Colombie : Comment son entrée dans l'OTAN affecte les pays voisins
Le 31 mai, la Colombie deviendra le 1° nation latino-américaine à entrer dans l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en tant que « partenaire mondial, » selon les mots du président Juan Manuel Santos lui-même. Cette mesure a non seulement un impact sur le pays lui-même mais affecte les pays voisins et la région. Spoutnik te dit comment.
Le Venezuela
Pour l'analyste international vénézuélien Sergio Rodríguez Gelfenstein, le Gouvernement colombien « dans son désir de se montrer loyal envers les Etats-Unis, a franchi une limite qu'aucun autre Gouvernement n'avait franchie. »
Rodríguez Gelfenstein alerte sur le fait que cette mesure « viole les traités internationaux » comme celui sur la Proscription des Armes Nucléaires de l'Amérique Latine et des Caraïbes, plus connu sous le nom de Traité de Tlatelolco (Mexique), en vigueur depuis 1968.
Le président colombien a précisé que malgré la présence de son pays dans l’organisation, la Colombie ne participera pas à des opérations militaires. Cependant, selon lui, en entrant dans une alliance comme l'OTAN, « dont certains membres ont des armes nucléaires qui pourraient être transportées en Colombie, » il a violé un accord par lequel les pays de la région s'étaient déclarés libres d'armes nucléaires. »
Il considère que l'incorporation de la Colombie à cette organisation est quelque chose de « très dangereux » pour l'Amérique Latine, « une région qui refuse l'entrée de bateaux de la Marine britannique avec des armes nucléaires dans les Iles Malouines. La différence est que dans ce cas, la menace vient de la seule Grande Bretagne et là, nous parlons d'un pays latino-américain qui enfreint les règles. »
Pour Rodríguez Gelfenstein, par cette action, on officialise une situation de fait : « Les bases militaires des Etats-Unis en Colombie existent depuis longtemps mais cet accord les officialise. »
L'Equateur
Selon ce qu'a déclaré à Spoutnik le professeur Daniel Pontón, doyen du Centre de Sécurité et de Défense de l'Institut des Hautes Etudes Nationales de l'Equateur, l'annonce de Santos l'a atterré. Pour lui, l'alignement du pays sud-américain sur l'OTAN peut être interprété comme « l’intention de bloquer encore plus l'influence vénézuélienne et bolivarienne sur la région. »
Il considère cependant que dans cette situation, une question intéressante se pose qui commencera à se préciser quand le peuple colombien retournera aux urnes pour le second tour des élections présidentielles, le 17 juin.
« S'il n'y a pas de changement en Colombie, cette mesure pourrait être une sentence de mort pour l'UNASUR, si la droite colombienne ne crée pas la surprise. »
L'UNASUR est une organisation régionale d'intégration qui a son siège à Quito. Elle été fondée en 2008 par les 12 pays d'Amérique du Sud. En avril 2018, 6 pays membres (l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou) ont décidé de suspendre leur participation à l'UNASUR. Par contre la Bolivie, l'Equateur, le Guyana, le Suriname, l'Uruguay et le Venezuela restent dans l'organisation.
Le Pérou
Pour l'économiste et analyste international péruvien Óscar Ugarteche, « l'entrée de la Colombie dans l'OTAN est un succès de la politique étrangère étasunienne » car « il situe un pays sud-américain dans l'Atlantique nord auquel il n'appartient pas » et privilégie les alliances avec l'Europe.
« C'est un signe que les Etats-Unis pourraient vouloir intervenir dans cet hémisphère avec des alliances européennes, un peu comme ils le font au Moyen Orient, pour ne pas agir tout seuls. Je crois que les Etats-Unis savent qu'ils ne peuvent pas agir en Amérique Latine avec l'aide d'autres pays de la région parce que personne ne va accompagner une aventure dans cet hémisphère, » considère l'expert.
Ugarteche a exprimé son inquiétude à ce sujet puisque « la Colombie est un pays très armé, qui détient le record de la violence » dans la région. C'est pourquoi une alliance avec l'OTAN constitue « une absurdité. » Les objectifs de ce bloc militaire pourraient être, à son avis, le Nicaragua ou la Venezuela, de la même façon qu'il est intervenu dans « ce qu'on appelle les printemps démocratiques » des pays arabes.
En ce qui concerne la position de Lima sur l'entrée de la Colombie dans l'OTAN, il a déclaré qu'il n'a pas de certitude mais qu'en tout cas, « le Pérou est un allié très important » de Bogotá: les 2 pays ont des traités de libre commerce avec les Etats-Unis et ont réduit leur participation à la Communauté Andine. Dans ce contexte, la situation actuelle « pourrait représenter un revirement de politique étrangère pour chercher une alliance de même type. » « J'espère que non mais ce pourrait être le cas, » a-t-il noté.
Le Brésil
« L'entrée de la Colombie dans l'OTAN est un précédent très grave » qui viole plusieurs résolutions prises par les pays de la région, a dit à Spoutnik le secrétaire du Parti Communiste du Brésil pour les Relations Internationales José Reinaldo Carvalho.
Parmi ces résolutions se trouve une déclaration de la Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (CELAC), qui en 2014, a déclaré que « la région est une zone de paix, » en plus du Traité de Tlatelolco dont nous avons déjà parlé.
Le fait qu'un pays s'associe avec l'OTAN, « une alliance militaire à capacité nucléaire, viole ces proclamations et crée un précédent » parce qu'il amène un danger d'interventions étrangères, a dit celui qui est aussi journaliste et l'éditeur du média de géopolitique Resistencia.cc.
L'analyste a signalé que cela « menace la stabilité et la sécurité de tous les pays latino-américains, même de la Colombie. » Santos, l'un des artisans des accords avec les FARC —signés en 2016— et lauréat du Prix Nobel de la Paix pour cette raison la même année, en affiliant son pays à l'OTAN, « peut annuler » les succès de ce processus.
Carvalho a souligné qu'une mesure comme celle-là s'intègre dans le « blocus diplomatique et militaire » qui vise le Venezuela. En ce sens, il a rappelé la réalisation de manœuvres militaires conjointes avec le Pérou, la Colombie et le Brésil dans l’Amazonie pendant l'opération AmazonLog17 en novembre 2017 avec le soutien du Pentagone. Mêle s'ils ne laissent pas de bases sur place, cette participation « crée un précédent. »
En ce qui concerne ce que fera Brasilia, il a signalé qu'il faut attendre pour émettre un jugement mais il a constaté que « l'actuel Gouvernement putschiste de Michel Temer a une politique de soumission aux Etats-Unis et d'agression envers les pays progressistes, en particulier envers le Venezuela. »
« Le Brésil a été l'un des organisateurs du Groupe de Lima qui a dit qu'il ne reconnaîtrait pas les résultats des élections vénézuéliennes » et à cause de cela,je ne crois pas qu'il va aller contre ce que dit Washington, » a-t-il affirmé.
Au début du XXI° siècle, Amérique Latine « est devenue un pôle important de la géopolitique internationale » sous l'impulsion du Brésil. La création de la CELAC (un mécanisme inter-gouvernemental de dialogue et de concertation politique des pays d' Amérique Latine et des Caraïbes) et la projection du géant sud-américain vers la Chine, l'Afrique et le Moyen Orient pour renforcer le bloc des BRICS « a créé un nouvel environnement mondial. »
Évidemment, cela ne plaît pas à Washington et à Bruxelles. L'entrée de la Colombie dans l'OTAN est une mesure qu'on prend sur notre continent pour essayer de revenir sur les conquêtes de souveraineté et d'intégration de nos peuples, » a conclu l'analyste.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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