Cuba : Interview du docteur Fonseca, membre de la Brigade Henry Reeve
Cuba : Interview du docteur Fonseca, membre de la Brigade Henry Reeve
Auteur: Nuria Barbosa León | internet@granma.cu
10 novembre 2016 17:11:42
L’ENTRETIEN avec le Dr Enmanuel Vigil Fonseca a été agréable. Ses convictions de construire un monde meilleur l’ont placé dans des tranchées où il a pu démontrer que les jeunes Cubains ont également des opportunités de poursuivre la Révolution.
À ce propos, il affirme : « J’ai décidé d’être médecin pour aider les gens. Mes parents exerçaient d’autres professions, mais moi, très jeune, j’ai éprouvé de l’admiration envers ces personnes en blouse blanche qui prennent soin des malades avec beaucoup d’amour. »
Comment avez-vous intégré le Contingent international Henry Reeve, spécialisé dans la lutte contre les catastrophes et les graves épidémies ?
J’ai étudié à la faculté de médecine de l’hôpital universitaire Général Calixto Garcia de La Havane, où nous avons été informés de la situation de catastrophe en Amérique centrale après le passage d’un ouragan.
En 2005, nous étions présents également lors de la création du contingent Henry Reeve, mis sur pied pour apporter de l’aide aux victimes de l’ouragan Katrina dans le sud des États-Unis, et nous avons écouté l’impressionnant discours du commandant Fidel Castro à cette occasion. Immédiatement, un groupe de jeunes, dont je faisais partie, a demandé au doyen l’autorisation de rejoindre ces médecins, mais il fut décidé de ne pas interrompre nos études. À la fin de 2009, j’ai été sélectionné pour aller au Venezuela en tant que membre de la Mission Barrio Adentro Salud (La santé au sein du quartier).
Je suis parti en 2010 pour la municipalité de Sucre, dans l’État vénézuélien de Miranda, le premier dans la paroisse Villa Tatiana.
J’ai travaillé à la prise en charge primaire de la population dans un programme de masse qui avait pour but de donner une couverture médicale aux communautés les plus démunies. Parallèlement, j’ai étudié la médecine générale intégrale avec des professeurs cubains, qui prêtaient leurs services dans les Centres de diagnostics intégraux.
J’ai soigné beaucoup d’enfants et j’ai même pratiqué des accouchements. Les femmes enceintes à terme devaient se rendre dans les cliniques gynécologiques, mais plus d’une fois elles arrivaient dans la nuit avec des contractions et ne pouvaient plus attendre. J’ai également été chargé du contrôle épidémiologique de plusieurs camps qui accueillaient des personnes dont les maisons avaient été détruites par des pluies intenses.
Vous revenez à Cuba en 2014 et vous partez en Afrique de l’Ouest pour combattre l’épidémie à virus Ébola…
J’ai terminé ma mission au Venezuela le 12 mai. Nous avons appris la nouvelle de l’apparition d’une dangereuse maladie dans cette partie de l’Afrique. Nous avons eu l’occasion de visionner la réunion entre la Directrice de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Margaret Chan, et le ministre cubain de la Santé, Roberto Morales Ojeda, lorsque les Cubains ont appris la décision du pays d’aider les personnes contaminées par l’Ébola.
À cette époque, je travaillais dans l’un des cabinets médicaux des familles de la polyclinique Nguyen Van Troi de la municipalité de Centro Habana. La direction de l’établissement a réuni un groupe de médecins pour demander à des volontaires pour partir soigner en Afrique. Je me suis tout de suite inscrit.
Nous avons ensuite été mobilisés à temps complet pour un entraînement à l’Institut de médecine tropicale Pedro Kouri . Là, nous étions plus de 500 professionnels de la santé. Nous avons reçu des cours par des spécialistes de l’OMS, qui nous ont expliqué les protocoles très stricts de prise en charge de cette maladie, en insistant sur la protection personnelle.
Des médecins européens nous ont donné des conférences audiovisuelles et nous ont fourni une bibliographie actualisée et les résultats des recherches les plus récentes.
Durant la préparation, nous avons subi des examens médicaux rigoureux et nous avons été vaccinés. Les personnes qui souffraient de maladies chroniques ou d’autres maladies n’ont pas été retenues. Au terme de la formation, nous avons passé de tests de connaissances et seuls ceux qui y réussissaient étaient inscrits sur la liste de départ.
