Venezuela : Chávez a évité au Venezuela ce qui s'est passé en Bolivie
Ce que le Venezuela pourrait apprendre de la fin malheureuse du Gouvernement d'Evo Morales en Bolivie, le Commandant Hugo Chávez l'avait déjà anticipé quand il a changé la doctrine qui guidait la formation de la Force Armée et s'est focalisé sur l'union civique et militaire. C'est l'opinion de l'analyste international Sergio Rodríguez Gelfenstein.
Licencié et maître en Relations Internationales, il a analysé ce qui s'est passé pendant ces derniers mois dans l’hémisphère dans l'optique de l’affrontement stratégique entre grandes puissances. Il dit que les Etats-Unis sont un empire en décadence, vaincu sur plusieurs terrains d'opérations dans le monde et que c'est pour cela qu'ils s'efforcent de garder le contrôle de l'Amérique Latine qu'ils voient comme leur arrière-cour.
Rodríguez Gelfenstein a parlé avec LaIguana.TV de cet aspect du scénario géopolitique mondial ainsi que d'autres.
La franchise la plus brutale semble s'être imposée dans la façon dont la droite traite les affaires internationales. Pour résumer, ils disent qu'ils vont continuer à réprimer les peuples, que les Gouvernements de droite vont se soutenir entre eux pour cela et qu'ils vont avoir le soutien des Etats-Unis. La crise a mis en évidence le sans-gêne dans les relations internationales ?
A ce propos, il faut se demander si tout ce qui est en train de se passer est le reflet du fait que les Etats-Unis sont très forts ou si cela se passe parce que les Etats-Unis sont faibles. La réponse à cette question sera une bonne explication de cette agressivité manifestée par la droite dans presque tous nos pays avec l'aval et le soutien des Etats-Unis. Personnellement, je pense que cela arrive parce que les Etats-Unis sont en situation de faiblesse en termes stratégiques, en termes globaux. L’affrontement stratégique le plus important en ce moment est celui qu'il y a entre la Chine et les Etats-Unis, entre une puissance mondiale émergente et une puissance mondiale décadente. Cette bataille, les Etats-Unis sont en train de la perdre et c'est pourquoi ils recourent à des situations extrêmes comme l'agressivité militaire sur les mers proches de la Chine et, de façon plus visible, à travers ce qu'on appelle la guerre commerciale qui en réalité va beaucoup plus loin parce qu'elle est technologique, politique, diplomatique, elle a de nombreux aspects. A côté de cet affrontement stratégique, il commence à se produire une série d'affrontements dérivés, tactiques ou régionaux sur les différents continents du monde. Pour les Etats-Unis, ça ne va bien ni en Asie ni en Europe ni en Afrique. Face à cette nécessité d'affronter à un moment donné un conflit mondial avec la Chine, ils doivent s'assurer de « l'arrière-cour, » ils se mettent en quatre pour essayer de s'es assurer. Il est très difficile pour les Etats-Unis d'aller vers un affrontement stratégique avec la Chine sans avoir un environnement sûr et tranquille. Tout cela est produit par la faiblesse qui s'exprime sur le plan économique. La croissance des Etats-Unis depuis les années 80 n'a pas dépassé 3,2% et la moyenne, pendant ces 40 dernières années, je crois que c'est 2,6%. Cela, ajouté à la croissance végétative de la population, c'est presque une croissance nulle, surtout pour un pays qui est une puissance mondiale. Mais, en plus du domaine économique, plusieurs pays disputent leur hégémonie aux Etats-Unis. La présence de la Chine, de la Russie et d'autres acteurs internationaux comme les BRICS est de plus en plus importante. On estime même qu'il y a un affrontement non antagonique mais déjà évident dans les relations entre les Etats-Unis et l'Europe. Au Sommet de l' OTAN, on a noté que les Etats-Unis ne peuvent plus indiquer une position qui soit acceptée sans discussions : l'européisme est réapparu, la doctrine de De Gaulle. Tout cela nous permet de dire que ça n'est pas bien allé pour les Etats-Unis en ce début de siècle. Tout ce que nous sommes en train de vivre en Amérique Latine est en rapport avec ce désir de s'assurer au moins d'un espace immédiat qui leur permette de livrer d'autres batailles qu'ils devront nécessairement livrer.
Au début de 2019, quand le Venezuela était l'épicentre de la bataille en Amérique Latine, la Russie et la Chine ont eu une position très ferme. Par contre, dans le dernier tiers de cette année, face à des crises comme celles de la Bolivie, du Chili et de l'Equateur, elles ont été beaucoup plus discrètes. Pourquoi ?
