Venezuela : DolarToday et les cyberdélinquants de l'opposition utilisent des robots pour imposer des tendances sur Twitter
Samedi dernier, les comptes Twitter d'importants médias de l'Etat vénézuélien comme Radio Nacional de Venezuela (un réseau de radios datant de plus de 80 ans qui comprend des radios régionales et plusieurs chaînes avec leur propre programme), Radio Miraflores et Miraflores TV ont été suspendus par Twitter sans aucune explication en dehors des courriers automatiques qui disent qu'il a pu y avoir une violation des règles de l'entreprise sans préciser laquelle. Simultanément, une chercheuse indépendante, Erin Gallagher, a révélé l'existence d'un réseau de milliers de robots ou programmes automatiques qui stimulent d'une façon extraordinaire les campagnes du site d'opposition DolarToday même quand il viole les règles du réseau social. Pourquoi certains comptes peuvent-ils violer librement les règles de ce réseau social sans être sanctionnés alors que d'autres sont éliminés sans aucune explication ?
Les robots sont des programmes automatiques qui peuvent être exécutés sur les ordinateurs personnels ou sur des serveurs plus sophistiqués pour répéter une phrase déterminée des centaines ou des milliers de fois. Ainsi, ils cherchent à transformer ces phrases en « tendances », c'est à dire à les faire apparaître parmi les 10 ou 20 phrases que Twitter considère comme les sujets les plus discutés pendant les dernières heures.
Les experts en robots qui agissent comme des « entreprises de marketing digital » créent des dizaines ou des centaines de faux comptes Twitter et ensuite utilisent des applications et des programmes connus comme « robots » pour que ces comptes twittent simultanément certains contenus, y compris des titres de sites d'information.
Etant donné que beaucoup de journalistes de la presse,d e la radio et de la télévision utilisent les tendances de Twitter pour choisir les sujets qu'ils vont traiter dans leur média, celui qui domine les tendances de Twitter peut arriver à influer sur les sujets dont on parlera le plus dans les médias du pays.
Il est relativement facile de voir si on a utilisé ces systèmes quand on entre une étiquette sur Twitter : en cliquant sur « Plus récent », on voit des centaines ou des milliers de comptes qui twittent exactement la même phrase.
Les captures d'écran suivantes montrent comment, par exemple, des centaines de robots ont répété une information du site d'opposition El Cooperante sur le centre commercial Sambil de La Candelaria le 25 avril 2017, un sujet qui est devenu une tendance ce jour-là.
Des chercheurs comme Gallagher utilisent des outils plus sophistiqués pour trouver ces réseaux de robots et fournir des preuves beaucoup plus convaincantes de leur existence.
Dans un article en anglais publié par le site medium.com, qu'on peut consulter en espagnol sur le site de Damián Fossi, Gallagher dénonce un important réseau de robots autour des comptes de DolarToday, stimulés en plus par des comptes qui ont des millions de suiveurs.
« DolarToday soutient les protestations de l'opposition au Venezuela. Son compte Twitter le plus influent est celui avec l'étiquette #TeamHDP. Ses twitt sont repris par des comptes automatiques qui se caractérisent par la publication de contenus répétitifs comme un robot et utilisent un outil d'administration de médias sociaux appelé IFTTT (If This Then That, en français : si c'est, alors c'est) pour automatiser les twitts.
DolarToday est un site dénoncé par l'Etat vénézuélien pour avoir instauré un marché artificiel du dollar parallèle (marché noir) qui, au Venezuela, est soumis au contrôle des changes depuis 2003. La façon souvent obscure dont ce site détermine la valeur de la monnaie l'a fait accuser d'avoir utilisé sa position de domination pour faire augmenter artificiellement l'inflation dans le pays. Pour cette raison, on a essayé un moment de bloquer l'accès à ce site.
Mais en plus, DolarToday est un site d'information qui publie des informations tendancieuses toujours en faveur de l'opposition en utllisant des titres à sensations et des demi-vérités. Selon le site Alexa qui fait un classement des sites les plus visités de chaque pays, DolarToday est le 39° au Venezuela.
Des robots qui répètent des contenus « d'influenceurs »
Les réseaux de robots et les comptes automatiques qui suivent des « influenceurs », c'est a dire des comptes habituellement gérés par des personnes réelles très présentes et avec une grande crédibilité sur les réseaux sociaux ont attiré l'attention de la chercheuse. Elle a cherché des références et a trouvé des études scientifiques (papers) qui montraient des cas semblables dans d'autres pays, utilisés pour que des informations fausses (fake news) créées par ces « influenceurs » touchent beaucoup plus de gens. A la base, des milliers de faux comptes Twitter reprennent le contenu d'un compte Twitter principal (le compte de « l'influenceur ») pour tenter de les transformer en tendance.
