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Brésil : Ce que veut l'Empire

6 Novembre 2018, 17:10pm

Publié par Bolivar Infos

 

L'inéligibilité de Luiz Inácio Lula da Silva est le chapitre final de la sale campagne politique contre la gauche brésilienne qui a débuté avec le fallacieux procès parlementaire, médiatique et judiciaire qui a chassé de la présidence Dilma Rousseff.

 

La session du Tribunal Supérieur Electoral qui a définitivement chassé Lula du processus électoral a eu lieu le jour même où, 2 ans avant, avait eu lieu le coup d'Etat contre Dilma. Préméditation ou trahison ? 

 

Comme alors, la manœuvre est basée sur des intérêts supposés et les responsabilités préfabriquées. « Il n'y a pas de justice pour qui veut ne pas être d'accord avec le choeur des élites, » a déclaré à ce sujet le journaliste brésilien Fernando Brito dans un article publié par le journal digital Brésil 247. 

 

On veut empêcher à tout prix qu'il y ait un nouveau Gouvernement populaire qui ferait obstacle aux prétentions de domination de l'Empire étasunien et aux objectifs de récupération de la richesse par l'oligarchie locale.

 

« Maintenant, ils empêchent Lula d'être candidat à la présidence parce qu'ils savent qu'il gagnerait largement les élections d'octobre. Au Brésil, les médias, en coordination avec le Pouvoir Judiciaire, ont détruit l'Etat de Droit, » a écrit, pour sa part, sur son compte Twitter l'ex-présidente argentine Cristina Fernández.

 

Où est la main de Washington?

 

L'histoire pourrait être longue mais nous nous limiterons à l'histoire récente. On se souvient rarement des révélations d'Edward Snowden concernant les activités de l'Agence de Sécurité Nationale des Etats-Unis qui ont mis à jour, entre autres choses, un vaste programme d'espionnage concernant le Brésil.

 

Selon le journaliste étasunien Glenn Greenwald qui a écrit plusieurs articles sur ce sujet pour le journal brésilien O Globo en juillet 2013, le Brésil était le principal objectif du programme d'espionnage électronique de la NSA en Amérique Latine qui recueillait des informations dans des milliers de millions de messages électroniques et d'appels téléphoniques qui passaient par le Brésil.

 

Les documents révélés posaient la question : « Le Brésil, un allié, un ennemi ou un problème ? » et montraient la préoccupation de Washington concernant l'impact que la croissance économique du Brésil pourrait avoir sur la scène politique internationale. 

 

L'Agence de Sécurité Nationale des Etats-Unis avait mis sur écoutes 4 téléphones du bureau de Dilma et intercepté les appels, les courriers électroniques et les messages texte de la Présidente, contrôlait les communications de son conseiller personnel et de sa secrétaire. Même l'avion présidentiel était contrôlé. Peu de dirigeants étrangers étaient autant scrutés par l'Empire.

 

L'espionnage étasunien a aussi suivi toutes les communications d'au moins 29 membres du Gouvernement brésilien, y compris celles du chef de la Maison du Gouvernement, Antonio Palocci, qui allait devenir par la suite l'une des stars des dénonciations récompensées à la justice brésilienne. Les révélations qui l'ont amené à hésiter viendraient-elles de ce moment-là ?

 

Toutes les communications de l'entreprise d'Etat brésilienne Petrobras qui avait été renforcée sous les Gouvernements de Lula et de Dilma avaient aussi été espionnées. L'ex-président de la compagnie, Antonio Menezes, alertait alors sur le « risque important » que représentait pour la libre concurrence et pour Petrobras le fait que ses développements et ses méthodes soient connus dans d'autres pays car ce serait comme une « carte truquée » dans le tableau stratégique international du pétrole.

 

Mais au-delà de l'espionnage économique, personne n'a-t-il pressenti les éléments essentiels que la justice utiliserait ensuite pour déchaîner une procédure qui déboucha sur l'inéligibilité de Lula et qui a débuté précisément un an après les révélations de Snowden avec une longue enquête sur Petrobras et ses contrats ? Peut-être le démantèlement de la puissante Petrobras et de la politique pétrolière de souveraineté que les Gouvernements du PT avaient mises en place n'intéressaient-ils pas les Etats-Unis et leurs compagnies pétrolières ? 

 

L'utilisation du pouvoir judiciaire, on le sait, est le moyen favori utilisé par Washington en ce moment pour attaquer les dirigeants de gauche dans notre région. Ils l'ont appliqué contre Dilma, Cristina, Correa, Lugo. Devant leur échec pour imposer leurs sbires par la voie électorale, les Etats-Unis recourent à d'autres méthodes pour atteindre leurs objectifs.

 

Cela n'a pas été le fruit du hasard mais d'une pensée stratégique de pénétration dans les clans judiciaires de la région sous la couverture d'un soi-disant combat contre la corruption. Ces dernières années, le Département de la Justice des Etats-Unis, en coordination avec des universités, des fondations et des ONG étasuniennes, ont développé un plan de formation de cadres judiciaires latino-américains grâce à l'octroi de bourses, à l’organisation de séminaires, d'ateliers et d'autres événements.