Deux émotions m’ont traversé lorsque j’ai été retenu pour cette mission : d’abord la satisfaction d’avoir été choisi pour mes conditions physiques et d’être apte à accomplir une mission à risque à 31 ans. Je me sentais fier ; ce serait ma contribution à l’humanité. La seconde émotion, ce fut de la tristesse.
En attendant l’avion, dans une conversation en groupe, quelqu’un m’a dit avec beaucoup de sérieux : « Nous partons pour une guerre de laquelle nous ne reviendrons peut-être pas. » À ce moment-là, j’ai revu les visages de mes proches et j’ai pensé à toutes les marques d’affection que je n’ai pas données. Ce n’est que la conviction de devoir continuer qui m’a fait arriver à Sierra Leone.
Où avez-vous été affecté ?
Les premiers jours, le personnel médical d’autres pays qui avait été envoyé là-bas, ainsi que celui des membres d’une brigade de l’OMS, ont reçu une préparation. Nous avons visité les cliniques d’hospitalisation isolées des établissements traditionnels. Ces professionnels nous ont pris en charge et ont mis à notre service toutes les connaissances accumulées sur cette maladie jusqu’alors.
J’ai été surpris que la population de Sierra Leone connaisse Cuba. À la vue d’un Cubain, ils mentionnaient deux noms : Fidel Castro et Che Guevara.
J’ai travaillé à Port Loko, à quelques kilomètres de Freetown, la capitale. J’ai été touché à la vue des enfants malades d’Ébola. J’ai vu des nouveau-nés et d’autres enfants, dont les visages exprimaient tous une grande tristesse..
Nous avons respecté avec beaucoup de soin les mesures de sécurité. Nous devions nous protéger pour pouvoir soigner les autres. C’était la principale consigne à respecter rigoureusement.
J’ai eu une appendicite et j’ai été opéré là-bas. Je n’ai jamais pensé à revenir. J’ai pris un mois de convalescence, puis j’ai repris mon travail.
Lorsque nous nous sommes rendu compte que le nombre de décès était élevé, nous avons revu toutes les procédures médicales. Nous avons formé des groupes de discussions et des travaux de table pour mettre au point de nouvelles procédures pour la prise en charge de la maladie. Ainsi, nous sommes parvenus à sauver beaucoup de malades, si bien que les patients qui préféraient être soignés par les médecins cubains étaient très nombreux.
Les lits d’hospitalisation ont commencé à manquer, mais nous n’avons jamais refusé de recevoir un malade. Nous avons dû improviser des lieux d’accueil dans des salles pleines, et nous avons soigné tous ceux qui nous demandaient de l’aide.
Un collègue contaminé par l’Ébola…
Felix Baez est tombé malade peu de temps après notre arrivée. En apprenant la nouvelle, nous avons renforcé les mesures de protection personnelle : notamment ne se toucher sous aucun prétexte, se laver les mains et la bouche chaque fois que possible, désinfecter nos vêtements, consommer de l’eau en bouteille et des aliments très cuits…
Felix a guéri, puis il est revenu en Sierra Leone. Lorsque nous l’avons revu, ce fut une injection d’énergie pour toute la brigade. C’est moi qui l’ai reçu et il est devenu l’un de mes grands amis. C’est une personne merveilleuse, avec des sentiments incroyables. Il vient d’être de nouveau papa d’une petite fille nommée Maria Fernanda.
Le cas de l’infirmier Reynaldo Villafranca, décédé de malaria le 17 janvier 2015…
C’est lorsque nous avons appris la guérison de Felix que nous avons reçu la triste nouvelle de la mort de « Coqui », comme on appelait Villafranca Antigua, un infirmier de Pinar del Rio très apprécié pour sa jovialité et son sens de l’humour. Son décès nous a beaucoup touchés. La brigade était très triste.
Le retour à Cuba…
Avant de partir, nous avons dû rester 12 jours en isolement ; nous avons subi des analyses cliniques pour dépister une quelconque maladie silencieuse. Les neuf heures de retour ont été merveilleuses. Nous étions très heureux. Nous avons atterri à l’aéroport international Juan Gualberto Gomez de Varadero, puis nous avons passé 21 jours dans un centre hospitalier. Là nous avons été reçus par le ministre Roberto Morales Ojeda, la vice-ministre Marcia Cobas et de nombreuses autorités du pays.
La veille du retour chez nous, personne n’a réussi à dormir ; on avait envie que le temps passe vite, tellement le désir de revoir notre famille était grand. À 5h du matin, nous sommes allés au musée de la Forge martinienne de La Havane pour une activité d’accueil par les autorités de la capitale.
