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Bolivie: Personne ne fera la Révolution pour les peuples si ce n’est les peuples eux-mêmes”

29 Avril 2020, 07:54am

Publié par Bolivar Infos

 

Carlos Aznarez

Voilà déjà 6 mois que Hugo Moldiz, défenseur infatigable du socialisme et ex-ministre d’Evo Morales, est confiné dans l’Ambassade du Mexique à La Paz.

 

Il y attend, avec d’autres ex-fonctionnaires et militants du MAS, l’octroi d’un sauf-conduit pour quitter le pays. Le gouvernement dictatorial bolivien sait pertinemment que le seul motif de cette rétention est la vengeance pour le rôle qu’ils ont joué dans la vie politique de leur pays. Cette obstination à les bloquer là viole toutes les normes constitutionnelles. 

Nous avons évoqué avec lui cette situation et de la manière dont il envisage l’avenir de la Bolivie.

 

Comment se présente votre situation à l’ambassade où vous êtes confinés depuis plusieurs mois déjà ?

 

Depuis le 10 avril, cela fait 6 mois, la moitié d’une année déjà, que nous sommes demandeurs d’asile auprès du Gouvernement Mexicain et otages du gouvernement bolivien qui refuse de nous délivrer un sauf-conduit, comme le prévoit pourtant le droit international. Je dis bien “otages” car d’un point de vue juridique, dans le cadre du droit international, ce ne sont pas seulement les textes écrits qui comptent, mais aussi ce qu’on appelle le droit coutumier, les usages et pratiques du droit international. Cette coutume établit que si une personne s’est vu attribuer le statut de demandeur d’asile après examen préalable de sa situation, elle ne peut pas se voir refuser l’octroi d’un sauf-conduit après la date à laquelle ce statut lui a été accordé en raison de procès qui lui seraient intentés ultérieurement. Cela ne signifie pas que toute poursuite judiciaire doive être annulée de ce fait, car tout Etat est en droit d’initier un procès à cette personne, que ce soit à tort ou à raison, mais cela ne doit pas empêcher l’octroi des sauf-conduits correspondants comme dans notre cas. C’est ce qu’établit l’usage la pratique internationale.

 

Le gouvernement de fait de Mme Añez va à l’encontre de cette pratique du droit international en refusant de nous accorder des sauf-conduits ; à ce jour, parmi les sept présents ici, cinq d’entre nous seulement font l’objet de procédures légales, les deux autres n’ont reçu aucun ordre d’appréhension jusqu’à ce jour, mais par la suite ils tenteront de rendre leur décision légitime en nous dressant à tous des procès et des ordres d’appréhension pour justifier ainsi cette violation du droit. Le fait que deux d’entre nous n’ait pas reçu le moindre ordre d’arrestation confirme bien notre condition d’otages politiques du gouvernement de fait.

 

Quelle est votre état d’esprit face au caractère injuste et revanchard de ces agissements ?

Nous gardons tous un moral élevé avec la certitude que tôt ou tard justice sera faite, persuadés qu’ils ne réussiront pas à faire fléchir notre état d’esprit, notre conscience et notre cohérence, même si nous sommes privés de ce que l’on ne valorise jamais assez jusqu’au moment où on nous l’enlève, notre liberté. Cette liberté pour laquelle l’humanité s’est toujours battue et continuera à se battre aussi longtemps que subsisteront les chaînes visibles ou invisibles qui nous asservissent, trayant et exploitant nos peuples aussi bien que les individus.

 

A quoi attribuez-vous cet acharnement envers vous : toi, Juan Ramon Quintana et les autres ici présents ?

 

A l’origine, tout a commencé avec la nomination du Ministre Murillo, qui, d’un point de vue tout à fait objectif relevant du matérialisme historique, a donné à l’organe du Ministère du Gouvernement de la Police la suprématie sur les autres appareils d’Etat. Il contrôle aussi les autres appareils d’Etat qui monopolisent l’usage de la force, les Forces Armées elles-mêmes en l’occurence . Murillo a donné un rôle plus important à la Police, sans parler des appareils idéologiques qui les entourent. La première déclaration de ce ministre, à peine eut-il prêté serment, a été textuellement : “Je vais me lancer à la chasse –comme s’il nous réduisait au rang d’animaux- de Juan Ramon Quintana, de Raul Garcia Linera et de Hugo Moldiz”. 

 

Dans le cas de Juan Ramon, le fait d’avoir été ministre puis ambassadeur et de ne pas avoir quitté ses postes de fonctionnaire public l’expose bien sûr davantage à prendre des coups et à devenir la cible principale des attaques du gouvernement et de ses appareils répressif et judiciaire.

 

Pour ce qui me concerne, j’ai été ministre puis conseiller présidentiel pendant deux ans et demi sur les quatorze années qu’a duré le Gouvernement d’Evo Morales, ce qui revient à dire que j’ai occupé peu de temps mes charges de fonctionnaire public. C’est donc plutôt un harcèlement politique et idéologique qui est mené contre moi. A l’encontre de Juan Ramon aussi, mais de manière plus camouflée, rappelle-toi que Lénine parlait de l’emballage du capitalisme, de l’Etat capitaliste, sous des arguments comme celui de l’exercice de la fonction publique pour imposer des figures juridiques qui ne correspondent pas à la réalité.

