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Colombie : Retour de l'uribisme et naissance d'une nouvelle opposition

19 Juin 2018, 16:44pm

Publié par Bolivar Infos

 

par Maria Fernanda Barreto

Hier ont eu lieu en Colombie des élections présidentielles d'une grande importance pour toute la région et en particulier pour le Venezuela. Une fois de plus, le pays a été invité à choisir entre le projet historique de paix et la guerre et il a opté pour ce dernier à la fin de la journée. L'uribisme revient à la présidence avec Iván Duque. Le nouveau président de la Colombie prendra ses fonctions le 7 août 2018 et les remplira jusqu'à la même date de 2022. Cependant, le résultat de ces élections si complexes a de nombreuses implications qu'il faut analyser.

 

Même si dans aucun pays le pouvoir exécutif ne représente la majeure partie du pouvoir réel, en Colombie, le pouvoir des intérêts transnationaux dirigés par les Etats-Unis, des grandes corporations extractivistes, des forces militaires, des affaires associées à la guerre, du trafic de drogues et du para-militarisme est disproportionné.

 

C'est pourquoi le fait que certains analystes de gauche minimisent l'importance des contradictions essentielles qui se sont affrontées dans ces élections et centrent leur regard uniquement sur la victoire ou la défaite attire l'attention. Même si le pouvoir exécutif est un instrument du pouvoir qui ne doit pas être sous-estimé, l'avoir mis dans les mains de Gustavo Petro aurait pu marquer une limite dans l'histoire récente de la Colombie. Sa victoire n'aurait pas impliqué une révolution ni garanti la paix comme je l'ai dit dans un article précédent.

 

Au-delà du fait indubitable qu'est la personnalité de l'ex-candidat à présent sénateur Gustavo Petro, la lutte pour la paix avec a justice sociale en Colombie continue à avancer avec de grandes contradictions. De ce point de vue, les résultats en chiffres de ces élections permettent de tirer 4 conclusions.

 

La première qui saute aux yeux est que l'uribisme continue à être un phénomène populaire et électoral qu'on n'a pas su comprendre et encore moins affronter. Uribe sort un candidat pratiquement de rien et arrive à ce que l'establishment serre les rangs autour de lui bien que son image personnelle commence à se cacher. Hier soir, Álvaro Uribe n'a pas accompagné son débutant. Au contraire, il s'est retiré dans son domaine à Río Negro d'où il l'a félicité brièvement et il s'est montré comme un vieux à a retraite en disant que maintenant, il a « des horaires de grand-père » et qu'il allait se coucher tôt. Rien, chez cet animal politique, n'est innocent.

 

Arithmétique et statistique d'une nouvelle corrélation de force

 

La seconde conclusion est que la droite a réellement perdu des voix. La faille créée par Gustavo Petro a marqué une limite dans l'histoire des élections en Colombie. Alors qu'aux dernières élections de 2014, environ 15 millions de voix s'étaient réparties entre la droite et l'extrême-droite, cette fois, alors que tous les partis de l'establishment colombien ont serré les rangs autour d'un seul candidat, sans exception, il n'a eu que 10 millions de voix.

 

Les voix pour les forces alternatives ont atteint 2 millions et demi pour le PDA en 2006 avec le professeur Carlos Gaviria, ce qui représentait un peu plus de 22%. En 2010, les plus de 3 millions de Mockus représentaient un peu plus de 21%. au premier tour de cette élection, Gustavo Petro avait obtenu moins de 10% des voix pour le PDA. En 2014, Clara López avait obtenu 1 958 414 voix, un peu plus de 15%. Et maintenant, les 8 millions de voix obtenues par Gustavo Petro représentent plus de 40% des voix.

 

Troisièmement, ces élections ont donné de la visibilité à la géopolitique du conflit en Colombie. En plus d'être le président élu dans la capitale dont il a été le maire jusqu'à il y a 3 ans, Petro est aussi le président du Pacifique qui résiste. Gustavo Petro a largement gagné sur toute la côte pacifique colombienne. Un territoire de résistance contre les mega-projets transnationaux dans lequel il y a eu ces dernières années des massacres, des déplacements forcés et des assassinats sélectifs en réponse aux plus fortes actions de résistance que les organisations populaires colombiennes aient mises en œuvre. 

