Bolivie : Les défis de la nouvelle Assemblée Législative Plurinationale
Par Sebastián Ochoa
Après un an sous un Gouvernement qui n’a promulgué aucune des lois qu’elle a votées, l’Assemblée Législative Plurinationale a changé sa composition. Le MAS n’a plus les 2 tiers des membres des 2 chambres mais est en train de réfléchir à la façon de récupérer ce quota de voix. Comment fera-t-elle pour rendre viables des lois qui ont besoin de cette majorité pour être votées ?
A l’Assemblée Législative Plurinationale, il y a 36 nouveaux législateurs et 130 députés. Même si le Mouvement Vers le Socialisme (MAS) garde la majorité absolue, il a perdu la majorité des 2 tiers qu’il avait eue de 2009 à 2014 et de 2015 à 2020. De toute façon, le parti fondé par l’ex-président Evo Morales (2006-2019) a déjà engagé des négociations avec des membres d’opposition de l’assemblée pour les amener de son côté. Dans l’immédiat, le nouveau Parlement a le défi de réactiver l’économie de la Bolivie, arrêtée par la pandémie de COVID-19.
Sonia Brito a fait partie de l’Assemblée contrôlée par 113 législateurs du MAS sur un total de 166 dont les fonctions prennent fin ce 3 novembre. Malgré sa majorité écrasante, il leur a été difficile de résister au coup d’Etat contre Morales, le 10 novembre 2019. Depuis l’exil de son dirigeant, 28 lois ont été approuvées au Congrès, beaucoup destinées à aider la population face à la pandémie de coronavirus mais le Gouvernement de fait de Jeanine Áñez ne les a pas promulguées.
« Ca a été une année très spéciale, très difficile pour le groupe du MAS. Nous avons dû légiférer sous une dictature. Nous avons dû travailler avec beaucoup de persécution politique, satisfaire les demandes de secteurs dont les droits ont été bafoués, » a indiqué Brito à Sputnik.
A propos de la nouvelle Assemblée qui devra légiférer jusqu’en 2025, l’ex-députée a déclaré : « Elle a la tâche titanesque de reconstruire l’Etat de droit, de reconstruire la Patrie. Nous sortons d’un pays dévasté, avec une crise économique très importante. » Selon les projections du Fonds Monétaire International (FMI), fin 2020, la Bolivie enregistrera une croissance de -7,9%.
Brito a précisé : « On doit arrêter l’appareil de production. on doit voir quelles mesures permettront de rétablir l’économie pour que le peuple puisse se recomposer. L’Assemblée Législative devra accompagner ce processus. »
Une autre tâche du Parlement sera de « lutter contre la pandémie de COVID-19. On est inquiet parce qu’il pourrait y avoir une nouvelle vague. La mauvaise gestion de la pandémie par l’actuel Gouvernement a laissé de nombreuses séquelles. On doit améliorer les soins de santé, » a prévenu Brito qui, pendant des années, a été membre de l’Assemblée Permanente des Droits de l’Homme (APDH) de Bolivie.
Jusqu’à présent, en Bolivie, on a enregistré 141 936 malades du coronavirus et 8 751 morts, selon le rapport de novembre du ministère de la Santé.
Adieu aux 2/3
Le MAS a 96 législateurs si on ajoute la Chambre des Députés et le Sénat. Il lui manque 14 voix pour atteindre les traditionnels 2/3 qui lui permettent de décider même une réforme de la Constitution.
Quelques jours avant la fin de son mandat, le MAS a utilisé une dernière fois la force écrasante de ses 113 voix et a modifié 11 articles du règlement intérieur de l’Assemblée pour que divers sujets ne demandent plus d’être approuvés à la majorité des 2/3 mais seulement à la majorité absolue (50% plus 1 voix).
De toute façon, dès le jour même de la prise de fonction des membres de l’Assemblée, le MAS a vu comment attirer dans son groupe une première législatrice d’une autre force politique.
Ce 4 novembre, la nouvelle chambre des Députés a siégé pour élire sa direction. Freddy Mamani (du MAS) a été élu président, Elsa Alí (MAS) première vice-présidente, Gustavo Aliaga de Communauté Citoyenne (CC), second vice-président, Patricio Mendoza (MAS) premier secrétaire, Jorge Yucra (MAS), second secrétaire,
Walter Villagra (CC), troisième secrétaire et Sandra Paz (Creemos) quatrième secrétaire.
