Brésil : « le futur du Brésil dépend de Lula »
La Cour Suprême Fédérale du Brésil a refusé d’appliquer « l’habeas corpus » pour remettre en liberté l‘ex-président Lula da Silva, et cela en dépit des dernières révélations du média « The Intercept » qui mettent en évidence une kyrielle d’irrégularités de la part des juges et des procureurs dans l’affaire dite « Lava Jato ».
Pour nous éclairer sur cette situation, le sociologue et politologue brésilien, Emir Sader, nous livre ses réflexions.
Professeur, où en est le combat pour la remise en liberté de Lula et qu’est-ce que son cas nous révèle sur la judiciarisation de la politique au Brésil ?
Les révélations du contenu des conversations des responsables de l’opération « Lava Jato » entre eux ont entraîné un virage dans l’image que le public avait des juges impliqués mais également de Lula. Ce que Lula a toujours déclaré est confirmé : l’opération a été une persécution politique et une opération pour l’empêcher d’être candidat à la présidence du Brésil alors qu’il était le favori. Les juges agissent scandaleusement comme s’ils étaient un parti politique pour qui le Parti des Travailleurs (PT) et Lula sont ses plus grands adversaires, et, donc, avec un manque total d’impartialité. Dans cette affaire, après avoir affirmé tant de fois que Sergio Moro serait impartial pour juger Lula, il s’avère aujourd’hui et, de façon évidente, que c’est le contraire. Si la Cour Suprême Fédérale (STF) reconnaissait ce manque d’impartialité, tous les procès intentés à Lula seraient automatiquement annulés et ce dernier pourrait faire ce qu’il a toujours demandé : sortir de prison, mais à la condition que son innocence soit reconnue. Juridiquement, la situation est extrêmement claire; mais ce qui manque pour que la Cour Suprême prenne cette décision, c’est le courage politique. Aujourd’hui, plus le gouvernement de Bolsonaro affiche sa faiblesse et plus il redoute un Lula en liberté.
En plus de ce que vous déclarez, des courriers dans lesquels apparaît la façon dont les procureurs se sont moqués de Lula lors du décès de son épouse, de son frère et de son petit-fils, ont été divulgués. Pourquoi, si longtemps après, la figure de Lula provoque-t-elle autant de haine et autant d’attachement ?
Parce que Lula est le grand personnage politique du Brésil. Même en prison, et “assassiné” par les médias, même privé de parole, il était le favori pour le premier tour des élections. Il serait aujourd’hui président du Brésil. Il est le grand médiateur politique, il est celui avec qui ils veulent tous parler, échanger, parce qu’ils savent que, même aujourd’hui, même si Lula est en prison, le futur du Brésil dépend de lui.
Après les derniers évènements, (depuis l’affaire Lula jusqu’aux incendies en Amazonie), comment évoluent la popularité de Bolsonaro et celle de Lula ?
Bolsonaro, à cause de son incapacité à gouverner, a épuisé la lune de miel qu’ont été ses premiers mois de gouvernement. Il continue de tenir le discours extrémiste qu’il avait tenu durant la campagne, mais il ne répond pas aux intérêts d’une grande partie de ses électeurs. Nous avons aujourd’hui 14 millions de chômeurs, une économie en récession, une hausse de la violence policière. Bolsonaro a perdu le soutien des deux tiers de ses électeurs. Mais, il conserve le soutien des grands patrons, et son gouvernement applique leur politique néolibérale de privatisations, de réductions des droits des travailleurs, de gel des politiques sociales. Et, il conserve l’appui des évangélistes à cause de ses positions dogmatiques. Mais la popularité de Lula grandit et grandit encore, du fait de ce qu’a représenté son gouvernement, (il a terminé son mandat avec 87% d’opinions favorables), du fait de la fermeté de sa conduite en prison, et parce qu’il accorde à nouveau des interviews où il présente un contrepoint très clair de ce qu’on a fait de son pays en comparaison de ce que ce même pays était sous son gouvernement.
https://www.investigaction.net/fr/amerique-latine-en-resistance-le-retour-aux-armes/