent à éviter de payer les tarifs des communications vocales et de messages texte de nos réseaux, précise Ramos Fernández.
Les s structures frauduleuses ont été détectées par la Direction des Opérations de Sécurité d'ETECSA aussi bien dans des logements particuliers que dans des institutions d'Etat, dans une moindre mesure dans ces dernières, précise Ramos Fernández.
La méthode la plus employée par Cuballama, selon l'enquête d'ETECSA, est celle qui utilise l'un des dispositifs appelés Simbox qui sont introduits dans le pays subrepticement. Ils sont utilisés pour une sorte de fraude connue comme IBF (Interconnect Bypass Fraud).
Un matériel Simbox sert à monter une petite centrale téléphonique qui, étant illégale, provoque des pertes aux opérateurs de télécommunications.
La Simbox permet de connecter de 4 à 32 cartes SIM. Une fois à Cuba, elle peut entrer en communication avec d'autres hors du pays grâce à internet. La connexion s'établit par l'intermédiaire du service Nauta, le lien internet d'une institution d'Etat, une station satellite ou le service de données d'une ligne roaming qui accède à son fournisseur d'accès à l'étranger, des voies non autorisées pour commercialiser des services publics.
Le roaming est très bon marché actuellement, explique Ramos Fernández. Quelqu'un à Cuba reçoit des cartes avec le roaming activé, les introduit dans la Simbox pour entrer en communication avec l'étranger via internet et se connecte avec la carte SIM cubaine de façon locale. Cela pourrait expliquer l'achat massif de cartes SIM dans les bureaux d'ETECSA.
Ceux qui se consacrent à cette arnaque utilisent les nouvelles lignes achetées pour faire fonctionner leur « entreprise ». Dans le cas de Cuballama, peut-être sans le vouloir, leur site étaye l'accusation d'ETECSA quand il dit : « Les numéros d'accès à Cuballama sont des numéros de téléphone pour appeler Cuba et l'étranger au meilleur prix. Cuballama a créé des numéros d'accès personnalisés pour chacun de ses contacts. »
Alors, l'usager appelle depuis ou vers les Etats-Unis et ne paie qu'un appel local. La Simbox s'en charge, sert de passerelle. Dans tout ce processus, ni ETECSA ni l'opérateur étranger associé au client ne reçoit un centime. On ne voit de traces des appels ou des tentatives d'appels reçus de l'étranger que s'ils sont reçus par la voie normale, par l'intermédiaire de nos centraux internationaux. Les autres preuves sont analysées à partir du trafic national où aboutit le trafic venu de l'étranger.
La fraude la plus commune aujourd'hui, indique Jorge Mario Sacre, chef du Département Anti-fraude d'ETECSA, survient avec les appels internationaux entrants et les SMS envoyés à l'étranger.
Ce sont de bonnes affaires. Les SMS qui sortent de Cuba, par exemple, coûtent en moyenne 60 centimes de dollar. Mais un « service » comme Cuballama permet d'envoyer un message texte pour 9 centimes, le tarif local, ce qui laisse la différence à cette entreprise étrangère, lui ajoute de nouveaux clients et parallèlement, cause des pertes à ETECSA. En octobre dernier, Cuballama les a offerts gratuitement.
Cuballama explique sur son site que pour envoyer des SMS vers Cuba et le reste du monde, l'usager garde son contact auquel est assigné un « numéro de SMS direct ». Peut-être que ce numéro est une ligne Simbox? Les experts d'ETECSA le confirment.
Cuballama en profondeur
Cuballama représente les intérêts de l'entreprise TECHRRIFIC Inc. domiciliée au Canada. Elle s’y est établie en 2009. Son président est Víctor Manuel Castro Vaquero, d'origine cubaine, qui réside aux Etats-Unis. L'entreprise a des représentations dans ce pays et en Espagne, dirigées par des amis de Víctor, affirme ETECSA dans un rapport envoyé au FIINA (ForumInternational d'Accès Illégal aux Réseaux et aux Services), une organisation qui représente depuis 1987 les compagnies de télécommunications dans leur droit à se protéger elles-mêmes, leurs services et leurs clients, contre l'intrusion, les abus et autres activités illégales.