Cette dernière députée, du parti du patron de Santa Cruz Luis Fernando Camacho, ne devait pas faire partie de la direction : Creemos avait proposé une autre personne mais Paz a obtenu le soutien du MAS et a ainsi été élue. De sorte que maintenant, il ne manque plus au parti au pouvoir que 13 voix pour atteindre à nouveau les 2/3.
« Le MAS va utiliser une méthode qui a quelque chose à voir avec la cooptation, la fragmentation, les négociations, les arrangements avec des groupes d’opposition minoritaires pour élargir sa majorité qui n’arrive pas aux 2/3, a dit à Spoutnik l’analyste politique Lorgio Orellana.
« Il ne manque pas tellement au MAS pour atteindre les 2/3. Pour y arriver, il va voir comment diviser les autres groupes qui sont circonstanciels, ce ne sont pas des partis avec des structures d’organisation. Il ne va être du tout difficile pour le MAS d’obtenir des défections et de fragmenter l’opposition, » a ajouté Orellana, enseignant chercheur à l’Institut des Etudes Sociales et Economiques (IESE).
Le MAS s’est rendu compte qu’il fallait modifier le règlement intérieur de l’Assemblée parce que l’un des sujets qui requéraient la majorité des 2/3 était les nominations des hauts commandants de l’armée et de la police, ceux-là même qui ont soutenu l’émeute de l’année dernière, a souligné Orellana.
« Pour le Gouvernement de Luis Arce Catacora (qui deviendra président le 8 novembre prochain), il est important d’avoir un haut commandement fiable. Il ne fait pas confiance au haut commandement actuel. »
Le reliquat des pititas (bouts de ficelles) demande une intervnetion militaire
Dimanche 8 novembre, le président élu sera investi alors que certains petits secteurs d’opposition rejettent toujours ses 55,1% des voix et prétendent que le 18 octobre dernier, il y a eu «fraude» dans les urnes bien qu’ils n’aient pu le prouver. Ces groupes se mobilisent tous les jours à La Paz, Cochabamba et Santa Cruz pour exiger que les forces armées se chargent du Gouvernement national.
Selon l’ex-députée Brito, « des groupes de choc ont été formés encore une fois (comme en novembre 2019). Il y a des groupes irrationnels, antidémocratiques, qui dénoncent une soi-disant fraude sans aucun argument. »
Pour elle, ces secteurs minoritaires sont surestimés « parce qu’ils sont soutenus par les médias qui sont absolument partiaux et favorables à la droite. Nous parlons d’entreprises médiatiques privées qui créent l’idée que le MAS veut annuler les 2/3 à l’Assemblée. C’est un autre mensonge, » a déclaré Brito.
« Malgré tout, il y a une majorité de secteurs de droite plus démocratiques qui trouvent irrationnel qu’à ce niveau, on veuille nier une victoire aussi écrasante que celle du 18 octobre. Nous vivons un moment de tension à la veille de l’investiture du président. »
L’éventualité d’un procès en responsabilité
L’une des premières tâches qu’aura la nouvelle Assemblée sera de dire s’il est adéquat de faire un procès en responsabilité à Jeanine Áñez et à son cabinet pour les délits de crimes contre l’humanité commis lors des massacres de Sacaba (le 15 novembre 2019) et de Senkata (le 19 novembre 2019). La procédure est déjà en marche à partir du travail réalisé par l’ Assemblée précédente.
« Le procès en responsabilité est très demandé. Il y a aussi des plaintes pour des actes de corruption qui se sont déroulés cette année. Mais il faut les 2/3 des voix à l’Assemblée pour engager un procès en responsabilité, » a expliqué Orellana.
« Un aspect important se trouve dans ce qu’on a négocié pour réaliser la transition de commandement. Parce que les mêmes forces qui jusqu’à l’année dernière ont fait un coup d’Etat, reconnaissent à présent Arce, » a déclaré le chercheur.
Et il a précisé : « L’église, les partis d’opposition, le Département d’Etat des Etats-Unis, l’OEA (Organisation des Etats Américains), les principales forces politiques qui t’ont frappé, à présent te reconnaissent. »
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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