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Amérique Latine : Interview d' Alfred de Zayas à propos du coup d'Etat en Bolivie 

21 Mars 2020, 18:04pm

Publié par Bolivar Infos

 

De récentes analyses statistiques montrent que les conclusions de l’Organisation des Etats Américains au sujet d’une fraude présumée lors des élections d’octobre en Bolivie ne tiennent pas la route. L’ex-fonctionnaire de l’ONU, Alfred de Zayas, a expliqué quelles sont les mesures qui devraient être prises par les instances internationales et régionales suite à ces résultats, en mettant en évidence le rôle qu’ont joué les Etats-Unis dans le coup d’Etat en Bolivie.

 

Le 10 mars, le Centre de Recherche Economique et Politique (CEPR) a publié une étude de toute première importance en mettant en lumière les failles du “rapport final” de l’audit de ‘Organisation des Etats Américains (OEA) sur les élections d’octobre en Bolivie. Les recherches du CEPR font suite à la publication par Jack Williams et John Curiel du Massachussets Institute of Technology (MIT) sur ce sujet.

 

Selon le CEPR, sa nouvelle analyse répond aux critiques de l’OEA sur la négligence des prétendues “feuilles de scrutin incorrectes” et la présence de “serveurs cachés” utilisés dans le traitement des résultats électoraux en Bolivie. Les chercheurs affirment qu’ils ont apporté une “réfutation complète” du rapport final de l’OEA en ne trouvant aucune preuve que les irrégularités mentionnées avaient “modifié le résultat de l’élection ou constituaient une tentative délibérée de la faire”.

 

Les conclusions de l’OEA étaient que l’ancien Président Evo Morales et son Mouvement pour le Socialisme (MAS) avaient truqué les élections boliviennes en octobre, déclenchant des troubles sociaux et des violences à l’échelle nationale qui ont entraîné l’éviction du chef du gouvernement en novembre 2019. On peut se demander comment la situation évoluera compte-tenu de l’indignation croissante que suscite ce bilan inexact de l’OEA.

 

Alfred Maurice de Zayas, expert indépendant de l’ONU à la retraite, estime que les circonstances entourant le “coup d’Etat illégal” en Bolivie méritent un examen tout spécial et déplore le silence de l’ONU concernant ces faits, malgré les révélations du MIT et du CEPR.

 

Spoutnik : Que pensez-vous des études du CEPR et du MIT révélant que le rapport analytique de l’OEA sur les élections d’octobre en Bolivie était profondément vicié et qu’Eco Morales a en réalité remporté les élections en toute équité ?

 

Alfred de Zayas : Le Washington Post a rendu compte des résultats remarqués des études du CEPR et du MIT. De telles révélations auraient dû avoir des conséquences politiques, c’est-à-dire la reconnaissance de ce que Morales avait remporté les élections et que le coup d’Etat avaient entraîné de graves violations de la Charte de l’OEA par les Etats-Unis avec la complicité de certains membres du soi-disant “Groupe de Lima”. Le rétablissement du droit international nécessiterait un retour au statu quo ante, c’est-à-dire à la réintégration de Morales en tant que président légitime de la Bolivie.

 

Mais nous vivons non seulement dans un monde de “fake news” mais aussi dans un monde de “vraies nouvelles sans conséquences”. La soi-disant “communauté internationale” admet d’une manière ou d’une autre qu’il y a eu une violation flagrante de la Charte Démocratique de l’OEA et que l’OEA elle-même y a participé. C’est un scandale inouï, une viciation de terminologie, une véritable agression contre le droit international.

 

Cela aurait dû impliquer, par exemple, la démission du Secrétaire Général de l’OEA, Luis Almagro. Mais nous ne lisons pas dans les pages du New York Times ou du Washington Post qu’il devrait y avoir des conséquences à ce coup d’Etat illégal. Il existe une certaine complicité des médias et de certains gouvernements qui ont pour la plupart applaudi ce coup d’Etat, même s’ils ne l’ont pas fait publiquement. Qui tacet consentire videtur (Qui ne dit mot consent). Le silence du Secrétaire Général de L’ONU, Antonio Guterres et de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, Michelle Bachelet, est tout aussi regrettable.

 

Spoutnik : Les rapports statistiques du CEPR/MIT pourraient-ils être utilisés pour ouvrir une enquête internationale sur le rôle de l’OEA dans les troubles d’octobre en Bolivie, qui ont entraîné un changement de régime ? Quels organismes internationaux et/ou latino-américains pourraient éventuellement mener une telle enquête ?

 

Alfred de Zayas : C’est le minimum que l’on peut espérer. Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, l’Assemblée Générale des Nations Unies, le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies pourraient exiger de telles enquêtes et nommer une commission d’enquête indépendante. Au niveau régional, la CELAC, Communauté des Etats d’Amérique Latine et des Caraïbes, pourrait mener une telle enquête. La Communauté des Caraïbes (CARICOM) devrait également s’impliquer davantage.

