Equateur : Interview de Rafael Correa
L'ex-président de l'Equateur, Rafael Correa, a fait part à Spoutnik de ses impressions sur les événements qui se déroulent dans son pays où les gens sont sortis dans la rue pour manifester leur mécontentement à propos des politiques économiques mises en place par le président Lenín Moreno qui a accusé Correa d'être derrière le mécontentement du peuple.
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Il y a une guerre des versions et parmi les rumeurs qui circulent, on dit que vous rentreriez en Equateur. C'est vrai ?
Non. Je ne crois pas qu'il y ait une guerre des versions, les choses sont terriblement claires. Il y a un blindage de la presse équatorienne que Lenín Moreno a soutenu de façon obscène pendant ces 2 ans et demi, à tel point que les gens, dans la rue, réagissent
contre les reporters de Teleamazonas, Ecuavisa, El Universo, El Comercio et les chassent. Ils ne veulent rien savoir de cette presse mais oui des petites radios, de la presse alternative, communautaire.
La presse hégémonique a été la plus grande complice de Moreno, on l'a associée à lui, elle fait partie du Gouvernement à tel point que, par exemple, le fils du patron du journal Expreso est le ministre des Transports. Ce Gouvernement a abrogé la loi sur la Communication, il l'a vidée de son contenu et n'en n'a laissé que la carcasse. Il y a un blindage, une manipulation et une complicité des médias pour couvrir les erreurs et les horreurs de ce Gouvernement et sa brutale répression. Nous avons une démocratie immature qui est surprise par ces choses-là.
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Aujourd'hui, la marche vers Quito a été durement réprimée.
Depuis les dernières années de la dictature militaire, je n'ai jamais vu une répression aussi brutale, avec couvre-feu, suppression des garanties constitutionnelles et répression physique : frapper des manifestants, disperser des manifestations dans lesquelles sil y a des femmes et des enfants avec des gaz lacrymogènes... Il y a plusieurs morts, des centaines de blessés et plus de 700 arrestations.
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La situation du Gouvernement est très complexe. Quelles issues vous semblent possibles ?
Le Gouvernement de Lenin Moreno est fini. C'est un pantin des groupes de pouvoir. Il a été mon vice-président pendant 6 ans et pour atteindre une certaine popularité, avec la complicité de la presse, il a dit qu'il avait hérité d'une crise économique. Et il ne l'a pas vue quand il était vice-président ? Inconcevable ! Le Gouvernement est fini à cause de ses propres erreurs.Il n'y a pas de putsch comme Lenin et la presse l'insinuent.
Ce qui se passe, c'est que les gens n'en peuvent plus. Avec lui, les élites reprennent le pouvoir sur la base de pièges et de trahison. Quelle issue je vois ? S'il se maintient en place, ce sera la même chose qu'aujourd'hui. En ce moment, il négocie avec les têtes visibles du mouvement indigéniste CONAIE et avec le Front des Travailleurs, 2 organisations dont les dirigeants ont soutenu Moreno jusqu'à récemment et qui aujourd’hui, sont débordées par leur base, par de jeunes dirigeants qui ses ont organisés.
Une possibilité est qu'il revienne sur les mesures d'augmentation du gasoil. Dans ce cas, je pense que le Gouvernement serait plus que mort. Mais les dirigeants indigénistes doivent obtenir quelque chose. Je pense qu'ils doivent être en train de décider avec le FMI une certaine sorte de concession acceptable et tous contents. Tous contre Correa.
Mais le Gouvernement est déjà cliniquement mort, en état végétatif. Les médias hégémoniques, le patronat, le pouvoir financier, l'armée, la Police et une partie de l'Eglise continuent de le soutenir. Notre démocratie est en pâte à modeler, ils contrôlent tous les éléments réels du pouvoir, y compris les instances de l'Etat qu'ils se sont appropriées comme le Conseil Electoral, pour ne pas me laisser participer à des élections libres. Mais même ainsi, je suis optimiste, je pense que nous allons gagner.
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En tant qu'économiste, pensez-vous qu'il soit nécessaire de revenir au FMI, dans le cas de l'Equateur ?
Pendant les 10 ans pendant lesquels j'ai gouverné, nous n'avons as vu une mission du FMI et jamais nous n’avons vu une décennie aussi prospère que celle de 2007 à 2017, la décennie de la Révolution Citoyenne. Et ce n'est pas la faute du FMI mais de celui qui s'y soumet. Cela fait partie du récit, de faire croire aux gens que tout allait mal et que l'économie va s'effondrer. Ils le font pour que les gens supportent passivement. Mais ainsi, on peut tromper 6 mois ou 1 an.
