Amérique Latine : Histoire des relations entre le Venezuela et le Brésil:
Les relations entre le Venezuela et le Brésil ont été reprises par Hugo Chávez et Lula da Silva grâce à une alliance stratégique tournée vers la mise en place d'un continent avec ses propres projets et ses propres acteurs. La victoire de Jair Bolsonaro dimanche pourrait-elle changer cette orientation et marquer un tournant ?
Quelques faits historiques : entre le bon voisinage et la neutralité
Même quand elle sont été discrètes, les relations entre le Venezuela et le Brésil datent de l'époque de la révolution indépendantiste. A cette époque-là, l'Empire du Brésil est resté neutre pendant la guerre contre l'Espagne.
L'historien vénézuélien Luis Salcedo Bastardo raconte que Simón Bolívar, en 1830, reçut un représentant de l'Empire du Brésil dans la situation difficile que traversait le Venezuela dévasté par 20 ans de guerre, cherchant ainsi à détendre ses relations avec le voisin et en est venu à considérer le Brésil comme le garant de l'ordre républicain dans la région à condition que le Gouvernement de l'empire soit guidé par les préceptes libéraux constitutionnels. L'envoyé brésilien avait des instructions pour donner des preuves sincères de 'amitié de l'empire et du faut que le Brésil était prêt à embrasser la cause américaine.
Ensuite, à partir de la moitié de ce siècle, le Brésil a fait partie d'un système de relations internationales sur sa frontière nord dont la dynamique d'alliances conjoncturelles l'ont obligé à avoir des relations avec le Venezuela, la Grande Bretagne et les Etats-Unis. Cela a provoqué, comme effet secondaire, un rapprochement entre Caracas et Río de Janeiro.
L'un des facteurs qui sont intervenus dans la maturation du traité sur les limites et sur la navigation entre Venezuela et le Brésil fut l'adoption de la stratégie destinée à internationaliser le fleuve Amazone. De même, dès que les 2 pays ont eu signé l'accord de 1859, un seul traité a été négocié sur les limites et sur la navigation fluviale. Les limites naturelles ont été fixées selon la définition des cordillères, des fleuves et des autres obstacles naturels comme cadre indiscutable du territoire des 2 pays.
Le Brésil a été impliqué dans la discussion en tant qu’administrateur des intérêts des 2 parties après que les puissances mondiales aient exercé un blocus naval contre le Venezuela sous le Gouvernement de Cipriano Castro. En 1908, Jacob Sleeper, alors chargé d'affaires des Etats-Unis par interim a fait savoir que la présence d'un représentant des Etats-Unis n'était plus utile, et donc, il avait décidé de fermer la délégation et de mettre « ses intérêts, la propriété et les archives qu'il avait au Venezuela dans les mains du représentant du Brésil, un pays qui a aimablement accepté de s'en charger. »
Cela s'acheva par la signature,le 11 juin1940, d'un modus vivendi destiné à réguler le commerce entre le Venezuela et le Brésil. Celui-ci consistait à attribuer aux 2 pays un traitement de « pays le plus favorisé » et provoqua une augmentation du commerce entre les 2 pays.
En février 1963, 8 membres des forces Armées de Libération Nationale (FALN) ont pris le contrôle du bateau de la marine marchande du Venezuela “Anzoátegui” dans le port de La Guaira pour attirer l'attention du monde sur la cause révolutionnaire. Le bateau allait à Cuba. Le Brésil resta neutre, son ambassadeur de l’époque dit qu'il était « convaincu que l'établissement d'une dictature de gauche ou de droite au Venezuela serait une source de problèmes pour le Brésil » et que, par conséquent, « nous servirions au mieux nos intérêts en apportant, dans ce qui serait à notre portée, notre soutien au renforcement d'un Gouvernement constitutionnel dans le pays. » Cela causa des ennuis au Gouvernement vénézuélien.
En mars de cette année-là, des perturbations organisées par les Etats-Unis se produisirent au Brésil : des démissions dans le cabinet exécutif, des conspirations politiques, plusieurs crises militaires et de graves difficultés économiques qui ont amenèrent au renversement dramatique du président João Goulart.
En avril 1964, le Venezuela suspendit ses relations diplomatiques à cause de la turbulence de la politique brésilienne, des exigences du système inter-américain qui demandait de garantir la liberté et la démocratie et du respect de la « politique étrangère de principes, » en particulier de la doctrine Betancourt. Les relations seront rétablies en 1966.
Flux économiques : de l'énergétique au géostratégique
Pendant les 30 années suivantes, le Venezuela fut très important pour le Brésil (en particulier pendant la crise pétrolière des années 70), les relations se concentrèrent sur la construction d'un axe énergétique qui aboutit à la construction d'un usine avec la participation du Brésil, usine qui devait produire entre 540 et 1300 mégawatts d'électricité et à laquelle les états de Bolívar au Venezuela et l'état de Roraima au Brésil devaient être connectés et au projet de construction de la raffinerie Abreu et Lima à Pernambuco.
