Haïti : La communauté impériale et la guerre contre PETROCARIBE
Par Lautaro Rivara*
Depuis 5 semaines (cet article date du 27 septembre 2019) Haïti a de gros problèmes d'approvisionnement en combustibles et en autres produits pétroliers. Comme conséquence, la population a été touchée par une augmentation des produits de base, une paralysie partielle des transports, la contrebande et les longues queues dans les stations services. Un galon d'essence ou le kérosène utilisé pour éclairer les maisons dans beaucoup de régions qui n'ont pas l'électricité peut coûter jusqu'à 2 ou 3 fois plus cher que d'habitude. L'activité gouvernementale, commerciale et civile est nulle ou intermittente en ce moment. Les plus touchés sont, évidemment, les grandes majorités qui survivent avec moins de 2 dollars par jour dans le pays le plus pauvre et l'un des plus inégaux de l'hémisphère.
L'absence de carburant a 2 grandes causes. D'une part, la rétention de combustible par le Gouvernement qui, de cette façon, fait pression pour justifier la suppression des subventions de l'Etat et la hausse des prix. C'est ce qu'a tenté de faire le président Jovenel Moïse en juillet de l'année dernière en accord avec les politiques globales du FMI en la matière. La politique envers Haïti a été reproduite dans des pays aussi éloignés que la guinée Equatoriale et l'Egypte. A cette époque-là, la tentative s'est achevée en Haïti avec 1 500 000 personnes mobilisées dans les rues de tout le pays, la suspension de la mesure impopulaire et la démission forcée de l'ex-premier ministre Jack Guy Lafontant.
Bien qu'à cette occasion, le Gouvernement ait prétendu ne pas prendre en considération une telle augmentation, une circulaire interne à la Police Nationale qui invitait les forces spéciales du CIMO à affronter les éventuelles protestations qui provoqueraient « la prochaine augmentation des produits pétroliers » a été diffusée. C'est à dire que le principal corps de sécurité de l'Etat tenait pour acquise l'augmentation jusqu'à il y a quelques jours. Parallèlement, un reporter de Radio Ibo confirmait, après avoir visité un terminal portuaire, que les 140 000 barils de pétrole que l'Etat avait en sa possession n'avaient pas été épuisés mais qu'ils étaient retenus délibérément.
L'autre cause de la crise de l'énergie est en relation directe avec la géopolitique régionale. Le blocus et l'embargo que les Etats-Unis imposent à la République Bolivarienne du Venezuela empêche les cargos qui auparavant fournissaient le combustible subventionné et obtenus à des conditions préférentielles de naviguer librement. Haïti est revenu vers un marché international dominé par les transnationales nord-américaines qui imposent des prix élevés et impossibles à payer pour l'Etat.
La politique du Département d'Etat nord-américain cherche ainsi à fermer le cercle autour du Gouvernement de Nicolás Maduro, à frapper collatéralement Cuba qui souffre aussi d'un problème modéré d'approvisionnement et à affaiblir en même temps l'alliance des pays membres de PETROCARIBE. La plateforme de coopération énergétique fondée en 2005 sur instructions d'Hugo Chávez Frias a toujours été un pilier de la diplomatie vénézuélienne dans la région que les Etats-Unis considèrent comme sa « mare nostrum » et a frappé durement les intérêts commerciaux de géants comme Chevron et Exxon Mobil.
Ainsi, Haïti est a la fois la principale victime et l'instrument suicide de la politique d'ingérence dans les Caraïbes sous le gouvernement de Trump. Alors qu'elle est le pays le plus durement touché par la crise de l'énergie qui découle de l'embargo envers le Venezuela, elle est utilisée comme fer de lance de l'offensive contre le Gouvernement de Nicolás Maduro. En même temps, le Gouvernement de Jovenel Moïse, tout à fait en accord avec les priorités nord-américaines, se joint à ceux qui cherchent à affaiblir et à briser la Communauté des Caraïbes (CARICOM) qui a donné des preuves récurrentes d'autonomie dans le traitement du grave problème vénézuélien.
Pendant ce temps, ce qu'on appelle la « communauté internationale, » d'autres pays qui ont des intérêts en Haïti comme la France ou le Canada et même des organismes internationaux présents activement dans le pays comme l' OEA ou les Nations Unies semblent ne pas comprendre l'ampleur de la crise. Alors qu'ils signalent de soi-disant déficits de démocratie dans des pays comme le Venezuela et Cuba, ils ne semblent pas reconnaître le fait qu' en Haïti, il n'y a pas de Gouvernement stable, en fonctions et constitutionnel depuis juillet de l'année dernière. Et que l'échec des 8 missions internationales civiles et militaires qui agissent dans le pays depuis 1993 est tout à fait évident. tourner les yeux vers le drame haïtien implique de reconnaître la lourde responsabilité internationale dans la situation dramatique du pays.
Ni la stabilisation ni la reconstruction ni la pacification ni la justice n'ont fait partie des objectifs vaguement atteints comme pourra le vérifier celui qui se rend en Haïti ou regarde ses plus élémentaires indicateurs sociaux et économiques. La prochaine et énième mission qu'on appelle BINUH et qui remplacera l'actuelle MINUJUSTH le 16 octobre prochain ne semble pas offrir plus de garanties en ce sens. Ce dont il s'agit, c'est de perpétuer l'occupation internationale d'un pays encore aujourd'hui considéré, selon l'Article VII de la Charte des Nations Unies, comme « menace pour la sécurité internationale » dérisoire. Un autre objectif est de garder la main sur le recours facile à de nouvelles remilitarisations destinées à réprimer et à contenir les protestations de masse qui secouent le pays et exigent la démission du président si celles-ci en venaient à porter atteinte aux intérêts géopolitiques des puissances occidentales dans les Caraïbes.
*Lautaro Rivara, membre de la Brigade Dessalines de Solidarité avec Haití
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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