 

Pour te donner un dernier exemple, un lynchage médiatique a récemment été déclenché contre une jeune fille, l’accusant d’avoir organisé l’entrée illégale de Boliviens par le Chili ; elle avait pris des congés pour partir au Carnaval, et lors de ces festivités en Bolivie, personne ne se doutait de ce qui allait arriver. On maintient pourtant qu’elle était partie pour organiser les centaines de boliviens que le gouvernement bolivien bloque injustement à la frontière chilienne en leur interdisant de rentrer dans leur propre pays. Selon le Ministre du Gouvernement, elle aurait été l’instigatrice de tout cela sous la supervision de Juan Ramon Quintana, soutenant même qu’elle serait venue le voir à la résidence de l’Ambassade du Mexique. Rien de tel ne s’est passé, en réalité la jeune femme est venue à l’Ambassade non pas pour rendre visite à Juan Ramon, mais à moi-même et en outre, je le répète, quand elle est partie en vacances au Chili avec sa famille, sa mère et sa fille, nous étions loin de penser qu’il pourrait y avoir une quarantaine et encore moins une fermeture des frontières. Mais nous faisons face à une construction médiatique de l’ennemi, principalement dirigée contre Juan Ramon et moi, car nous sommes les plus visibles. Il y a à cela des motifs politiques et idéologiques qui poussent ce gouvernement de fait à concentrer son offensive contre nous qui sommes coincés là sans aucune relation avec l’équipe que nous formions. Nous étions plus de vingt et aujourd’hui nous ne sommes plus que sept ; tout indique qu’il n’existe pas la moindre intention de nous accorder nos sauf-conduits respectifs.

 

Il y a aussi ceux qui continuent à résister dans a rue et dans chaque espace de lutte défendu par les militants du MAS. Il règne un climat de répression acharnée, par exemple contre la Maire de Vinto ou ce jeune homme qui été détenu pour avoir critiqué le gouvernement sur les réseaux sociaux. 

 

Quel est votre point de vue sur le contexte actuel ? Je vous pose cette question compte tenu des touts récents appels à des élections anticipées.

 

L’ambiance générale est à la persécution et à la répression. Je le répète encore une fois, la répression physique, politique et judiciaire de l’Etat prévaut sur les autres formes de domination. Non pas qu’il faille s’en étonner, ce serait en effet idéaliste de ne pas reconnaître que tout Etat exerce un monopole sur la force étatique, par exemple. Mais cela doit se faire dans le cadre de limites bien déterminées, dans le respect de l’ordre juridique ; mais ce gouvernement agit comme s’il se était au-dessus des lois minimales du cadre législatif. C’est-à-dire que c’est le ministre du gouvernement en personne qui décide quelle personne il faut mettre en prison, usurpant ainsi les fonctions d’un autre organe supposé indépendant, le Pouvoir Judiciaire. Alors qu’ils ont eux-mêmes critiqué Evo Morales en l’accusant de manipuler la Justice. Pourtant il n’y a pas eu la moindre déclaration d’Evo Morales, d’Alvaro Garcia ou d’un de leurs ministres du style de celle du ministre Murillo, désignant qui doit être incarcéré ou non. Et ce, en toute impunité : “Je vais les mettre en prison ! “ : une chose consiste à dire que le gouvernement dénoncerait telle ou telle personne pour tel ou tel délit devant l’Institution Judiciaire, respectant au moins les formes ; autre chose la manière d’agir de ce gouvernement dont le ministre Murillo ne se soucie même pas de respecter les règles de procédure. Nous sommes de toute évidence face à une prédominance de la persécution judiciaire et physique, une violation du droit à la libre expression, droit qui a même été reconnu par Human Rights Watch, une ONG nord-américaine dirigée par un monsieur nommé Vivanca, pourtant relativement critique envers les Révolutions Cubaine et Vénézuélienne, qui a pourtant dénoncé une atteinte à la liberté d’expression en Bolivie.

 

Pendant le gouvernement d’Evo Morales, il est souvent arrivé qu’on ne soit pas d’accord avec des choses qui circulaient sur les réseaux sociaux, mais jamais aucune mesure n’a été prise contre leurs auteurs, jamais personne n’a été arrêté et poursuivi en justice pour avoir insulté ou émis des propos calomnieux de gros calibre à l’encontre d’Evo Morales ou des ministres de son gouvernement. Mais ce gouvernement le fait, ce qui veut dire qu’il contrôle les réseaux sociaux.

