Honduras : La CIA et la disparition forcée
Le rapport « Recherche de la Vérité qu'on nous cache » de l'ex-commissaire National pour les Droits de l'Homme au Honduras, Leo Valladares, révèle des documents qui mettent en évidence le soutien militaire des Etats-Unis aux forces militaires honduriennes dans les années 80 et le rôle de la CIA au Honduras.
Le sergent à la retraite des Forces Armées honduriennes, Florencio Caballero Bonilla, a été l'une des sources d'information essentielles dans l'affaire Carney et d'autres affaires d'abus concernant les droits de l'homme.
Caballero a déserté des services de renseignement militaire honduriens 3-16 en juin 1986 et plus tard, il a partagé des informations dans divers forums, certains publics et d'autres confidentiels. Cette section examine le témoignage de Caballero et la réponse du Gouvernement des Etats-Unis concernant l'affaire Carney.
En 1987, des membres de la famille Carney ont pris contact avec Caballero pour le rencontrer au Canada où l'ex-militaire avait obtenu l'asile politique. Caballero a dit à la famille Carney que l'ordre d'exécuter le Père Carney et le dirigeant de la guérilla PRTC, le Dr. José María Reyes Mata, venaient directement du Général Gustavo Alvarez Martínez. Caballero a signalé que le personnel des Etats-Unis et même un agent de la CIA connu sous le nom de “Mister Mike” étaient présents quand ils ont reçu l'ordre du Général Alvarez. Ce témoignage contredit les déclarations officielles disant que le personnel des Etats-Unis n'était pas informé de l'implication de Carney dans le PRTC jusqu'à ce que « l'Opération Patuca » soit mise en place.
Caballero, qui était assigné à Nueva Palestina, a dit que personnellement, il n'avait pas vu le Père Carney. Cependant, il a déclaré qu'il avait entendu dire, de seconde main, que le Père Carney avait été capturé et conduit à El Aguacate, un camp proche de Catacamas, département d'Olancho, qui avait été installé par la CIA pour les “Contras” nicaraguayens.
Caballero a soutenu que des instructeurs de la CIA et du Pentagone qui entraînaient les “Contras” étaient présents à El Aguacate pendant la détention du Père Carney. Il a informé la famille que Carney a été ensuite torturé puis jeté « vivant d'un hélicoptère » au-dessus de la forêt hondurienne.
Caballero a dit, de plus, qu'il avait vu le journal et certains objets religieux ayant appartenu au Père Carney. Il a indiqué que ce journal a été plus tard remis au Capitaine Chávez Hernández, qui était le second dans le commandement du Bataillon 3-16 après le Major Alexander Hernández.
En janvier 1988, Caballero témoigna devant le Cour Inter-américaine des Droits de l'Homme à San José, Costa Rica, au procès dans l'affaire historique de la famille d'Angel Manfredo Velásquez Rodríguez contre l'Etat du Honduras.
Caballero partagea aussi son témoignage avec le journaliste James Le Moyne, qui le cita intégralement dans son article intitulé « En témoignant sur la torture » dans le New York Times Magazine du 5 juin l988. En ce qui concerne l'affaire Carney, l'article de Le Moyne dit :
« Florencio Caballero a dit qu'il avait interrogé un prêtre étasunien, le Père James Carney qui a soutenu un groupe de guérilléros et a été capturé avec un groupe de 96 rebelles qui s'étaient infiltrés du Nicaragua au Honduras après avoir été entraînés à Cuba. Caballero a signalé que le Père Carney et presque 70 des guérilléros capturés ont été exécutés. »
Caballero a-t-il vu et interrogé le Père Carney ou non ? Cette divergence demande à être clarifiée. L'article de la revue donne des détails concernant ce que dit Caballero sur son entraînement par la CIA:
« J'ai été amené au Texas avec 24 autres pour 6 mois entre 1979 et 1980, » c'est ce que m'a dit Caballero. « Là, il y avait un Capitaine de l'armée étasunienne et des hommes de la CIA. L'instructeur en chef de la CIA était Mr.. Bill.”… Caballero a ajouté qu'au Texas, les Etasuniens « m'ont enseigné l'interrogatoire pour en finir avec la torture physique au Honduras. Ils nous ont enseigné des méthodes psychologiques – pour étudier les peurs et les faiblesses d'un prisonnier. Le laisser immobile, ne pas le laisser dormir, le laisser nu et isolé, mettre des rats et des cafards dans sa cellule, lui donner de la mauvaise nourriture, lui servir des animaux morts, lui jeter de l’eau froide dessus, changer de température. Quand je suis rentré au Honduras, des Etasuniens, des Chiliens et des Argentins m'ont entraîné à l'assaut, à l'utilisation des bombes et des explosifs « selon ce dont se souvient Caballero. »
« Ensuite, on m'a intégré à une unité de renseignement comme interrogateur. Nous, nous capturons et nos enquêtons sur des subversifs. » Caballero a affirmé « qu’occasionnellement, un agent étasunien de la CIA se rendait secrètement dans la prison où il travaillait et lui donnait des rapports écrits d'interrogatoires de prisonniers. »
Les allégations de Caballero concernant les activités criminelles de la CIA, dans l'article de Le Moyne, ont causé une grande agitation d'investigations de la part du Gouvernement étasunien. Le 9 juin 1988, l'Inspecteur Général de la CIA a ordonné une enquête sur les déclarations contenues dans cet article. Le Comité de Renseignement du Sénat a convoqué le Directeur Adjoint pour les Opérations de la CIA, Richard Stolz, à une audience à huis-clos sur la formation des interrogateurs honduriens et sur les manuels d'entraînement de la CIA. Après cette audience et 2 sessions de plus à huis-clos avec des employés de la SSCI, les 14 et 17 juin 1988, le Comité a décidé de suspendre les interrogatoires jusqu'à ce la fin de l'enquête de l'Inspecteur Général. Bien que la date exacte soit encore secrète, pendant ce processus, des employés de la SSCI ont rencontré Caballero.