 

Un câble secret de la diplomatie étasunienne de 2009 obtenu par Snowden et révélé par Wikileaks fait un rapport sur une Conférence Régionale qui a eu lieu cette année-là à Rio de Janeiro pour former les forces de police et les forces judiciaires aux délits de Financement illégal. Dans le rapport on parle de : « l'enquête et de la pénalisation des affaires de blanchiment d'argent, y compris de la coopération entre les pays, de la confiscation des biens, des méthodes pour trouver des preuves, de la négociation de dénonciations... » et plus loin, on peut lire : « Le secteur judiciaire brésilien est très intéressé par la lutte contre le terrorisme mais a besoin d'outils et d'entraînement pour utiliser la force efficacement (…) Les juges spécialisés dirigeront les affaires de corruption les plus importantes qui impliquent des personnalités de la hiérarchie. » 

 

L'un des meilleurs élèves de ce séminaire a été l'actuel juge de première instance de Curitiba, Sergio Moro, le paladin de la persécution implacable contre Lula. Moro est le fruit direct du plan de formation de l'Empire : diplômé d'un cours sur la corruption transnationale à Harvard, participant à des événements organisés par le Département de la Justice étasunien et se rendant fréquemment aux Etats-Unis.

 

« Moro a été dressé au Département d'Etat. Il se rend constamment aux Etats-Unis. Moro sait comment avoir l'approbation de Washington, » a déclaré lors d'une interview le célèbre diplomate brésilien Samuel Pinhero Guimaraes.

 

Il est significatif que même si l'enquête sur Petrobras et Odebrecht a débuté dans l'état de Curitiba avec son cortège de dénonciations récompensées, c'est le Département de la Justice des Etats-Unis qui a révélé les éléments importants des opérations illégales d' Odebrecht au Brésil et dans 9 autres pays latino-américains et qui a imposé une amende de 3,5 milliards de dollars au géant pétrolier brésilien. Pourquoi les Etats-Unis sont-ils intervenus de façon décisive dans une affaire qui était du ressort de la justice brésilienne ?

 

Le bénéfice

 

La Base Spatiale d'Alcantara dans l'objectif des Etats-Unis

 

L'attaque concertée des médias, du clan judiciaire, de l'oligarchie et de l'Empire contre Lula et sa force politique, bien qu'elle ait eu un important coût social, a apporté de juteux bénéfices à ceux qui l'ont organisée.

 

Pour Washington et ses alliés, on a ouvert des portes impossibles à franchir avec Lula au Gouvernement. Il sont ainsi réussi à mettre au point un accord pour que les Etasuniens soient présents pendant au moins 16 ans sur la Base Aérospatiale d'Alcantara d'où ils avaient été chassés en 2003, sous le premier Gouvernement de Lula, pour des raisons de souveraineté. C'était l'objectif principal du général Mattis, le chef du Pentagone, lors de sa récente visite au Brésil.

 

La base d'Alcantara, où opère l'Agence Spéciale Brésilienne, est la seule infrastructure de lancement de fusées spatiales sous contrôle d'un pays souverain en Amérique du Sud. Certains spécialistes considèrent que ce site a d'énormes avantages pour les lancements spéciaux à cause de sa proximité de l'équateur où la rapidité de rotation de la terre est la plus grande et où on réussit des décollages plus efficaces avec moins de combustible et plus de capacité de charge.

 

Mais d'autres soulignent que le véritable objectif des Etats-Unis est militaire à cause de la possibilité d'avoir des effectifs dans un endroit idéal pour les opérations politiques et militaires en Amérique du Sud et en Afrique étant donné qu'Alcantara se trouve en face de l'Afrique de l'Ouest. Ce serait, en outre, une enclave stratégique pour leurs différends avec la Russie et la Chine.

 

Pour l'ex-ministre des Affaires Stratégiques du Brésil (2009-2010), Samuel Pinheiro Guimaraes Neto, « le principal objectif des Etats-Unis est d'avoir une base militaire en territoire brésilien sur laquelle ils exercent leur souveraineté, hors de portée des lois et de a surveillance des autorités brésiliennes, y compris des autorités militaires et où ils puissent développer toutes sortes d'activités militaires. » Pour lui, l’utilisation d'Alcantara par les Etats-Unis est « le cas le plus flagrant de cession de souveraineté de l'histoire du Brésil. »

 

Il est également important qu'en 2017, pour la première fois de l'histoire, des opérations militaires conjointes entre les Etats-Unis, le Brésil, le Pérou et la Colombie aient lieu en Amazonie, une région riche en ressources, en biodiversité et en eau dont le contrôle est convoité par Washington.