Sous les gouvernements d' Hugo Chávez et de Luiz Inácio Lula da Silva, entre 2003 et 2010, les relations bilatérales entre le Venezuela et le Brésil se renforcèrent pour devenir une « alliance stratégique » basée sur le dialogue politique, l'expansion du commerce de biens et des services et l'intégration de l'infrastructure. Sur les 800 millions de dollars qu'ils échangèrent en 2003, le Brésil en exporta 2 900 000au Venezuela et en importa 528, ce qui représente une augmentation importante du commerce par rapport à 2005.
En 2007, les rencontres trimestrielles entre les présidents commencèrent. Elles se poursuivirent jusqu'en 2010 et le géostratégique se renforça grâce à la substitution de l'un des axes d'intégration de la IIRSA (Initiative pour l’intégration Régionale Sud-américaine), la mise en place de projets de développement intégral destinés à l'intégration du système de transport terrestre, fluvial et aérien, à l'intégration de l'énergie électrique et à la construction éventuelle d'un Gazoduc du Sud pour connecter le Venezuela, le Brésil et l'Argentine.
La vision d'un espace économique commun entre le nord du Brésil et le sud du Venezuela a une importance géostratégique, selon le rapport de l'IPEA de mai 2011. L'analyse souligne que la quantité et la qualité des ressources de la région parmi lesquelles la biodiversité, les bassins hydrauliques, l'énergie et le fer, entre autres, éveille divers intérêts et se trouve face à des acteurs complexes.
L'axe Amazonie-Orénoque rend possible le rapprochement du Brésil et des pays du bassin des Caraïbes dans un contexte dans lequel la politique étrangère d'intégration élargit sa zone d'action de l'Amérique du Sud vers d'autres régions d'Amérique Latine et des Caraïbes. De là, cette nouvelle frontière est encadrée par la création de al Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (CELAC) stimulée par le Brésil à ce moment-là.
Le Venezuela comme première ligne de défense pour le Brésil ?
En territoire vénézuélien se trouve la première réserve de pétrole du monde, la troisième réserve de bauxite, la quatrième réserve d'or1, la sixième réserve de gaz naturel et la dixième réserve de fer. En outre, à Roraima (Brésil) se trouvent d'importantes réserves d'or, de niobium, d'étain, de thorium, de cobalt, de molybdène, de diamants, d'uranium et de titane.
La relations entre les 2 pays était destinée à donner plus de densité économique, démographique et politique à cette zone à cause de son importance géostratégique pour le continent. L'alliance entre Chávez et Lula privilégiait l'intégration dans le domaine de la production dans l'agro-alimentaire, la construction civile, les minerais et la mécanique des métaux et la coopération entre les zones franches de Manaos et de Puerto Ordaz.
Grâce à a coordination des chaînes de production des 2 pays, le Brésil a encouragé le développement industriel du Venezuela pour qu'il surmonte sa dépendance envers le pétrole, les importations d'aliments et de la plupart des produits industrialisés. De plus, en occupant la zone frontalière, il est possible de répondre au Plan Colombie conçu par le Commandement Sud. Leur zone d'expansion naturelle sont l'Amazonie, les bassins des fleuves Orénoque et Amazone et la région des Andes.
La forte relation économique entre le Venezuela et la Chine et la fourniture d'armes par la Russie n'ont pas entamé son alliance avec le Brésil ni la coopération dans des projets d'équipement et d'infrastructures militaires. En 2012, le journaliste Raúl Zibechi rapportait 2 déclarations faites depuis les Etats-Unis qui sont éloquentes en ce qui concerne la signification des relations diplomatiques du Venezuela pour les prétentions impériales du Brésil :
Evan Ellis, du Centre d'Etudes de la Défense pour l' Hémisphère, adjoint au Pentagone, déclarait à propos des relations sino-vénézuéliennes : « Dans la zone de la mondialisation, avoir comme conseillers des banquiers chinois équivaut à avoir des conseillers militaires de l'Union Soviétique à Cuba et au Nicaragua pendant la Guerre Froide. » (Miami Herald, 9/7/12).
Serait-ce pour cela que les militaires brésiliens célèbrent l'entrée du Venezuela au MERCOSUR, parce qu'ils le considèrent comme la première ligne de défense du Brésil ?(Defesanet, 25/6/12).
Une longue frontière, un problème commun
Le Venezuela et le Brésil partagent une frontière de 2 199 Km. Ces dernières années, la situation sociale dans cette zone est redevenue complexe dans le domaine sanitaire à cause de la présence de maladies endémiques au Brésil comme la diphtérie qui touché la population vénézuélienne. Ajouté à cela, le dispositif médiatique de Temer, mis en place dans le cadre du siège conçu depuis Washington, a mis en scène une diaspora vénézuélienne avec le soutien de l'ACNUR. Des milliers de Vénézuéliens utilisés dans ce but sont rentrés au pays.
Les maux qui affectent cette zone vont de l'abattage à l'incendie sans discrimination et de l'exploitation minière illégale au trafic et à la contrebande d'essence, de drogues, d'animaux exotiques et de bois. Le problème de l'exploitation minière illégale est transversal au problème social, économique, environnemental et de sécurité. Les acteurs multiples se livrent à cette activité grâce aux réseaux et aux mafia qui se consacrent à la contrebande d'or, de diamants, d'essence et même au trafic de personnes.