 

Cali est la principale ville de cette zone et l'une des plus importantes du pays et Petro y a gagné à nouveau au second tour avec 53% des voix mais l'héroïque Buenaventura qui a organisé une grève civique l'année dernière, la ville des négritudes qui résistent qui a reçu cette année de nombreuses communautés déplacées de Chocó, lui a donné plus de 70% de ses voix. Par contre, 2 départements se sont montrés uribistes de façon disproportionnée.

 

Le Nord de Santander, a donné plus de 77% de los voix à Duque. Il est le président de toute la frontière colombo-vénézuélienne et en particulier de ce département qui est la capitale de la contrebande d'extraction depuis le Venezuela et de al spéculation financière qu'on appelle « le bolivar Cúcuta. »

 

L'autre département où Duque a été élu avec plus de 72% et qui a été déterminant pour sa victoire, est Antioquia et sa capitale Medellín, l'enclave colombienne du trafic de drogues.

 

Les votes de l'étranger 

 

La diaspora colombienne a aussi tracé une ligné géopolitique intéressante. Dans les consulats de Colombie au Venezuela, c'est l'abstention qui a gagné. Le nombre d'électeurs inscrits au Venezuela était de 304 008, ce qui fait beaucoup moins de 10% de la population estimée.

 

L'abstention parmi la population colombienne qui vit au Venezuela et est inscrite sur les listes électorales a été de 89%, c'est à dire que seulement environ 1% de la population colombienne qui habite au Venezuela est allée voter (33 175 votants). Mais on ne peut pas ignorer qu'au-delà du fait que toutes les vulnérabilités du système électoral colombienne se renforcent hors du pays, le Venezuela est le second pays où les uribistes ont eu le plus de voix, précédé seulement par les Etats-Unis.

 

Par contre, Petro a gagné dans 4 pays de la région : l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et Cuba qui est celui, avec la Russie, où Gustavo Petro a obtenu le plus fort pourcentage de voix dans les consulats.

 

On s'attend à une nouvelle étape pour la Colombie dans laquelle une nouvelle corrélation de force se renforcera.

 

Cependant, il faut dire qu'en chiffres nets, la plupart des voix, il les a obtenues aux Etats-Unis, en Argentine, au Canada et au Venezuela, dans cet ordre et avec peu de différence entre les 3 derniers. Ce sont des chiffres nets et pas des pourcentages dans lesquels le circuit international a une certaine position quand il s'agit des présidentielles en Colombie.

 

Les 69 558 voix de Petro à l'étranger ont été majoritairement des votes mobilisés par la gauche colombienne à l'étranger et cela ouvre une nouvelle attente sur la scène internationale qui a été arquée par l'exercice d'une unité inédite en vue du changement en Colombie.

 

Enfin, il a été démontré que Dieu vomit les tièdes. Il y a eu un peu moins de 500 000 bulletins blancs entre le premier et le second tour. La nouvelle force électorale de ceux qui ont appelé à voter blanc se réduit à ça. Dans le cas particulier de Sergio Fajardo, les chiffres indiquent qu'un peu plus de 60% de ses électeurs à Bogotá ont voté pour Petro et à peine 15% ont suivi son appel à voter blanc. En politique, la lâcheté manifeste peut coûter cher.

 

Le grand perdant de ces élections est le système électoral colombien. Un système excluant, artisanal et archaïque qui a été mis en évidence et remis en question même jusqu'à la plaisanterie, comme jamais auparavant. Le Procureur Général de Colombie a fait un maigre faveur à ce système quand, face à la crainte e d'une victoire de l'opposition, il a décidé de s'ériger en joker et d'annoncer qu'il dénoncerait les failles du système seulement après le second tour, ce par quoi il ne faisait qu'augmenter ses remises en question de ce système et ne contribuait en rien à son amélioration. Le moderniser et le rendre moyennement respectable est une tâche importante si n continue à vouloir arriver au pouvoir par la voie démocratique.

