Brésil : Raisons d'un procès politique contre Bolsonaro
Par Pedro Serrano
Au Brésil, le procès politique fait pratiquement partie de la vie politique. Le premier président élu directement après la promulgation de la Constitution de 1988, Fernando Collor, a subi un procès politique qui a provoqué sa démission. Ceux qui lui ont succédé ont également été l'objet de demandes d'expulsion, y compris Fernando Henrique Cardoso et Dilma Rousseff destituée de façon anticonstitutionnelle par un criminel. Et Jair Bolsonaro? Y a-t-il des raisons pour qu'il soit soumis à un procès politique ?
Revenons en arrière de quelques siècles. L'idée du procès politique surgit en ces temps modernes avec l'idée des droits et de la Constitution. Les calvinistes français, les huguenots donnent plus de corps à la notion de droits et de Constitution. Les guerres de religion ont provoqué la persécution la mort et l'expulsion du pays des huguenots par les rois catholiques. En réponse, ilsont développé une nouvelle conception de la tyrannie, laïcisant la conception théologique de l'humanité de Paul de Tarse. A l'ère des droits, Norberto Bobbio met en avant cette notion que nous sommes tous les fils du même père, qu'il y a une condition minimale d'égalité valable pour tous. Et si nous sommes égaux, nous ne pouvons être lapropriété d'un autre, par conséquent, nous sommes également libres. L'égalité et la liberté sont, par conséquent, des droits de l'homme primaires.
Le force de l'idée des droits qui émanent de dieu (dignité, que nous sommes ses fils) est également présente quand les calvinistes disent que la tyrannie est la dégénérescence de la souveraineté, qu'elle survient quand les droits naturels ne sont pas respectés : égalité, liberté, propriété, expression des idées et conscience religieuse. C'est le germe de l'idée de l'Etat Constitutionnel et démocratique de droits et du constitutionnalisme, d'un pouvoir politique sujet à des droits.
Le contraire, c'est la tyrannie, qui donne au peuple le droit de résister. Cette idée se trouve dans Vindiciae Contra Tyrannos, une œuvre du XVIème siècle écrite sous le pseudonyme de Stephen Junius Brutus. Dans la conception huguenote, le droit de résistance est la possibilité pour les représentants du peuple qu'on appelle magistrats de destituer un tyran. Un embryon de procès politique qui nait en même temps que l'idée de Constitution et de droits et, par conséquent, est totalement intégrée à l'idée d'Etat constitutionnel et démocratique dans sa version présidentielle.
Presque 1 siècle plus tard, John Locke reprend cette construction. Dans 2 traités sur le gouvernement, en 1689, il introduit le droit à la résistance en utilsant la violence pour liquider un tyran. L'indépendance des Etats-Unis d'Amérique et la Révolution Française donnent une nouvelle signification au constitutionnalisme. Dans un premier temps, la Constitution en tant que modération de la démocratie et des avancées révolutionnaires. En France, le recensement a produit une démocratie à laquelle ne participaient que les hommes blancs ayant des revenus ou des propriétés. Aux Etats-Unis, la Constitution empêche des lois d'Etat en faveur des petits propriétaires et des débiteurs d'être promulguées. Avec la démocratie universelle, ce panorama a changé pendant les XIXème et XXème sicles mais en Europe, les Constitutions antérieures à la Seconde Guerre Mondiale sont encore au même niveau hiérarchique que les lois.
Le sens contemporain du constitutionnalisme change profondément après la Seconde Guerre Mondiale. Les Constitutions deviennent rigides, hiérarchiquement supérieures et traduisent ce que l'humanité a produit de plus civilisé. Elles donnent un pouvoir légal aux droits fondamentaux et aux valeurs idéologiques et politiques. Le concept même de démocratie se reconstruit : il n'existe pas seulement dans les décisions de la majorité adoptées par tout l'environnement social. Pour qu'il y ait une démocratie, il faut que les droits des minorités et les droits individuels soient respectés dans la coexistence sociale. C'est une tension constante entre la souveraineté populaire et la garantie des droits. Garantir les droits devient un mécanisme de prise de décisions, généralement le Pouvoir Judiciaire. L'accusation est sur cette liste de décisions contre la majorité mais provient du législatif contre les chefs de l'Exécutif. C'est un mécanisme de calibrage du système.
Ronald Dworkin, un célèbre philosophe du droit, écrivait dans les années 1990 que la demande de procès politique contre Bill Clinton était « une espèce de coup d’État. » Appeler coup d'Etat un procès politique anticonstitutionnel n'est pas une invention de la gauche brésilienne mais l'invention de ce grand juriste qui compare l'empêchement à l'utilisation d'une arme nucléaire dans une guerre.
Il a toujours défendu l'idée que le procès politique ne devait pas être banalisé. Il a été contre ceux qu'ont subi Collor, Fernando Henrique Cardoso, Lula et ce qui s'est passé dans le coup d'Etat contre Dilma. La Constitution de 1988 ne laisse aucun doute sur le caractère exceptionnel et d'urgence de cette procédure. Un délit de responsabilité uniquement quand il y a une attaque de la Constitution : « l'arme nucléaire » de Dworkin. La culture de l'empêchement nous a conduit à entendre qu'ils voteraient pour Bolsonaroet que « s'il ne gouvernait pas bien, on n'aurait qu'à la chasser comme on l'a fait pour Dilma. » Rien de pire.
La dimension juridique du procès politique est contraignante, c'est à dire qu'on ne peut pas en disposer : pour que le Parlement décrète l'empêchement, la Constitution doit avoir été attaquée. La dimension politique est que le Parlement peut décider de ne pas mettre en place un procès politique bien que Constitution ait été attaquée. C'est impensable quand il s'agit de délits de droit commun puisque le Pouvoir Judiciaire a l'obligation de les sanctionner. C'est la nature du délit de responsabilité : la décision politique du Parlement est libre en ce qui concerne l'application de la peine une fois que la légalité a été respectée. Le coup d'Etat, c'est le contraire : chasser un président sdans qu'il se soit livré à un délit de responsabilité.
Mais Bolsonaro devrait-il subir un procès politique ? A cause de sa conduite et de ce qu'il n'a pas fait pendant la pandémie, oui. Bolsonaro n'a pas fait ce qu'il devait en tant que président. Il aurait dû suivre les recommandations des scientifiques pour contenir la maladie au lieu de fomenter le mépris de la vie. Il aurait dû coordonner et planifier les politiques de santé, une fonction de l'Union, pour améliorer la gestion des lits de UCI, assurer l'isolement social, réaliser des tests massifs, faire des efforts dans la recherche d'un vaccin, assurer les soins d'urgence pour affronter cette période difficile...
Les actions et les omissions de Bolsonaro ont conduit ses propres concitoyens à la mort et ont causé des dégâts irréparables. C'est un crime de responsabilité. Laisser les gens, les éliminer. Bolsonaro a attaqué les droits et les principes constitutionnels les plus essentiels : le droit à la vie et à la santé. En termes juridiques, par conséquent, il y a des raisons de l'accuser. Dans le domaine politique, il revient au Parlement brésilien de dire qu'en ce moment, ne pas enquêter sur la conduite du président et ne pas reconnaître la flagrant délit de responsabilité permanent constitue une négligence grave.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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