Parce que le niveau des conflits est allé crescendo. Ces pays doivent mesurer leurs pas face à un président comme Trump qui n'hésiterait pas à aller vers un conflit mondial, et même une guerre. Cette faiblesse de la Russie et la Chine, un jour nous la comprendrons et même nous les en remercierons parce qu'elle est en rapport avec la prudence dans le sens d'éviter plus d’affrontement et d'agressivité dans le monde. Pour la Chine et pour la Russie, l'Amérique Latine, c'est très loin. L'Ukraine, c'est à côté, le Moyen Orient, c'est à côté, la Corée, c'est à côté. La situation conflictuelle en Mer de Chine du Sud, c'est sur une mer proche. Ce sont des problèmes immédiats dont ils doivent s'occuper parce que, pour le dire grossièrement, ce sont leur arrière-cour respective. Alors, nous sommes à un moment où les puissances prennent soin de leurs arrières-cours et c'est pourquoi, en fait, on cède la contrôle de l'Amérique Latine aux Etats-Unis pour qu'ils n'augmentent pas leur présence et leur agressivité sur des terrains qui jouxtent la Russie et la Chine. Le problème de l'Ukraine est le problème numéro 1 pour la Russie qui a, en outre, un différend avec le Japon, un pays allié des Etats-Unis. C'est le problème de la Corée et il y a aussi une présence croissante du terrorisme musulman qui touche les 2 pays parce qu'en Chine, il y a des provinces et en Russie, il y a des républiques à majorité musulmane. Le conflit du Moyen Orient s'est déjà déplacé dans ces régions. Au Sing Xiang (Chine), le terrorisme islamique est présent et au Daghestan (Fédération de Russie) aussi. Ce sont des problèmes internes de la Chine et de la Russie. Ce ne sont pas des problèmes de politique étrangère et ils doivent leur prêter une attention une attention particulière, ce qui se fait au détriment de nos intérêts en tant que Latino-américains.
Comment la destitution de Trump en cours peut-elle influer sur tout cela? En qui la situation pourrait-elle changer en 2020?
Nous allons devoir envisager la politique étrangère des Etats-Unis du point de vue de la destitution. Ce que fera Washington dans le monde dépendra de la façon dont avance ou recule l'accusation réelle. Cela ne semble pas pouvoir aboutir pour une raison simple, pas pour une raison de grande politique : ce sont les sénateurs républicains qui vont devoir la décider de survivre avec Trump ou se noyer avec lui. Le reste, c'est du bla-bla juridique pour essayer de faire un cirque médiatique interne qu'ils essaieraient d'amener sur le plan international mais la décision finale, ce sont les sénateurs républicains qui sont majoritaires qui sont ceux qui décident, à la fin. La Chambre des Représentants (où les démocrates sont majoritaires), ce qu'elle fait, c'est enquêter sur l'affaire et le mettre à la disposition des sénateurs. Personnellement, je pense qu'ils ne vont pas opter pour se noyer avec Trump. En ce moment, je pense difficile que impeachment aboutisse à une destitution du président Trump. Et je vais dire quelque chose qui paraîtra très bête mais je préfèrerais que Trump reste 4 ans de plus plutôt que les démocrates viennent comme à l'époque j'avais dit qu'il valait mieux que ce soit Trump et pas Hillary Clinton qui gagne. En termes de conflits mondiaux, les démocrates sont plus dangereux. Trump parie sur le protectionnisme et l'isolationnisme qui étaient la base de l'ancienne politique étrangère des Etats-Unis alors que les démocrates ont une vocation impérialiste et agressive beaucoup plus forte que les républicains. Nous ne devons pas oublier que ce sont les républicains qui sont arrivés aux accords SALT (de limitation des armes nucléaires) avec l'Union Soviétique et que ce sont eux aussi qui ont établi des relations avec la Chine. Nous devons décider si nous les regardons en tant que Vénézuéliens ou si nous les regardons en termes de survie de l'humanité. Je pense que pour la survie de l'humanité, le Gouvernement de madame Clinton aurait été plus agressif que celui de Trump qui a même rompu les accords avec l'Irak et s'est retiré des accords sur le Changement Climatique. Il me semble que dans ce cas, le dicton « il vaut mieux un mauvais qu'on connaît qu'un bon qu'on ne connaît pas » s'applique.