La commercialisation des services de Cuballama se fait en ligne, généralement de l'étranger en employant des cartes de crédit et des moyens de paiement électroniques par l'intermédiaire de TD Bank Financial Group et de Beanstream Internet Commerce Corp, entre autres, précise le texte d'ETECSA au FIINA.
« Il est très important de faire savoir que Techrrific ou Cuballama ne possèdent pas de contrat ou d'accord signé avec ETECSA. Les services, ils les offrent par l'intermédiaire de pays tiers ou par des voies non autorisées qui violent les dispositions légales intérieures de notre pays et ne sont pas conformes aux règles internationales, » souligne le document.
Parmi les actions frauduleuses détaillées dans le rapport, on souligne qu'en avril 2011, Cuballama a lancé un service illégal de répondeur téléphonique pour les clients d'ETECSA en utilisant l'entreprise Jyctell en Espagne qui a utilisé des séries de numéros appartenant à l'opérateur de téléphone espagnol.
La fraude consistait à ce que les abonnés à Cuba accèdent au service grâce à des appels internationaux gratuits et déposent des messages pouvant durer jusqu'à 1 minute. Du côté des opérateurs, on manipulait un protocole qui permettait d'utiliser le temps pour déposer un message vocal ais on ne recevait pas le message au central téléphonique cubain pour que l'appel soit taxé.
ETECSA a réussi à limiter cette fraude mais Cuballama est apparu avec un nouveau service : les mini appels. Ceux-ci se caractérisent par une durée de 20à 40 secondes qui sont dûment facturées par ETECSA.
En ce sens, l'entreprise souligne que la fraude, en tant que phénomène global, affecte non seulement ETECSA mais les opérateurs d'où viennent les appels courts qui ont été dûment alertés parce qu'ils pourraient ne pas être facturés. Jusqu'à présent, nous n'avons pas reçu de déclarations des opérateurs à ce sujet, c'est pourquoi cela n 'a pas été confirmé, ont indiqué les fonctionnaires d'ETECSA interviewés pour ce reportage.
En ce qui concerne le service de rechargement promotionnel depuis l'étranger qu'offre ETECSA systématiquement pour les mobiles cubains, on voit les action inadéquates réalisées par Cuballama et qu'elles ne sont pas permises aux opérateurs directs soumis aux règles des accords bilatéraux signés, ce qui en fait une pratique déloyale, considère ETECSA dans son rapport à FIINA.
Avec le temps, Cuballama a perfectionné ses méthodes. Une étude réalisée par Juventud Rebelde grâce à Archivo de Internet (www.archive.org), montre qu'en 2011, l'envoi de SMS de l'étranger se fait grâce à 3 abonnés : « Pour lui répondre, le membre de sa famille à Cuba doit appeler le SMS au numéro 53445031 ou au numéro 53336199 en s'assurant d'écrire le numéro du destinataire au début du message, » expliquait l'entreprise. Notez bien comment le service est simple avec les lignes mobiles cubaines.
Le registre montre, en outre, que les appels par l'intermédiaire de Cuballama coûtaient alors 10 centimes la minute, 9à centimes de moins que la moyenne dans le pays.
ETECSA a pris des mesures pour essayer d'arrêter ce phénomène comme le blocage des lignes frauduleuses qhi sont détectées. Cependant, maintenant, il y a un autre phénomène qu'on appelle « blanchiment de lignes ».
Etant donné qu'ETECSA détecte les trafics anormaux de voix et de texte, maintenant, il utilisent des lignes achetées illégalement pour une courte période. Après, il s les vendent meilleur marché dans la rue et complètent la transaction avec un échange de propriétaire. Ainsi, ils gagnent aussi de l'argent car cette ligne a déjà généré des rentrées d'argent en étant utilisée pour des appels et des messages et elle est dirigée ensuite vers un citoyen ordinaire.