En 2017, il y a eu de la croissance économique, en 2018, il y en a eu moins, en 2019, la décroissance a commencé. Il n'y avait pas de crise, il n'y avait pas de surendettement, le déficit était de 5%, parfaitement gérable mais il ne faut pas oublier qu' en 2016, nous avons eu un tremblement de terre qui nous a coûté 3 points du PBI et qu'il a fallu s'endetter pour les récupérer. Sous mon Gouvernement, la dette est passée de 13 000 000 000 de dollars à 27 000 000 000 mais nous avons investi 100 000 000 000 de dollars. Cela signifie qu'en tant que pays, nous sommes plus riches de 86 000 000 000. On peut le voir dans les routes spectaculaires, les usines hydroélectriques, les nouvelles unités de police communautaire, les écoles du millénaire, les centres de santé, les ponts.
Moreno s'est endetté envers le secteur étranger de 15 000 000 000 en 2 ans et il n'a ps fait un seul investissement. Ils se sont tiré une balle dans le pied. Les impôts, les droits de douane sont réduits et cela a un impact fiscal très grave. Il n'y a pas de type de change qui puisse corriger cela. Nous avons perdu 600 000 000 de rentrées fiscales.
Avec un tel excès de liquidités, ils ont interdit au Gouvernement de financer l'Institut Equatorien de Sécurité Sociale (IESS). Tout est fondamentalement idéologique. Cet argent a fui à l'étranger. Ils ont aussi interdit à la Banque Central de faire des prêts au Gouvernement. Il sont interdit les sources internes de financement et il ne reste plus qu'à se soumettre au FMI, à faire des stupidités comme enlever les subventions pour que le pays gagne 1 300 000 000 mais on ne crée pas de richesse en supprimant les subventions. L'Etat reçoit 1 300 000 000 mais aucun citoyen ne reçoit 1 300 000 000. Ils ont créé la crise eux-mêmes.
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Pour palier cette situation, le Gouvernement a dit qu'il allait créer un bon.
C'est pour tromper les gens, pour les démobiliser.
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Il y a un certain modèle de procédure judiciaire contre l'ex-président Lula, le vice-président Jorge Glas, vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner et vous. Cela répond-il à une stratégie commune ou est-ce le hasard ?
Il y a beaucoup de similitudes entre le cas de l'Equateur et celui de l'Argentine mais il y aune grande différence : le président Macri est un type de droite, les gens savaient pour qui ils votaient. Moreno, par contre, s'est présenté comme de gauche, comme la continuité de la Révolution Citoyenne. Nous avons gagné et ensuite, il a fait tout le contraire. Il a flanqué à la poubelle tout le programme de gouvernement et il a adopté le plan du candidat vaincu. Cela n'existe pas en démocratie mais en Amérique Latine, il peut se passer n'importe quoi, surtout avec la complicité du Gouvernement. La façon dont il a absolument tout trahi est impressionnante. C'est une anthologie du cynisme. Personne ne peut mentir autant.
Evidemment, cela fait partie d'une stratégie destinée à rétablir le néolibéralisme. Dans les années 90, les gens ne comprenaient pas bien de quoi il s'agissait et il n'y a pas eu tant de résistance. Maintenant, nous venons de Gouvernements progressistes qui ont réussi dans les années 2002 – 2014, l'âge d'or de l'Amérique Latine. 900 000 000 de Latino-américains sont sortis de la pauvreté, nous avons réduit substantiellement les inégalités, nous avion e la croissance alors que l' Europe et les Etats-Unis étaient en récession. Le monde nous regardait avec admiration.
Ces mouvements conservateurs sont arrivés avec force, avec des ressources illimitées, avec des discours construits, avec une stratégie et derrière, il y avait les Etats-Unis qui cherchaient à neutraliser ces dirigeants de gauche pour qu'ils ne reviennent pas. Mais comme ils n'ont pas pu nous vaincre dans les urnes, ce qui est démocratique, c'est le lawfare, la persécution et la judiciarisation de la politique. Les juges, morts de peur, attendaient les titres de la presse pour copier leurs sentences et ils ne les lynchaient pas, eux.
Le vice-président élu de Moreno, comme c’était un obstacle pour ce qu'il voulait faire et ils savaient déjà ce qu'ils vouaient faire, a été victime d'un complot, dès la campagne, pour le lever du milieu. Ils l'ont lié à l'affaire Odebrecht avec de faux témoignages, avec des preuves fabriquées, du jour au lendemain ils ont approuvé la mesure de prévention lui interdisant de quitter le pays. Lula est détenu dans une caserne militaire. Jorge Glas était vice-président en fonctions et il est dans une prison ordinaire dans laquelle il a reçu 30 menaces de mort. La meilleure façon d 'affronter ce lawfare c'est de changer la situation politique parce qu'ainsi, la situation judiciaire des dirigeants persécutés changera.
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Vous avez été l'un des premiers à parler de la restauration conservatrice. Pensez-vous que cette vague soit terminée et qu'il commence à y avoir des changements dans la région ?
