Colombie: Lettre de Timochenko à la Procureure de la Cour Pénale Internationale sur la non respect des accords de paix
19 novembre 2017
Madame la Procureure Fatou Bensouda
Cour Pénale Internationale
Rome, Italie
Madame la Procureure,
Recevez de Colombie le salut enthousiaste du nouveau parti politique Force Alternative Révolutionnaire de la Commune né de la mise en place de l'Accord Définitif pour la Fin du Conflit et pour la Construction d'une Paix Stable et Durable signé le 24 novembre de l'année dernière entre le Gouvernement de notre pays et la guérilla des FARC-EP.
Cet accord a mis fin au plus long conflit armé de notre continent grâce à une série de mesures qui ont été convenues comme vous le savez, après 5 ans de délibérations permanentes dans la ville de La Havane, Cuba. A partir de sa signature, on a mis en mouvement l'engrenage de sa mise en place légale et pratique dans le cadre de la Constitution.
Pour notre part, comme l'a certifié récemment Monsieur le Secrétaire Adjoint aux Affaires Politiques des Nations Unies Jeffrey Feltman, nous avons strictement respecté tous les engagements pris et chacun d'entre eux et nous nous sentons ainsi dans le plein droit d'exiger du Gouvernement colombien un comportement identique.
Nous aurions beaucoup de choses à dire sur l'état affligeant de la mise en place de l'Accord Définitif mais ce n'est pas le propos de cette lettre. Ce qui nous alarme vraiment, ce qui nous fait nous adresser à vous réside dans la sentence récente C-17 de la Cour Constitutionnelle de notre pays qui déclare exécutoire l'Acte Législatif 01 de cette année.
Cet Acte Législatif a inclus dans la Constitution Colombienne ce qu'on appelle le Système Intégral de Vérité, de Justice, d'Indemnisation et de Non Répétition dont l'un des chapitres les plus importants est consacré à la Juridiction Spéciale pour la Paix, JEP, dont l'objectif central n'est autre que de satisfaire le droit à la justice des victimes du conflit.
La Cour Constitutionnelle de notre pays, dans cette sentence, s'est prononcée sur le caractère exécutoire de cet Acte Législatif. Il faut noter que la sentence de la Cour a été rendue publique par un communiqué officiel qui résume le texte de al sentence mais que cette même sentence n'a pas encore été rendue publique et qu'il faudra un certain temps pour cela.
Dans le communiqué en question, la Cour Constitutionnelle colombienne, bien qu'elle ait déclaré constitutionnel l'ensemble du Système Intégral de Vérité, de Justice, d'Indemnisation et de Non Répétition déclare en même temps anticonstitutionnelles diverses dispositions du chapitre sur la Juridiction Spéciale pour la Paix et crée ainsi une série de situations réellement préoccupantes.
C'est à ce sujet que nous sollicitons de vous, très respectueusement, une entrevue avec des délégués de notre organisation politique et leurs conseillers juridiques. Il nous semble conformément à la jurisprudence internationale en la matière, que la sentence de la Cour colombienne ouvre la porte à l'impunité et se moque de façon évidente du droit des victimes.
La Juridiction Spéciale pour la Paix a été conçue comme un mécanisme exceptionnel de justice provisoire dont le but est non seulement de mettre fin au conflit mais surtout d'assurer la fin de l'impunité qui règne en Colombie en matière de crimes d'Etat et de graves violations de la loi internationale par des tiers dans le conflit.
Dans l'Accord Définitif est consignée notre volonté de comparaître devant cette juridiction, de dire la vérité et de la dire complètement, d'assumer la responsabilité qui nous revient et de respecter les sanctions qui découleraient de nos actions. Nous réaffirmons ainsi notre engagement envers les droits des victimes du conflit.
La sentence de la Cour a exclu de l'obligation à se soumettre à la Juridiction Spéciale pour la Paix les agents de l'Etat non militaires et les tiers responsables de crimes graves, les laissant juger par la justice ordinaire, une justice qui, en plus de 50 ans de conflit, a joué le rôle d'instrument de guerre en faveur de l'Etat en ne s'appliquant dans toute sa rigueur qu'à ceux qui s'opposent à celui-ci.
Pour cette raison, notre parti a décidé de déposer l'Accord Définitif signé le 24 novembre au Théâtre Colón de Bogotá entre le Président Juan Manuel Santos et Timoléon Jiménez, commandante des FARC-EP au Secrétariat Technique de la Cour Pénale Internationale pour qu'il soit largement connu et évalué.
De cette façon, nous souhaitons obtenir que la Cour Pénale Internationale évalue la façon dont la sentence de Cour Constitutionnelle sur la Juridiction Spéciale pour la Paix et les changements de dernière heure ajoutés par le Congrès de la République ont détruit des éléments importants reconnus par les experts internationaux pour leur conformité à la législation internationale sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
Respectueusement,
Rodrigo Londoño Echeverry
Président de la Force Alternative Révolutionnaire de la Commune
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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