En plus de Cuballama, d'autres structures comme DimeCuba et Rapitel opèrent de la même façon. Aucune n'a d'accord avec ETECSA, le seul opérateur autorisé pour les services de télécommunication à Cuba. Juventud Rebelde a contacté Cuballama par courrier pour essayer d'aborder ce sujet mais n'a pas reçu de réponse.
Eclaircissements nécessaires
Cette sorte de services frauduleux, cachés à l'usager à cause de son illégalité, rend les communications fragiles et pleines de failles.
L'usager en rend responsable ETECSA. Constamment, ils reçoivent des demandes d'opérateurs affectés et et il y a des échanges d'informations avec des membres de FIINA pour apporter des précisions sur le trafic qui atteint réellement le réseau de l'entreprise cubaine, ont déclaré les personnes interviewées par Juventud Rebelde.
ETECSA a même averti les membres de FIINA et d'autres opérateurs internationaux que l'entreprise « ne profite pas de ces actions, est victime de cette fraude internationale et (craint que) les relations normales avec les opérateurs qui pourraient mal interpréter ce qui se passe puissent être affectés. »
« Actuellement, de plus en plus souvent, on constate l'enlèvement de numéros déjà assignés au réseau téléphonique cubain. Par conséquent, les abonnés du pays peuvent voir leur trafic international d'appels affecté par aux politiques de contrôle que pourraient mettre en œuvre les opérateurs étrangers pour protéger leurs revenus et se voir alors privés d'appels internationaux légitimes et désirés, » indique le rapport d'ETECSA à la FIINA.
Argent facile, un chemin vers la prison
Dans la majorité des cas de fraude détectés, ceux qui y sont impliqués sont presque toujours jeunes, a commenté avec chagrin Daniel Ramos Fernández. En conséquence, il regrette que certains se voient impliqués dans cette situation pour obtenir de l'argent facilement.
« Les escroqueries, non seulement envers ETECSA mais de toute sorte, vont contre les valeurs du travail honoré. Qu'on obtienne de grosses sommes d'argent en commettant un délit nous procure un immense désagrément parce que ces jeunes sont généralement bien préparés mais pensent que l'entreprise ne détectera pas ce qu'ils font et se laissent conduire par l’illusion de gagner plus d'argent. A cause de cela, nous lançons un appel aux jeunes qui pourraient se voir engagés dans ces situations pour qu'ils s'en éloignent. »
Même s'il est certain qu'ETECSA doit trouver une formule pour continuer à baisser les prix du service pour les téléphones portables et en même temps, une meilleure réglementation nationale est urgente pour l’utilisation des nouvelles technologies, on ne doit pas oublier que l’activité économique illégale est la type d'escroquerie le plus commun à Cuba, sanctionné par la loi avec des peines qui vont d'amendes jusqu'à 5 ans de prison. Dans le cas des fraudes téléphoniques, depuis 2014, au moins 8 personnes ont été jugées pour cette pratique illégale.
Que dit la loi cubaine ?
Le Décret Loi No. 321/2013 du conseil des Ministres de la République de Cuba, publié au Journal Officiel Extraordinaire No. 11 du 12 février 2014, accorde à ETECSA la concession administrative pour la prestation des services publics de télécommunication.
En vertu de ce décret, il revient à ETECSA de protéger, d'installer, d'opérer, d'exploiter et de commercialiser les réseaux publics de télécommunications à Cuba et de mettre en place les équipements et les moyens nécessaires à la connexion avec d'autres entités autorisées à opérer dans le pays.
Dans son article 3, le Décret définit la portée de la concession et les services publics de télécommunications accordés sont précisés. Ce sont, entre autres, le Service Téléphonique de Base, le Service de Télégraphie, le Service de Transmission de données et le Service de Télécommunications mobiles terrestres.
Dans l'article 4, on accorde une période d'exclusivité jusqu'en 2023 pour la prestation des services mentionnés précédemment.
Source en espagnol :
http://www.juventudrebelde.cu/cuba/2016-11-19/cuballama-en-la-ruta-de-los-fraudes-telefonicos/
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