 

SPOUTNIK : Etant donné que l’OEA est partiellement financée par les Etats-Unis, quel rôle Washington a-t-il joué dans le coup d’Etat bolivien,’ à votre avis ? Peut-on établir des parallèles entre le changement de régime en Bolivie et la tentative de coup d’Etat de janvier 2019 au Venezuela ?

 

Alfred de Zayas : L’OEA n’a jamais été une organisation indépendante, ni intéressée à promouvoir la démocratie ou le “pouvoir du peuple”. L’objectif de l’OEA était et reste celui de faire avancer l’agenda politique et économique des Etats-Unis. Une fois il y a eu un Secrétaire Général de l’OEA plus ou moins neutre, mais la plupart d’entre eux ont été des marionnettes manipulées, comme l’actuel S.G. Luis Almagro. En 2009, le Secrétaire Général de l’OEA de l’époque, José Miguel Insulza, a fermement condamné le coup d’Etat de Droite contre le gouvernement du Président du Honduras, José Manuel ZELAYA.

 

A cette époque, les Etats-Unis étaient directement impliqués dans le coup d’Etat, mais l’OEA n’était pas directement complice. La situation est différente aujourd’hui, car nous savons comment l’OEA a contribué à rendre le coup d’Etat contre la Bolivie “acceptable” aux yeux du public, en accusant à tort Evo Morales de pratiques électorales frauduleuses. L’ancien S.G. de l’OEA, Insulza, s’est joint à l’Argentine et au Mexique pour condamner le coup d’Etat contre Morales, mais la presse grand public n’accorde guère d’importance à ces “nouvelles”.

 

SPOUTNIK : Quelle a été la participation de l’USAID dans les troubles en Bolivie et au Venezuela ? Les contribuables américains devraient-ils être informés des activités et des organisations opérant en Bolivie et au Venezuela, l’USAID y ayant largement utilisé l’argent de leurs impôts ?

 

Alfred de Zayas : L’USAID est connue pour ses activités comme étant la “plus belle face” de la CIA, une agence qui promeut agressivement les intérêts des Etats-Unis en finançant des mouvements d’opposition, en soudoyant des fonctionnaires et en menant d’autres activités antidémocratiques, faisant en sorte que la volonté des peuples d’Amérique Latine soit subordonnée aux priorités américaines et aux intérêts des soi-disant “élites”, selon les termes promotes US interest by financing opposition movements, dans des pays comme la Colombie et le Honduras et maintenant la Bolivie.

 

Comme l’a déclaré l’ancien Président bolivien Evo Morales, l’aide accrue des Etats-Unis au gouvernement intérimaire du coup d’Etat de Jeanine Añez apporte une preuve supplémentaire de l’implication de Washington dans le coup d’Etat : “Les Etats-Unis veulent que nous soyons de nouveau leur arrière-cour, a-t-il tweeté. Pourquoi ? La Bolivie est riche en ressources naturelles, en particulier en lithium, et se trouve à portée de main pour son grand pillage”.

 

Il est étonnant de voir à quel point les Etats-Unis tentent de dissimuler leurs intentions. Dans une note de service précisant que “l’octroi d’une aide des Etats-Unis à la Bolivie au cours de l’exercice 2020 est fondamental pour les intérêts nationaux des Etats-Unis", le président Trump précise que cette aide est absolument “vitale” pour l’économie américaine, pour l’industrie américaine de l’extraction, pour les transnationales américaines et les investisseurs américains. Le retour de l’USAID en Bolivie pour aider à “surveiller” les élections de mai 2020 ne signifie rien d’autre que l’intention des Etats-Unis de les manipuler en faveur de l’imposteur Jeanine Añez.

 

Global Research a révélé tant d’entourloupes qu’il est étonnant que les médias continuent à cautionner la farce selon laquelle l’USAID veuille effectivement apporter leur aide désintéressée et non pas provoquer une subversion politique. “Pendant de nombreuses années, le Comité Civique de Santa Cruz et son Union de la jeunesse proto-fasciste a reçu un financement de la National Endowment for Democracy (NED) étatsunienne, - selon l’analyste Eva Golinger, il y a quelques années l’USAID a fourni 84 millions de dollars aux groupes d’opposition boliviens”.

 

En raison de l’ingérence de l’USAID dans les affaires intérieures de la Bolivie, Morales l’a expulsée du pays en 2013. La voilà de retour maintenant.

 

En tant que citoyen américain, j’exige que tous les contribuables américains soient informés des activités de la CIA et de l’USAID, ainsi que de l’utilisation abusive de nos impôts dans le but de subvertir des gouvernements démocratiques à l’étranger. Mais, bien sûr, ni Donald Trump ni Joseph Biden ne prêteront attention à de telles demandes.

 

Traduit de l’anglais en français par Frédérique Buhl.

 

https://sputniknews.com/analysis/202003151078572436-studies-say-morales-won-fairly-un--latin-american-institutions-must-take-action--ex-un-official/