Entre le Brésil et le Venezuela, on estime que plus de 80 000 mineurs sont impliqués dans l'exploitation minière illégale, terrorisant et déplaçant la population indigène grâce à une logistique de plus de 300 pistes “clandestines” qui servent au trafic de plus de 800 avions-taxis , que quelques 10 000 engins d'extraction opèrent et plus de 2 000 dragues lavent le sol des rivières pour en retirer l'or. Les chiffres officiels indiquent qu'environ 60 tonnes d'or sont extraites par an. D'autres chiffres indiquent jusqu'à 200 tonnes par an. Le financement vient de grandes transnationales minières qui exploitent l'or installées en Belgique, au Canada, en Angleterre, en Hollande, aux Etats-Unis, au Brésil, en Colombie, au Guyana, en Uruguay, entre autres pays.
La forêt et l'eau sont l'objet de la convoitise des puissances mondiales, l'incursion de mafias des mines qui vont au Brésil et en viennent par les états de Bolívar et d'Amazonas date de longtemps puisque dans les années 90, on pensait que leurs actions étaient financées par des corporations qui avaient leur siège au Royaume Uni, en Afrique du Sud et dans d'autres pays. En 2015, le Gouvernement vénézuélien avait décrété l'état d'urgence dans l'état d'Amazonas, frontalier avec la Colombie et le Brésil, pour combattre le para-militarisme, le trafic de drogues,la contrebande et d'autres activités délictueuses. On y a trouvé des quantités importantes de coltan, de combustible, des ports et des quais clandestins qui servaient à l'extraction, des sacs de ciment, des motos, des pièces détachées pour motos, des usines de matériel sonore et de mini ordinateurs portables.
Depuis le début de 2018, il y a eu divers affrontements entre la Force Armée Nationale Bolivarienne (FANB) et les mafias de l'or qui pratiquent également le trafic de papier monnaie.
Bolsonaro pourra-t-il revenir sur ces relations entre le Brésil et le Venezuela ?
En septembre dernier, les ministres de la Défense des 2 pays se sont rencontrés pour parler de la fourniture de l'électricité à Roraima et mettre au point un ordre du jour commun pour s'occuper de la migration. Le Président Maduro a également rencontré la gouverneur de Roraima, Suely Campos.
Une éventuelle rupture des relations avec le Venezuela et la coupure de la fourniture d'électricité qui s'ensuivrait provoquerait un chaos social dans les états du nord du Brésil qui sont les plus pauvres du pays. Particulièrement dans l'état de Roraima où la patron Antonio Denarium, qui fait partie de la coalition de Bolsonaro, fait de gros profits. Déjà très vite après l'élection du nouveau gouverneur de Roraima, des groupes de Vénézuéliens qui émigraient au Brésil ont affronté des restrictions d'entrée.
Il est possible que les relations avec le Brésil deviennent agressives étant donné le discours que tient Bolsonaro et le contexte d'hostilité de la région envers le Venezuela, ajouté à des pressions pour organiser une coalition militaire. On peut alors s'attendre à de nouvelles sanctions et même à ce que le Brésil se joigne à la plainte déposée à la Cour Pénale Internationale contre le Président Nicolás Maduro.
Il est difficile de prévoir si ceux qui soutiennent politiquement et financièrement de nouveau Gouvernement permettront des revirements dans la diplomatie étant donné que beaucoup de facteurs de politique intérieure et de géopolitique (comme les relations stratégiques avec la Chine) auraient une influence sur la prise de décision. Sur ce point, la tradition de neutralité des militaires brésiliens jouerait aussi un rôle important dans la dynamique destinée à faire tourner la politique étrangère brésilienne vers la confrontation frontale.
Dans l'idée impériale du Brésil historique ne se trouve pas l'instabilité de la région. Rompre avec cette tradition et avec la symbiose armée-patrons ne serait pas facile et porterait atteinte à son image dans ses 100 premiers jours de Gouvernement.
Ce qui est indubitable, c'est que les Etats-unis profiteront de la victoire de Bolsonaro pour ajouter le Brésil à leur ordre du jour de coups d'Etat et d'interventions si les élections de mi-mandat le permettent.
Cela est soumis à la condition que les élites brésiliennes qui ont accompagné Bolsonaro assument une tâche si coûteuse qui affectera l'hégémonie qu'elles sont en train de construire.
Et à la première occasion, Jair Bolsonaro a rejeté l'idée d'une intervention au Venezuela, suivi par la Colombia, suite à une publication polémique de Folha Sao Paulo qui affirmait que les 2 pays discutaient de plans pour agresser militairement le Venezuela.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
NOTE de la traductrice:
1Qui est en passe de devenir la seconde avec la certification en cours de 32 champs aurifères (cf .Venezuela : La réserve d'or du Venezuela sera sans doute la seconde plus importante au monde, Telesur, 2 novembre 2018
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