La chercheuse indique que, dans le cas du Venezuela, les principaux « influenceurs » avec l'étiquette #TeamHDP sont les comptes @DolarToday qui ont 2,9 millions de suiveurs, le compte @HDPY0 qui a 142 000 suiveurs et le compte @YoSoyJustin qui a 130 000 suiveurs, des comptes qui ont une grande portée. Cependant, ces comptes sont stimulés et amplifiés par des réseaux de ce qui semble être des groupes ou des communautés de robots pour que les contenus qu'ils publient deviennent tendance rapidement.
Gallagher a utilisé un programme de graphes comme Gephi et des outils pour accéder à API deTwitter comme Tweet Archivist pour faire des analyses massives de données et obtenir des graphiques qui montrent visuellement comment des centaines de robots reprennent le contenu des comptes @DolarToday, @YoSoyJustin et @HDPY0.
Il faut noter que les règles mêmes du réseau social Twitter disent qu'il est interdit de créer « des comptes multiples/en série pour la même utilisation » et spécifient qu'on « ne peut pas créer ou automatiser des comptes en série (ou multiples) pour une utilisation de reprise. »
Les comptes @YoSoyJustin, @HDPY0 et même Team HDP (un groupe de délinquants informatiques vénézuéliens qui se font appeler hackers) sont assez connus dans le monde politique vénézuélien parce qu'ils ont mené il y a quelques semaines une campagne de publication de données personnelles de Chavistes qu'ils ont poursuivis après avoir violé la sécurité informatique d’organismes publics comme l'Institut Vénézuélien de Sécurité Sociale ou le système informatique du Carnet de la Patrie.
Il faut souligner que la publication de données personnelles est expressément interdite par les règles de Twitter et que 'entreprise a l'habitude d'être sévère envers les comptes qui enfreignent ces règles bien que, pour une raison inconnue, il y ait des exceptions.
Les données personnelles de plusieurs communicants, journalistes et propriétaires de comptes twitter de médias de l'Etat comme Fidel Madroñero, Llafrancis Colina, William Castillo ou Alida Freites ont été publiées par ces comptes ou par des comptes de moindre importance qui à leur tout ont été repris par ces comptes. Les données personnelles de députés proches du chavisme comme Pedro Carreño ou Iris Varela ont été aussi publiées.
Un autre compte s'est lancé il y a quelques semaines dans une campagne similaire, c'est le compte @VVperiodistas qui a plus d'1 million de suiveurs et qui, bien qu'il ait été souvent dénoncé, continue à être actif. Ce compte a publié des informations personnelles comprenant les adresses et le numéro de téléphone des enfants et des membres de la famille d'hommes politiques et de fonctionnaires chavistes lors d'une campagne encourageant le harcèlement contre eux.
Ils ont encouragé le « sit-in » avec des milliers de robots
En revoyant les twitts avec l'étiquette #TeamHDP postés à partir du 14 juin, on peut trouver une grande quantité de messages répétitifs reprenant un appel ou une phrase de l'opposition :
« Résistance active ! A Carabobo, les voisins ont fait un « sit-in » #14Jun #TeamHDP »
Cette phrase et beaucoup d'autres ont été twittées par le compte @DolarToday et des centaines d'autres comptes sur le réseau #TeamHDP avec un lien encourageant le « grand sit-in national. »
Gallagher a publié des captures d'écran de centaines de twitts avec ces phrases.
Il est important de souligner que ce « grand sit-in national » était une protestation organisée par l'opposition qui impliquait de lacer des barricades et de barrer des voies de communication sociale. 2 personnes sont mortes sur l'autoroute de Prados del Este, à Caracas, quand l'une d'elle, conduisant une moto, a dû revenir à contresens après avoir trouvé une barricade et est rentrée dans une autre moto qui venait en face.
Au total, 91 personnes sont mortes à cause des protestations organisées par l'opposition du le 6 avril au 19 juin. Plus de la moitié des morts ne participaient pas aux manifestations et seulement un petite nombre ont été victimes des corps de sécurité de l'Etat.
Des comptes qui imposent des contenus
De plus, la chercheuse a utilisé un outil internet, Tweet Archivist, qui lui a permis de placer les twitts répétitifs sur un tableau Excel pour les traiter avec d'autres outils et en faire une analyse plus élaborée. Gallagher a publié des captures d'Excel qui montrent 'immense quantité de twitts provenant de comptes de robots comme @CalaveraVzla, @notiwebon, @LlaneroDigitalV, @noticiasmiami, @RivaldoVZLA, @RTwittear, @solorzanobd ou @Zuliano73 parmi beaucoup d'autres.