 

L'objectif de la paix à long terme

 

Avec la victoire de Duque, les accords obtenus avec les FARC et la table de dialogue avec l' ELN sont en danger mais Iván Duque doit trouver un équilibre puisque la Colombie est passée à une autre étape du plan en termes militaires et politiques.

 

Maintenant s'impose une phase intitulée « l'après-guerre » qui justifie le départ des forces armées colombiennes vers d'autres missions en tant qu'armée mercenaire – bien qu'ils utilisent des euphémismes plus élégants comme « partenaire mondial, » « armée multi-missions » et « inter-agence » - et a déjà justifié la remise de millions de dollars et d'euros. C'est pourquoi toutes les voies ne devraient pas être fermées et on en devrait pas revenir à des scénarios antérieurs d'affrontement.

 

La priorité du Gouvernement colombien maintenant, sera de simuler la fin du conflit social et armé interne qui existe encore pour se renforcer à l'avant-garde politique et même militaire contre le Venezuela et les Gouvernements alternatifs qui restent encore dans la région.

 

Pour cela, passée la tension des élections, il faut signaler que l'heure est venue d'introduire des recours légaux et d'exercer des pressions politiques pour que la Cour Constitutionnelle de Colombie n'approuve pas l'entrée de la Colombie dans l'OTAN en tant que partenaire mondial. On peut supposer que les actions de l'opposition colombienne à ce sujet ont été tues à cause des élections mais que maintenant, ils lèveront leurs drapeaux parce que cette entrée serait sans doute mortelle pour la paix de la Colombie et de la région comme l'a dénoncé le président Maduro en personne.

 

Par son discours prononcé à la fin de la journée électorale, Petro s'est renforcé en tant que dirigeant politique : il a reconnu la victoire de Duque sans défaitisme.

 

Il a annoncé qu'il reprendra son siège au Sénat pour diriger l'opposition au nouveau Gouvernement et cette fois, il discutera d'égal à l'égal avec le sénateur Uribe. Sa coéquipière pour la vice-présidence, Ángela María Robledo, prendra aussi son poste à la Chambre des Représentants, conformément à la loi récemment approuvée. De plus, une feuille de route a été envisagée concernant la consultation anti-corruption qui aura lieu fin août de cette année et les élections régionales qui auront lieu l'année prochaine. L'attitude prise par Petro donne un poids historique à cette journée d'élections et à son image qui jusqu'à hier, ne s'était pas concrétisée.

 

Gustavo Petro n'est pas un révolutionnaire et il n'a pas non plus l'envergure de Fidel et de Chávez. Cela ne semble pas non plus l'intéresser. Mais comme l'a bien dit Atilio Borón à propos de ces élections : « Le peuple de Colombie s'est mis en marche. » Sur cette base, la fascinante littérature latino-américaine pourrait se fondre dans la politique réelle du continent. L'ex-candidat à la présidence de la Colombie accepte dignement sa défaite et lance la phrase : « Pour l'instant ! »

 

En gardant les distances idéologiques et historiques qui conviennent, c'est ainsi qu'a débuté une autre histoire qui a changé la direction de l'Amérique Latine il y a plus de 20 ans. Alors, on peut espérer une nouvelle étape pour la Colombie dans laquelle, malgré le retour de l'uribisme à la présidence, se renforcera une nouvelle corrélation de forces favorable aux luttes populaires en Colombie et sur le continent.

 

Tout dépendra du maintient de l'unité obtenue par les forces d'opposition et du maintien de la volonté de lutte dirigée vers la recherche définitive d'une issue politique au conflit social et armé, la récupération de la souveraineté et de la volonté de pouvoir qui s'est enfin manifestée – surtout dans les nouvelles générations de Colombiens – que freine l'avancée de ceux qui veulent amener la Colombie à un conflit contre le Venezuela pour en faire l'Israël de l'Amérique.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

http://www.resumenlatinoamericano.org/2018/06/18/colombia-regreso-del-uribismo-y-el-nacimiento-de-una-nueva-oposicion/

URL de cet article : 

http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/06/colombie-retour-de-l-uribisme-et-naissance-d-une-nouvelle-opposition.html