Colombie : L'Accord de Paix a-t-il été manipulé au Congrès ?
Colombia Plural,
Les victimes des crimes d'Etat dénoncent la modification unilatérale du Système Complet de Vérité, de Justice et de Réparation et préviennent que cela peut aboutir à une déclaration d’anti-constitutionnalité.
En quoi a changé la Juridiction Spéciale de Paix depuis La Havane ? Quelles conséquences cela eut-il avoir ? Le Gouvernement a-t-il outrepassé ses attributions ?
Ce lundi, après 4 débats et 4 sessions marathon, la loi qui règle le Système Complet de Vérité, de Justice, de Réparation et de Non Répétition (SIVJRNR) a été approuvée au Sénat. Mais le texte définitif n'est pas le même que celui qui est sorti des accords de paix signés à La Havane entre le Gouvernement et les FARC. Il contient des changements substantiels dont s'inquiètent le Mouvement National des Victimes des Crimes d'Etat (MOVICE) et la Coordination Colombie Europe Etats Unis (CCEEU). Au-delà du contenu, il s'agit de modifications unilatérales qui, à leur avis « outrepassent » les facultés données au Gouvernement et au Congrès pour la mise en place des accords et à cause de cela, elle pourrait être déclarée anticonstitutionnelle comme le décret loi 2204 de 2016 sur l'Agence de Rénovation du Territoire Sentence (C-160 de 2017).
C'est pourquoi ces organisations ont émis mercredi un communiqué dans lequel elles exigent du Gouvernement et du Congrès de la République que la mise en œuvre de l'Accord Définitif « respecte ce qui a été décidé entre les parties et ce qui a été approuvé précédemment par le Congrès lui-même. »
Le Système Complet de Vérité, de Justice, de Réparation et de Non Répétition abrite la Juridiction Spéciale de Paix (JEP), la Commission d'Eclaircissement de la Vérité (CEV) et l'Unité de Recherche des Personnes Disparues (UBPD). Après le débat de lundi, le Mouvement National des Victimes des Crimes d'Etat a critiqué le fait que les propositions faites et approuvées par des membres du groupe de l'Unité Nationale et avalisées par le Gouvernement non seulement ont modifié « substantiellement » des éléments de l'Accord Définitif mais « affecteront négativement les droits des victimes des crimes d'Etat. » En ce sens, elles ont souligné en particulier qu'on restreint la possibilité d'enquêter sur le financement des groupes paramilitaires et de le sanctionner, qu'on a limité la participation des victimes à la Cour de Reconnaissance de al Vérité et qu'on a affaibli la responsabilité de la chaîne de commandement dans les crimes d'Etat. Le MOVICE a souligné que les partis qui ont fait ces propositions « sont ceux qui ont été le plus impliqués dans les enquêtes pour « para-politique » et dont plusieurs membres ont été condamnés, destitués ou inculpés par la Justice pour leurs liens avec des groupes paramilitaires. »
Le financement du para-militarisme
Les associations ont condamné la restriction des possibilités d'enquêter, de juger et de sanctionner la participation directe et indirecte de tierces personnes au financement de groupes paramilitaires. Elles ont rappelé que cette situation est encore plus blâmable puisque l'Accord Définitif inclut l'interdiction constitutionnelle du para-militarisme et que la Cour Suprême de Justice l'a considéré comme un crime contre l'humanité.
La modification introduite a été présentée par le sénateur Germán Varón Cotrino. Maintenant, seuls seront jugés comme financiers du para-militarisme les civils dont l'action a été déterminante dans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, ce qui réduit l'autonomie de la justice pour apprécier les preuves. La Juridiction Spéciale de Paix ne pourra sanctionner que ceux pour lesquels on aura prouvé une relation directe entre leur financement et la commission d'un crime concret.
« On oublie que le financement du para-militarisme dans son ensemble garantit le fonctionnement durable de groupes qui se consacrent systématiquement à commettre des crimes internationaux et de graves violations des droits de l'homme, » a regretté le MOVICE qui insiste sur le fait que « sans démantèlement du para-militarisme, il n'y aura pas de paix stable et durable. »
Les victimes et le Tribunal pour la Paix
Les rapports des organisations de victimes et des droits de l'homme en tant que matière première pour que le Tribunal pour la Paix cite des responsables présumés ne seront pas suffisants. Le sénateur Tribunal pour la Paix – orateur de la Loi – a présenté et obtenu le soutien d'une modification qui dit vouloir prévenir le fonctionnement de soi-disant réseaux de faux témoins. Le MOVICE a regretté que cette proposition « mette sur un pied d'égalité un travail sérieux et rigoureux de documentation réalisé pendant des décennies par les organisations et les victimes et cette sorte de pratiques criminelles. »
La pression militaire et la chaîne de commandement
Pour le MOVICE, dans l'accord définitif sur la Juridiction Spéciale de Paix « la pression des militaires sur le pouvoir civil » est encore une fois mise en évidence. Les Forces Militaires ont obtenu d'affaiblir la responsabilité de la chaîne de commandement. Dans le texte approuvé, l'Etat a modifié les principes du Droit International (Article 28 du Statut de Rome), ce qui aura pour conséquence que seuls les soldats – en tant que responsables matériels des délits – seront jugés et sanctionnés « alors que les plus grands responsables, civils et hauts gradés militaires pourront jouir d'une impunité totale pour les crimes commis sous leurs ordres. »
Les victimes de crimes d'Etat et les organisations de droits de l'homme ont été présentes pendant tout le débat, au Congrès et à l'extérieur, pour exiger que la mise en oeuvre de l'accord en soit plus retardée et que le Système Complet de Vérité, de Justice, de Réparation et de Non Répétition soit approuvé en tant qu'instrument « essentiel » pour avancer dans la reconnaissance des droits des victimes.
Elles sont salué l'incorporation des propositions comprenant le point de vue territorial et de genre, la participation des victimes à toutes les étapes du Système Complet de Vérité, de Justice, de Réparation et de Non Répétition, l'élimination de la soutenabilité fiscale comme présupposé pour la réparation des victimes et la garantie d'une réparation complète et pas seulement pécuniaire. « Nous continuons à travailler infatigablement pour une paix qui nous reconnaisse et nous rende notre dignité, » conclut le communiqué.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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