Chávez l'a vu avant
La Bolivie a été comme une réaction, un contrecoup à ce qui se passait au Chili, en Equateur et en Colombie. Que devrions-nous apprendre au Venezuela de ce qui s'est passé ?
Cet enseignement, Chávez l'a vu avant nous quand il a transformé la Force Armée, souvent dans une grande absence de compréhension. Et quand nous parlons de transformer la Force Armée, cela signifie qu'il s'est occupé des études de l'Académie Militaire, qu'il a inclus dans les études des cades l'étude de l'histoire, de l'économie, des Droits de l'Homme. Il savait ce qu'il faisait. Il savait que la clef se trouvait dans la construction d'une nouvelle doctrine, loin de al doctrine de sécurité nationale des Etats-Unis, qui sortirait la Force Armée vénézuélienne du giron des Etats-Unis, ce qui s'est accéléré après le coup d'Etat de 2002. aujourd'hui, à la lumière des événements en Bolivie, on se rend compte à quel point est encre en vigueur ce point de vue du Commandant qui met en évidence le fait que le soutien du peuple ne suffit pas même s'il est majoritaire et écrasant mais qu'il faut l'unité civique et militaire, qu'on a besoin d'une doctrine de défense de la souveraineté réelle, non seulement en ce qui concerne l'affrontement avec un autre pays mais aussi en ce qui concerne le vote populaire. Evo a gagné avec 10 points d'écart. Supposons qu'il n'ait pas gagné au premier tour, qu'il ait gagné avec 9,8 points… C'est presque 10 points et cela démontre que les votes ne servent pas à rien, que la démocratie représentative est un grand mensonge , une grande farce parce que même gagner avec 10 points d'écart n'est pas valable. Avec combien dois-tu gagner ? Ce qui est mis en évidence, c'est une crise de la démocratie, de ce modèle qu'ils nous ont toujours vendu : le gouvernement des majorités, du peuple pour le peuple, la séparation des pouvoirs. Aujourd'hui, l'attitude de la droite est mise à nu parce qu'il a été mis en évidence que quand nous avons appris à gagner avec leurs règles, ce sont eux qui détruisent ces règles. J'aurais voulu que les règles soient détruites dans une perspective révolutionnaire, dans l'intérêt du peuple mais ce n'est pas ainsi. Eux, ils les brisent dans la perspective des intérêt des oligarchies. Cette démocratie qu'ils ont construite depuis la Révolution française ne leur plus à rien et ils n'ont pas d'autre option. Ils ne savent pas que faire. Il leur reste la force, l'asservissement, le chantage, la menace, l'agression, l'invasion, les blocus, les sanctions. toutes ces mesures sont des mesures qui violent les principes fondamentaux que l'humanité avait réussi à se donner comme valeurs de coexistence pacifique, égales pour tous.
D'autres acteurs qui ont été mis à nu sont les organismes internationaux. Par exemple, l'Organisation des Etats Américains, en tant que structure, a démontré qu'elle est un appareil de soutien de la droite, en plus du sceau que lui imprime Almagro en tant que secrétaire général. Maintenant, on a essayé de ressusciter le Traité Inter-américain d'Assistance Réciproque et on amis en place la combine du Groupe de Lima. Ça a été une année très intense dans ce domaine...