 

En ce moment, il est question de mettre en place des élections, ceci dans un contexte très difficile parce que, je tiens à le signaler, nous assistons à une usure accélérée du gouvernement qui se rend compte que reporter les élections de quelques mois lui donnera une chance d’arriver en seconde position et de vaincre ainsi le MAS lors d’un second tour ; je dirais même qu’il s’agit d’une compétition effrénée pour affaiblir la concurrence de Carlos Mesa qui vient en deuxième position dans les sondages, avant Jeanine Añez qui ne vient qu’en troisième position. Cela doit nous amener à nous demander pourquoi ce coup d’Etat a eu lieu ; comme je l’explique dans mon livre, le coup d’Etat ne représente pas seulement une action policière, militaire et civique, mais il a aussi bénéficié du soutien d’amples couches urbaines, amenant certains à qualifier le gouvernement de fasciste. Mais à mon avis le fascisme est quelque chose de différent. Je pense qu’il s’agit d’un gouvernement à tendances fascistes parce que de toute évidence il a réussi à rassembler le soutien de vastes secteurs des couches urbaines. Ne confondons pas ceci et cela, et j’irai même jusqu’à dire que ce soutien a baissé par rapport au début ; cependant, le fait qu’Añez vienne en troisième position devrait nous interroger sur l’état d’esprit actuel de la population bolivienne. Il ne fait aucun doute que c’est Luis Arce, le candidat du MAS, qui vient en tête avec plus de quinze points d’avance, c’est pourquoi nous assistons à une course contre la montre pour retarder les élections.

 

Mais ce qui fait défaut, c’est la volonté de répondre au mécontentement du peuple, qui représente une force sociale organisée. Bien sûr, des élections ne se gagnent pas depuis la Gauche juste avec un certain nombre de voix, elles se gagnent en présentant une figure capable d’apporter des changements, y compris démocratique, et de gagner ces élections ou de défendre leur résultat. Mais je crois que nous sommes face à une division entre la COB d’un côté, la Fédération des Mineurs de l’autre, et au sein même du Pacte de l’Unité formé d’organisations paysannes fidèles à Evo Morales. C’est ce qui me parait préoccupant au sujet des élections à venir, qu’elles aient lieu en août, en septembre ou en décembre.

 

Pourquoi doit-il y avoir des élections le plus tôt possible ? Parce qu’il faut un gouvernement légitime pour faire face aux effets à venir de la pandémie, or le gouvernement actuel est issu d’un coup d’Etat. Dans un futur proche, des mesures devront être prises, des accords établis, une planification convergente de l’économie élaborée et il faudra éviter dans la mesure du possible que les hommes d’affaires ne jettent les gens à la rue en supprimant des emplois. Pour tout cela il faut un gouvernement légitime, car le seul usage de la force, la seule répression, le seul discours provocateur et bravache du gouvernement, et plus spécialement du ministre Murillo, n’aideront en rien à parvenir à des accords politiques permettant de relancer une économie qui devra faire face à de grands défis, comme toutes celles d’Amérique Latine.

 

Pour finir, la question à un million : comment sortir de cette crise, qui n’est pas seulement humanitaire mais globale à tous points de vue ? Quelles sont, à votre avis, les perspectives qui restent au capitalisme après cette longue quarantaine ? 

 

Le capitalisme a connu des crises de plus en plus cycliques. La situation actuelle va en provoquer une nouvelle. La version néolibérale du capitalisme a été sérieusement mise à mal, et il découle du bon sens que nous entrons dans une phase où l’Etat devra davantage intervenir dans l’économie, ce qui n’est pas forcément synonyme de socialisme ou de quelque chose d’approchant. Le marché est devenu inexistant, la phrase “liberté de marché et de libre compétition” n’a plus de sens et en aura de moins en moins quand nous sortiront de cette pandémie. Un débat s’est ouvert au niveau mondial pour déterminer si le virus va mener le capitalisme à sa perte, issue qu’aurait prévue une sorte de nouveau communisme suite aux effets provoqués par le virus.

 

Que ce soit le fait ou non d’un nouveau communisme, la grande question est que le capitalisme ne s’effondre pas de lui-même, comme le disait Lénine, mais que sa chute doit être provoquée. Pour faire s’effondrer le capitalisme, une force organisée du peuple est une condition nécessaire. Et là, un autre problème surgit : à savoir un plus grand isolement des gens par peur de la contagion, par crainte de s’infecter et la peur devient un outil hautement fonctionnel pour la reproduction du capital dans de nouvelles conditions. Nous allons donc entrer dans une nouvelle phase de potentialité et d’exacerbation de la lutte des classes, qui n’a jamais cessé d’exister ; qu’elle soit ouverte ou déguisée, elle existe toujours. Que cela se transforme ou non en une force matérielle qui permettra de progresser vers des sociétés différentes de celle du capitalisme dépendra de nos capacités à nous organiser d’une autre manière. C’est-à-dire que personne ne va faire la Révolution pour les peuples si ce n’est les peuples eux-mêmes.

 

C’est évident. Merci Hugo pour cet entretien et nous réaffirmons toute notre solidarité avec vous et avec le peuple bolivien, comme toujours.

 

Traduction Frédérique Buhl pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2020/O4/25/bolivia-habla-hugo-moldiz-nadie-va

-a-hacer-la-revolucion-por-los-pueblos-que-no-sean-los-pueblos-mismos/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2020/04/bolivie-personne-ne-fera-la-revolution-pour-les-peuples-si-ce-n-est-les-peuples-eux-memes.html