 

Pour la célèbre chercheuse mexicaine Ana Esther Ceceña, le déroulement d'exercices comme ceux d'AmazonLog2017 donne la possibilité de « placer des attirails de guerre qui facilitent des incursions discrètes sur des territoires, des opérations de riposte rapide, comprenant toutes 2 l'intervention des forces spéciales, étasuniennes, appartenant à des corps locaux ou privées, ou la possibilité de permettre des opérations massives beaucoup plus visibles ou scandaleuses, suite à de soi-disant dangers humanitaires très probablement au Venezuela. »

 

La principale entreprise brésilienne de défense, Embraer, a signé un accord, en avril 2017, avec avec l'entreprise étasunienne Rockwell Collins dans le domaine de l'aérospatiale et le Commandement d'Ingénierie, de Développement et de Recherche de l'Armée des Etats-Unis a ouvert un bureau à Sao Paulo pour renforcer les relations dans la recherche et l'innovation de technologies de défense.

 

A l'assaut militaire étasunien contre le Brésil s'ajoute celui des grandes firmes du pays. En juillet dernier,Boeing a acheté 80% de la célèbre division d’avions civils à moyenne distance d'Embraer. 

 

L'entreprise brésilienne, qui produit des avions commerciaux et militaires depuis 1969 et a été le premier exportateur du Brésil entre 1991 et 2001, est le troisième constructeur aéronautique au monde et une espèce d'identité nationale, c'est pourquoi il y a eu d'énormes manifestations d'indignation au Brésil au moment de la transaction.

 

« Le scandale a eu lieu parce qu'il s'agit d'une entreprise qui est le symbole de la capacité technologique du Brésil, un peu comme Petrobras mais dans ce cas, c'est une industrie beaucoup plus sophistiquée, » souligne l'analyste Mario Osava.

 

Embraer, avec l'entreprise canadienne Bombardier, est le second plus important fabriquant d’avions de 100 sièges dans la région, un secteur dans lequel Boeing n'opérait pas, c'est pourquoi il est intéressant sur le marché des avions de la région qui croît avec une grande rapidité et qui est en concurrence avec des entreprises récemment arrivées comme l'entreprise russe United Aircraft, la japonaise Mitsubishi et la chinoise COMEC.

 

L'avion le plus petit de Boeing, le 737-700 – plus de 140 sièges – « n'arrive pas à profiter de la croissance de la demande dans les compagnies aériennes à bas coût ni de l'augmentation du nombre de petits aéroports qui ne reçoivent pas d’avions de si grande taille, » a indiqué récemment le journal d'entreprise Valor.

 

Comme le signalait à cette époque à notre Table Ronde l'ex-présidente Dilma Rousseff, cela revient à remettre à un concurrent l'un des actifs les plus précieux et une icône de l'industrie du Brésil.

 

L'énorme réserve de pétrole du Presal, la plus importante du monde, préservée par les Gouvernements du PT pour qu'elle soit exploitée par Petrobras, a été ouverte par le Gouvernement de Temer à l'investissement étranger. Cela a été l'un des premiers pas vers le coup d'Etat contre Dilma. Cette décision était destinée à ôter des fonctions importantes à l'entreprise d'Etat Petrobras et à l'éliminer en tant que principal opérateur du bassin du Presal pour que les grandes compagnies transnationales puissent à présent gérer les ressources naturelles du pays.

 

16 compagnies pétrolières, dont des compagnies comme Royal Dutch Shell Plc, les compagnies étasuniennes Chevron Corp et Exxon Mobil Corp, la norvégienne Statoil et la française Total SA se sont inscrites pour l'appel d'offres concernant des blocs de haute mer dans lesquels des milliers de millions de barils de brut se trouvent au fond de l'océan sous une épaisse couche de sel.

 

Temer a annoncé de grandes privatisations dans 34 secteurs stratégiques du pays dans e cadre d'un chemin accéléré vers le rétablissement du néolibéralisme applaudi par la perverse oligarchie locale et les puissances transnationales. 57 entreprises publiques, aéroports et ports sont en négociations ou déjà vendus.

 

« Le coup d'Etat a éloigné le Brésil de sa direction. Ils vendent le patrimoine public, ils ont décrété la fin des droits des travailleurs et ils ont fait des coupes dans l'investissement dans la santé et l'éducation pour les 20 prochaines années. Tout cela ouvertement. Pour éliminer les effets néfastes de ce coup d'Etat, il faut que nous allions aux urnes, » a déclaré il y a quelques jours Dilma au journal espagnol El País.

 

« Quand ils n'ont rien à vendre, ils vendent leur âme au diable, » a dit Lula il y a quelques mois au journal brésilien O Globo. Est-il compréhensible que l'ex-dirigeant syndical candidat du PT ne puisse revenir au pouvoir au Brésil ?

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

http://www.cubadebate.cu/especiales/2018/09/04/lo-que-el-imperio-quiere-en-brasil/#.W4-Afy3pMRE

URL de cet article : 

http://bolivarinfos.over-blog.com/2018/11/bresil-ce-que-veut-l-empire.html