Dans ces longues listes de twitts, Gallagher a pu noter qu'on utilise une application appelée “SWAT Comunicacional”, disponible sur dolartoday.com/swat-comunicacional/.
C'est une application faite par les gens de DolarToday et disponible sur son site.
Cette application permet à n'importe qui a un compte Twitter d'enter dans les réseaux de robots qui publient automatiquement des contenus de DolarToday. Chaque fois que DolarToday émet un nouveau twitt, automatiquement, tous les comptes inscrits sur l'application SWAT Comunicacional twittent le même contenu. Cela semble démontrer que les patrons de DolarToday eux-mêmes sont impliqués dans la création du réseau de robots ou au moins soutiennent son existence.
De fait, al description de l'application “SWAT Comunicacional” sur le site de Twitter dit : « Un message, 10 millions de Soldats et le soutien du site le plus influent de tout le Venezuela. »
En utilisant les outils de Tweet Archivist, Gallagher a été impressionnée par le fait que 12 926 twitts émis par ce réseau de robots entre le 13 et le 14 juin 2017 ont eu une portée de 1 208 millions personnes.
Gallagher explique que ce n'est pas la première fois qu'on découvre l'utilisation de réseaux automatiques de robots pour soutenir des étiquettes et des informations de sites vénézuéliens. Les chercheurs mexicains de LoQueSigue ont prouvé l'existence de robots sur l'étiquette #PrayForVenezuela (priez pour le Venezuela) en 2014, une étiquette qui est devenue tendance au niveau mondial à ce moment-là, étant utilisée par l'opposition pour dénoncer de soi-disant violences, une soi-disant répression et une soi-disant censure. Pour sa part, NoBotsPolitico d'Espagne a prouvé l'existence d'un réseau de faux comptes qui soutenaient les protestations de La Sortie en 2014. Ensuite, il s'es tu pendant 8 mois et a commencé à fonctionner à nouveau pour twitter de la propagande contre le parti espagnol Podemos avec des étiquettes en rapport avec les élections de 2015 en Espagne.
Gallagher signale qu'il ne lui a pas été possible d'enquêter sur ceux qui contrôlent ces comptes automatiques qui soutiennent #TeamHDP. Cependant, « les réseaux ne sont pas administratifs. Cela semble êtrepetre une opération délibérée et très bien organisée pour stimuler les protestations de l'opposition, » conclut-elle dans son article.
Certains doivent respecter les règles et d'autres pas ?
Jusqu'à ce mercredi 21 juin, les comptes de RNV, de Radio Miraflores et de dizaines d'activistes chavistes qui ont été suspendus n'ont pas été remis en service. Plusieurs utilisateurs ont fait appel de la suspension mais les réponses, jusqu'à présent, ont été des réponses automatiques et n'ont pas indiqué les raisons du blocage.
Ce n'est pas la première fois que cela arrive. En octobre 2013, quelques 6 000 comptes liés au chavisme, même ceux de ministres, de la station de radio La Radio del Sur, de plusieurs ministères et collectifs comme @Forocandanga ont été suspendus. Quelques jours plus tard, l'entreprise est revenue sur la suspension dans certains cas en indiquant qu'il s'agissait d'une « erreur » sans donner plus de détails.
On ignore les raisons pour lesquelles les comptes du chavisme sont traités avec tant de sévérité alors que des comptes de l’opposition violent les règles de Twitter et les ois du pays en totale impunité sans être sanctionnées malgré les dénonciations contre eux.
Cependant, il est possible que ce comportement marque la fin du réseau social Twitter étant donné que ses contenus sont de plus en plus automatisés et que les interactions humaines ont tendance à disparaître.
Si un site devient très populaire parce que ses twitts sont soutenus par un grand réseau de robots et de faux comptes, rapidement, d'autres sites commenceront à faire la même chose. Il arrivera un moment où tout le monde créera de plus de réseaux de robots que de contenus de qualité. Les tendances ne seront plus déterminées en mélangeant les interactions et les intérêts d'êtres humains normaux mais par ceux qui peuvent créer les réseaux de robots les plus importants, c'est à dire les grandes transnationales de la communication. Twitter n'aura plus de sens en tant que réseau social.
Pendant ce temps, d'autres réseaux comme Instagram qui ont refusé de permettre les contenus automatisés sur son réseau et sanctionnent rapidement et sévèrement les conduites comme le harcèlement, les menaces et la publication de données personnelles ont eu une croissance importante ces derniers mois et beaucoup d'utilisateurs de Twitter migrent vers ce réseau étant donné qu'il ne limite pas le nombre de caractères des publications.
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