Bien que des fragments importants d'information soient encore rayés, une partie des transcriptions de l'audience du Comité de Renseignement et de la rencontre entre les membres du Comité et Caballero a été remise au Baltimore Sun en mars 1995, en réponse à une demande FOIA. Des parties séparées d'un memorandum du 24 août 1988 destiné à l'Inspecteur Général de la CIA au sujet de « l'Investigation sur les Allégations de l'Article du New York Times concernant l'implication de la CIA avec des Officiers Honduriens Accusés d'Abus concernant les Droits de l'Homme » ont été remises en août 1997.
Un memorandum déclassifié indique qu'au moins 1 membre du Congrès a rencontré des officiers de la CIA dont les noms ne sont pas mentionnés parce qu'ils connaissaient les causes éventuelles de la mort du Père Carney. Le représentant William S. Broomfield a été avisé que :
« (rayé) pouvait assurer à Mr. Broomfield que la CIA n'avait rien à voir avec le décès du prêtre. »
Malgré ces déclarations « sincères » faites au congressiste, la famille de Carney n'a reçu de réponse officielle de la CIA concernant le destin du religieux que 4 mois plus tard. Le 7 avril 1988, le directeur de la CIA de l'époque, William Webster, écrit :
« Je suis satisfait que la CIA ne soit pas impliquée dans la disparition et la mort évidente du Père James Carney au Honduras. Selon les informations que j'ai, il semble que le plus probable est que le Père Carney ait péri dans la forêt hondurienne de faim et d'exposition aux intempéries. Bien que nous, nous ne sachions pas exactement ce qui s'est passé avec le Père Carney, je peux vous assurer que nous n'avons ni information ni preuve qu'il ait été torturé ou exécuté. »
2 mois plus tard, le 16 juin 1988, le Comité de Renseignement du Sénat, l'autorité qui contrôle les activités de la CIA au Honduras, a eu des audiences à huis-clos à propos du manuel utilisé au Honduras pour les interrogatoires. La seule question sur l'affaire Carney a été posée par William Cohen, maintenant Secrétaire à la Défense, au Directeur des Opérations de la CIA Suppléant Richard Stolz:
« Sénateur Cohen: … la CIA peut-elle confirmer la façon dont est mort le Père Carney ?
Mr. Stolz: Non, Monsieur... Nous, nous comprenons (pause) nous, nous ne connaissons pas la réponse à cette question. J'ai parlé brièvement avec l'ambassadeur Negroponte mardi et à nouveau hier et la meilleure information qu'il semble que nous avons tous est qu'il est mort de (pause) qu'un certain nombre d'entre eux ont été libérés et qu'ils étaient dans la forêt quelque part et qu'ils sont morts. Mais je ne sais rien de plus... s'il a été assassiné par les autorités honduriennes. Simplement, nous ne savons pas... »
La transcription de l'audience indique qu'on n'a pas demandé à Stolz de préciser ses réponses vagues et confuses.
Un résumé de 4 pages que la CIA a préparé pour accompagner sa remise de documents concernant Carney en mars 1997 ébauche 3 possibilités. La première « version communément acceptée » est « que le Père Carney n'a pas été capturé mais est mort de dénutrition sévère. » Cette version est basée que les interrogatoires des guérilléros et ce qui apparaît dans le journal de Reyes Mata.
Le résumé signale qu'une « seconde version est que le Père Carney a été capturé et ensuite exécuté par des militaires honduriens, une version qui ne peut pas être écartée si on considère les rapports récents qui indiquent que des unités militaires honduriennes ont capturé et exécuté un certain nombre d'insurgés. » Cette version est basée en partie sur le témoignage de Florencio Caballero.
La troisième version présentée par la CIA est la plus immorale et inquiétante et suppose que Carney « a été exécuté par des militaires honduriens mais ajoute qu'il a été torturé et ensuite démembré. » La CIA assure que cette version « n'est pas corroborée » et est « basée sur des informations de seconde main d'un activiste de gauche avec un ordre du jour politique particulier. »
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol :
http://www.resumenlatinoamericano.org/2017/12/26/la-cia-en-honduras-y-la-desaparicion-forzada/
URL de cet article :
http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/01/honduras-la-cia-et-la-disparition-forcee.html