Au cours de la cérémonie, j’ai aperçu ma femme, ma fille et mes parents dans le public. Vous ne pouvez pas vous imaginer l’émotion que j’ai ressentie !
Votre mission en République arabe sahraouie ?
J’ai reçu un appel des bureaux de l’Unité centrale de coopération médicale et on m’a expliqué la situation climatologique du lieu, les pluies et les inondations... Cette fois, j’ai été nommée responsable de groupe des huit professionnels de la santé. Nous devions appuyer la mission de la Brigade médicale cubaine en poste là-bas.
Nous avons effectué du dépistage dans les communautés et dans les campements de réfugiés, et donné des cours à des jeunes diplômés des universités médicales cubaines qui faisaient office d’interprètes.
Je garde un souvenir très émouvant de ma visite à une école primaire, appelée Simon Bolivar, parrainée par des Cubains et des Vénézuéliens. J’ai aussi connu beaucoup de personnes qui avaient étudié dans des écoles de l’Île de la jeunesse et d’autres dont les enfants ou les proches avaient obtenu leur diplôme à Cuba.
Ce peuple conserve un esprit de lutte indomptable pour la souveraineté nationale, et il considère Cuba comme une référence de victoire.
Parlons de l’Équateur…
J’ai été appelé un dimanche. Je me souviens qu’il pleuvait ; ma fille dormait ; ma femme était de garde à l’hôpital et moi, j’étais devant mon ordinateur. J’avais appris la nouvelle du tremblement de terre la veille sur TeleSur. Ma femme et moi avons décidé de nous retrouver à l’Unité centrale de coopération médicale, puis j’ai laissé ma fille au soin d’une voisine.
Lorsque je suis arrivé au lieu de rendez-vous, le groupe était déjà parti pour l’aéroport international José Marti de La Havane, si bien que l’on m’y a envoyé sans tarder. Je n’ai pas pu dire au revoir à ma femme… Nous nous sommes envolés immédiatement et nous sommes arrivés dans la nuit à l’aéroport international Eloy Alfaro de la ville équatorienne de Manta. Nous avons attendu le petit jour pour nous rendre à Puerto Viejo, un village de la province de Pedernales.
J’ai découvert une ville détruite. Une brigade de sauveteurs nous accompagnait et la première mission a consisté dans la recherche de survivants dans les décombres des maisons effondrées.
Nous avons reçu la visite du président Rafael Correa et des autorités sanitaires équatoriennes. De là, nous avons été transférés à Jama, où nous avons travaillé dans des villages qui avaient été quasiment rasés par le séisme.
On m’a envoyé dans un cabinet médical, situé dans une zone très isolée, appelée Cheve Arriba, à deux heures et demi sur un chemin mal goudronné qui reliait d’autres villages de montagne. J’ai travaillé au cabinet médical du Dr Eric Omar Pérez, l’un des trois médecins cubains qui perdit la vie dans ce séisme. Il n’y avait ni électricité, ni communications, ni service d’eau et de voirie.
J’ai dû faire des visites dans des maisons situées à deux heures à cheval, en traversant les rivières à gué. Dans mon sac à dos, j’emportais des médicaments, une bouteille d’eau et quelque aliment. Je devais voyager de la sorte pendant de nombreuses heures tous les jours.
Une anecdote ?
Dans ce même village, je devais laver dans l’eau de la rivière, cuisiner au bois, me battre contre les moustiques, croiser des serpents et autres types d’animaux… Je me souviens d’avoir reçu en consultation une femme portant un bébé très maigre et très fragile dans ses bras. C’était une femme d’apparence très humble, avec ces yeux angoissés qui trahissent une vie très difficile. L’enfant n’avait même pas de nom ; il était né avec une sage-femme et n’était inscrit sur aucun registre civil. Je l’ai soigné et guéri, et la mère lui a donné mon prénom.
J’ai expliqué à plusieurs reprises que mon travail est totalement volontaire. J’ai remercié le gouvernement de Rafael Correa d’avoir accepté notre présence là-bas pour sauver des vies ».
Aujourd’hui, Emmanuel Vigil Fonseca se trouve en Haïti pour apporter de l’aide aux victimes de l’ouragan Matthew. Pour conclure notre conversation, il a déclaré : « Ces missions médicales m’ont enrichi en tant qu’être humain. J’apporte mon aide aux gens à partir des savoirs que d’autres professionnels m’ont transmis. Je l’ai toujours fait par souci d’aider les autres. »
http://fr.granma.cu/cuba/2016-11-10/un-jeune-cubain-de-notre-epoque