Bien sûr. Maintenant, il ne faut pas s'endormir sur nos lauriers. Les PASO en Argentine ont été importantes. Les sondages donnent à Evo un avantage confortable mais s'il y a un second tour, ce sera difficile. Il faut travailler comme s'il n'y avait qu'un seul tour. En Uruguay c'est encore plus difficile, on a réduit le cycle. Moi, je ne suis pas très convaincu par les cycles. Quand le néolibéralisme est arrivé, à la fin des années 80, il est resté avec nous jusqu'au début du siècle et il semait sur son chemin désastres après désastres. Nous avons eu la longue et triste nuit néolibérale.
Maintenant, leur vie s'épuise en 2 ou 3 ans. Si les élections étaient libres et si on me permettait de m'y présenter, je vous affirme sans aucune vanité que nous gagnerions au premier tour. Les jugements que je reçois tous les jours, c'est pour ça. Si Lula n'était pas en prison, ce serait lui le président et pas ce fasciste de base de Bolsonaro. Avec l'emprisonnement de Lula non seulement ils lui ont volé sa liberté mais ils ont volé la démocratie au Brésil. Nous voyons que cette restauration conservatrice s'est épuisée plus rapidement qu'elle n'a commencée. Nos peuples ont l'expérience.
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Les Gouvernements progressistes ont commis des erreurs. Lesquelles noteriez-vous ?
En 10 ans de gouvernement, comment en pas commettre d'erreurs ? Je peux faire une liste par ordre chronologique et alphabétique mais jamais nous ne nous sommes trompés de côté, nous avons toujours été avec la grande majorité. Nous, nous avons doublé la taille de l'économie, nous avions 1 point de plus de croissance que la moyenne de l'Amérique Latine, nous avons eu des champions régionaux de la réduction de la pauvreté et de l'indigence. Nous avions la pire infrastructure du continent. Aujourd’hui, la Colombie et l'Equateur (sic) envient nos routes. Il y aura toujours un traître et un corrompu mais nous sommes des êtres humains, pas des parapsychologues. On a commis des erreurs mais ce qui est sûr, c'est que nous étions du bon côté.
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Beaucoup d'Argentins sont déçus parce qu'is sont en train e perdre des droits qu'ils pensaient acquis.
Je pense aussi que ce que nous avions créé avait des bases plus solides. C'est l'une de mes grosses déceptions. La destruction en 2 ans et demi a été terrible. Comment cela est-il possible ? Ca s'appelle la presse. On a découvert un compte offshore de Moreno au Panamá et on ne l'ouvre pas. Ils m'ont tout contrôlé et n'ont rien trouvé. Ils rendent honnête le corrompu et font du héros le vilain.
Dans l'Etat de Droit, il doit y avoir une bonne information. Si au lieu de cela, nous avons de la manipulation, les médias nous volent la démocratie. C'est pour cela que nous avons tant régressé, on a trompé les gens. Comme nous ne sortons pas du sous-développement, nous n'avons pas d'action collective adéquate, il n'y a pas de bonne éducation, il n'y a pas de talent humain ni de capacité critique. Et ils nous disent n'importe quelle idiotie et nous les croyons. Par exemple, ils disent que Correa est en train de déstabiliser le pays à Barquisimeto avec les 35 000 000 000 qu'il a volés. La manipulation est le principal agent.
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La presse hégémonique
Chaque fois que je dis « la presse, » c'est la presse hégémonique. Les médias alternatifs sont l'exception en Equateur.
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Puisque vous êtes à Bruxelles, je voudrais vous interroger sur la situation en Europe, le Brexit et la croissance de l'extrême-droite.
Ce qui se passe est triste. L'Europe dérive vers la droite incontestablement. Aux dernières élections au Parlement Européen, la droite a gagné et les partis de gauche ont fait un pas en arrière. La Belgique est l'une des exceptions avec le Parti des travailleurs et les écologistes. C'est un signe des temps. Ces sociétés avancées sont humanistes et démocratiques mais elles ne mettent pas en danger leur bien-être et leurs intérêts. Au moment où les indésirables, comme dit le pape François, là, ils ferment toutes les portes.
Malheureusement cette tendance à la xénophobie, nationaliste dans le mauvais sens et d'extrême-droite est en train de prévaloir. Le Brexit est un malheur parce que l'Union Européenne était un exemple pour les Latino-américains. Ce sont 28 pays qui, pendant la Seconde guerre Mondiale, se tuaient par millions avec des langues, des cultures, une histoire, des systèmes politiques et des religions différents et ils ont eu la volonté de s'unir.
Nous, nous avons la même histoire, la même langue, la même religion, le même système politique. Quand nous avançons, ces individus qui sont prêts à remettre leur pays à l'étranger arrivent et détruisent tout ce qui a été fait. C'est une grande tristesse, l'extrême-droite et les séparatismes. Puisse l'Union Européenne supporter ces tensions !
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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