Chili : Il y a longtemps que la mer appartient à 7 groupes économiques
Paul Walder
Le Chili ne remettra pas un seul pouce de son territoire, a dit quelques heures avant la sentence de la Cour Internationale de Justice de La Haye l'agent chilien Claudio Grossman. Après le verdict qui a été célébré à la Moneda et ailleurs comme un triomphe au foot, le Chili ne sera pas obligé d'engager des conversations avec la Bolivie pour sa demande de quelques mètres de côte sur l'Océan Pacifique. Par cette sentence, après un processus de 5 ans, une perte de temps, comme dit Sebastián Piñera, les relations entre les 2 pays redeviennent sèches et figées. Cette difficile relation se retrouvera dans une impasse comme pendant des décennies.
La Bolivie et ses dirigeants avalent quelque chose qu'ils ressentent comme non seulement une défaite mais une injustice non seulement juridique mais historique. Et le Chili, poussé par ses élites et monté en épingle par les médias corporatifs, par conséquent, fait la fête. Que fête-t-il ? Le statu quo, l'ordre, l'intégrité de son territoire et sa souveraineté dessus ?
Les Chiliens peuvent fêter ce qu'ils veulent mais dans ce cas, il n'y a pas grand-chose ou rien à fêter. La souveraineté sur le territoire, sur les ressources naturelles, il y a longtemps qu'ils ne l'ont plus. Ni sur terre ni sur mer. La souveraineté maritime, il y a longtemps qu'elle est retombée sur 7 familles, 7 groupes économiques qui contrôlent et ont l'usufruit de la pêche.
Le Chili a remis ses ressources naturelles aux grandes corporations. Une vente à court, moyen et long terme, une hypothèque sur son avenir pour conserver son niveau actuel de revenus, de consommation et en particulier de concentration de la richesse. Une condition qu'on peut voir dans l'exploitation du cuivre, du lithium, dans l'industrie forestière et dans la pêche. Un secteur de l'économie qui a été central pour conserver une croissance économique sur la base de l'exploitation sans limite des ressources naturelles.
Aujourd'hui, il faut rappeler un peu pour atténuer les célébrations du territoire souverain la loi sur la Pêche ou Loi Longueira, pierre angulaire d'un processus de déprédation et de concentration économique engagé dans les premières années de la fin du siècle dernier et renforcé sous le Gouvernement de Ricardo Lagos. C'est l'application de la conception néolibérale la plus extrême dans les domaines de l'exploitation minière, forestière, de la banque, de la vente au détail, de la pêche. Son application et sa poursuite au début de cette décennie a fait disparaître des espèces, a éliminé les acteurs les plus faibles du marché et concentré un commerce de plus de 6 000 millions de dollars d'exportations par an dans les mains de 7 grandes sociétés parmi lesquelles Corpesca, un modèle de corruption et d'achat de politiciens qui possède plus de la moitié du marché.
Comment en est-on arrivé à cette folie, sachant que nous parlons d'une ressource naturelle, libre, qui devrait appartenir à tous les Chiliens ? Après un système de liberté totale qui a favorisé les grandes compagnies et conduit à une exploitation sans discrimination des ressources marines, la loi sur la pêche de 2002 a fixé des quotas sur la base des prises historiques de ces entreprises, ce qui a renforcé les opérateurs déjà installés et leur a renvoyé le commerce. Si avant cette loi, il y avait ce qu'on appelle la « route olympique », une façon d'appeler la remise libre et gratuite des poissons aux grandes pêcheries, le système de quotas de 2002 les a remis de façon plus contrôlée mais toujours gratuite.
Au début de cette décennie, la loi du ministre de l'époque (du 1° Gouvernement de Sebastián Piñera) Pablo Longueira non seulement a confirmé les règles basées sur la déprédation et le marché mais a favorisé de façon inacceptable les grands opérateurs. Une législation qui a réussi à créer de grands et puissant groupes économiques sur la base de la déprédation de nombreuses ressources de la pêche, de l'appauvrissement des pêcheurs traditionnels artisanaux et de l'élimination virtuelle du poisson du régime alimentaire habituel des Chiliens.
La loi sur la pêche dépasse le domaine de l'économie et s'introduit dans des zones qui concernent la soutenabilité alimentaire des générations futures, la souveraineté alimentaire de la génération actuelle qui habite ce territoire et la soutenabilité d'une activité aussi essentielle pour notre identité culturelle que la pêche, présente tout au long de notre histoire et de notre géographie côtière.
Les Chiliens n'ont donc rien à fêter avec le rejet par le Cour de l’obligation d'engager des conversations avec la Bolivie pour un accès à la mer. L'Océan a été privatisé il y a longtemps et remis à ces 7 familles.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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