Il faut remonter aux origines de ces institutions, dans ce cas du Système Inter-américain. C'est la conséquence de la Seconde Guerre Mondiale. Le TIAR et l'OEA sont l'expression régionale des accords qui ont amené la construction de l'Organisation des Nations Unies en 1945 et de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, au niveau mondial, en 1949. Sur le plan américain, c'est l'organe militaire qui est créé d'abord, le TIAR en 1947, et ensuite l'organe politique, l'OEA, en 1948. Ils répondent à une logique de Guerre Froide. Ce qui est curieux, c'est que la Guerre Froide est finie mais ces institutions restent. L'ennemi qui leur a donné naissance (le communisme) n'existant plus, les Etats-Unis se sont vus obligés de fabriquer de nouveaux ennemis. Après la disparition de l'Union Soviétique, dans les 10 dernières années du siècle dernier, les ennemis étaient le trafic de drogues et les immigrants. C'était l'époque du Plan Colombie. C'est passé au second plan après le 11 septembre 2001, quand les Etats-Unis en ont profité pour introduire la dynamique de lutte contre le terrorisme grâce à cette fameuse phrase du Président Bush : « Ou vous êtes avec eux ou vous êtes avec nous. » Le TIAR et l'OEA se placent dans ce point de vue. Le TIAR était mort avec le conflit des Malouines parce qu'il n'a pas respecté son objectif fondamental alors que l'OEA s'est adaptée à la politique des Etats-Unis. En réalité, elle a toujours été une sorte d'appendice de la politique étrangère des Etats-Unis. Personnellement, dès l'instant où ce pays s'est appelé République Bolivarienne du Venezuela, j'ai commencé à dire que c'était un contresens, un manque de respect d'être à l'OEA. J'ai dit que nous devrions quitter l'OEA non pour des questions politiques de cette époque mais parce que l'OEA est l'expression de la doctrine anti-bolivarienne, de la Doctrine Monroe, du panaméricanisme, de la doctrine des Etats-Unis qui est opposée à la doctrine du Venezuela. Dans cette dernière circonstance, l'OEA, comme le reste des acteurs, se comporte avec sans-gêne parce que le système le lui permet. Mais ce n'est pas nouveau. Si on analyse l'action de l'OEA depuis 1948, ça a toujours été la même chose. A plusieurs occasions, j'ai discuté avec des diplomates de pays amis qui étaient à l'OEA et qui se plaignaient d'elle. Je leur ai dit qu'ils ne pouvaient pas se plaindre parce qu'ils y étaient, donnant leur aval à tout ce que fait l'OEA. Pour celui qui professe véritablement un sentiment bolivarien, la seule possibilité est de quitter l'OEA. On ne peut pas être bolivarien et être à l'OEA. C'est un contresens, une contradiction d'origine et une honte.
Les organisations internationales alternatives qui sont nées dans les 10 premières années du siècle sont affaiblies par cette réaction de la droite. Est-il possible de les réactiver ?
Il faut voir cas par cas. En ce qui concerne l'Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (ALBA), je pense que nous devons la conserver bien que nous soyons seuls avec les Cubains parce que c'est l'expression de l'objectif de continuer à appliquer les idées de Bolívar en matière d'intégration. C'est un drapeau destiné à dire que l'intégration est possible dans la perspective des idées du Libérateur. L'Union des Nations sud-américaines (UNASUR) répondait plus à la logique brésilienne qu'à n'importe quelle autre. Je le dis avec tout le respect que j'ai pour ceux qui sont différents. Le Brasil s'est toujours senti plus sud-américain que latino-américain, entre autres choses parce qu'il a toujours aspiré à être une puissance sub-régionale. Avec Lula, le Brésil a découvert que l'Amérique Latine était plus grande que l'Amérique du Sud et il s'est occupé d'installer, par exemple, des ambassades dans les pays des Caraïbes où il n'en avait pas. Il a augmenté sa présence en Amérique Centrale et Lula a même cherché une alliance avec le Mexique mais ce n'était pas le moment, pour le Mexique, de ce genre de rencontres et il n'y a pas réussi. Alors, dans 10 premières années de ce siècle, le Brésil a cherché à accaparer l'espace sud-américain grâce à l'UNASUR. Le Commandant Chávez, pour essayer d'atténuer le poids de ce géant qu'est le Brésil, a établi une relation stratégique avec l'Argentine. Maintenant, alors que le Brésil est aux mains de Bolsonaro, il est très difficile de pouvoir continuer à avancer. Alors, j'ai beaucoup plus d'espoir, je suis beaucoup plus optimiste en ce qui concerne la Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (CELAC). D'abord parce que maintenant, il y a 2 grands pays, le Mexique et l'Argentine, qui ont déclaré qu'ils voulaient renforcer la CELAC. L'autre raison pour laquelle je suis optimiste, c'est que la CELAC a réussi à être la référence latino-américaine aussi bien pour la
Chine que pour l'Europe. Malgré tout ce qui s'est passé, ils continuent à faire des réunions ministérielles Chine-CELAC. Cela implique qu'aussi bien la Chine que les Européens continuent à considérer la CELAC comme la référence pour l'Amérique Latine. Cela représente un apport d'oxygène pour ces formes d'intégration, au-delà de toute l'incapacité des élites latino-américaines à se mettre d'accord, à la différence des élites européennes, asiatiques et africaines qui sont capables de dépasser leurs contradictions en faveur de l'unité. Les élites politiques les plus arriérées du monde, en ce sens, sont las élites latino-américaines. Puissent ces apports d'oxygène obliger ces élites à conserver dans une certaine mesure l'idée de l'intégration.
(Clodovaldo Hernández / LaIguana.TV)
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
Source en espagnol :
URL de cet article :