Equateur : Un chemin plein d'inconnues vers les élections
Par Pablo Jofre Leal
Le peuple équatorien a rendez-vous avec les urnes le 7 février prochain. Il devra élire un nouveau président dans un cadre mondial et local affecté par la pandémie de COVID 19, un président, Lenin Moreno, avec 90% de désapprobation et une population dont, selon les données des instituts de sondages, 40% a décidé de ne pas voter.
A ces élections se présente un nombre record de candidats et elles sont considérées comme devant être les plus troublées depuis le retour à la démocratie en Equateur en 1979. Une situation qui découle de 3 problèmes fondamentaux et déjà résolus mais qui ont laissé les eaux politiques du pays très agitées : la participation éventuelle de l'ex-président Rafael Correa frappé d'une interdiction définitive, la possibilité que le binôme formé par Andrés Arauz Galarza et Carlos Rabascall du Mouvement Union Pour l'Espoir (UNES), soutenu par l'ex-président Correa, soit freiné légalement dans ses aspirations à y participer, à quoi s'ajoutent les accusations du candidat de l'alliance conservatrice d'extrême-droite CREO-PSC, le patron Guillermo Lasso, et enfin la décision du CNE de ne pas accorder de bulletins de vote au binôme du Mouvement Justice Sociale formé par le patron Álvaro Noboa et Gino Cornejo, une décision qui fait polémique et qui fait penser aux analystes politiques équatoriens que ce mouvement était le seul capable de s'opposer avec force au binôme Arauz-Rabascall.
Dans cette situation, les Etats-Unis, bien qu'ils aient leurs propres et énormes difficultés politiques internes, ont augmenté de façon substantielle les pressions sur les Etats d'Amérique Latine dont les dirigeants de l'aile progressiste ont essayé de construire une politique intérieure et étrangère plus souveraine et loin de l'influence négative de Washington. Lisez Cuba, Venezuela, Bolivie, Nicaragua entre autres pays soumis à des politiques de très fortes pressions par les Gouvernements étasuniens. Le régime étasunien dirigé par le président agonisant Donald Trump a donné aux autorités équatoriennes actuelles l'opportunité de concrétiser une alliance de bénéfice mutuel. Un Gouvernement présidé par Lenin Moreno qui a aidé à arrêter le fondateur de Wikileaks Julian Assange, à l'ambassade d'Equateur à Londres contre le blanchiment de Moreno dans ses délits financiers aussi bien sur le plan local que concernant les millions de $ que lui-même et ses prête-noms, membres de sa famille et associés, ont déposés dans des paradis fiscaux, ce qui confirme sa politique d'agir pour son propre bénéfice au détriment de l'Equateur.
La protection que Washington accorde à Moreno est la même que celle qu'il donne au candidat de droite Guillermo Lasso, patron de holding financiers parmi lesquels la Banque Guayaquil dont les principaux revenus sont investis dans des entreprises immobilières, fiduciaires et des entreprises off shore, ce qui lui permet d'éluder ses obligations fiscales et rend possible la libre extraction de capital. C'est le paradoxe des candidats comme ce banquier, qui font des discours tonitruants sur la défense de la Patrie dans un langage nationaliste et cherchent à protéger leurs finances hors des frontières de leur pays. Ces dépôts dans des paradis fiscaux auraient du servir, en eux-mêmes, à empêcher Lasso d'être candidat mais, en tant que candidat de Washington, il bénéficie de tout le blindage que les Etats-Unis accordent à ses inconditionnels et à ses serviteurs qui ne font pas la fine bouche.
Il est obscène que la présidence de l'Equateur soit disputée avec un Guillermo Lasso qui, en outre, est le fondateur de 49 entreprises Off Shore situées essentiellement aux Iles Caïman parmi lesquelles se détache le groupe d'entreprises Andean Investment dont le capital est passé d'1 000 000 de $ en 1999 à 31 000 000 de $ en 2001. Au Panamá, il possède des fonds déposés sous le nom d'entreprises comme Corporation Multibg, Banish Holding SA, Brotgers Investment Ltda.
En Floride, où les politiciens de droite qui fuient les Gouvernements progressistes et profitent des avantages financiers accordés par les Etats-Unis ont l'habitude de s'installer, Guillermo Lasso, sa sœur, ses fils, d'autres membres de sa famille et des prête-noms ont enregistré 29 entreprises sous le logo de “Nora” et “Malena” sur lesquelles 15 entreprises du groupe Nora : Investment LLC, Investment Dos LLC, Investment Doce LLC et certaines du groupe Malena : Uno LLC, US LLC. Ils ont un patrimoine immobilier qui dépasse les 23.000.000 de $.
Les accusations contre Lasso sont beaucoup plus graves que celles qui pèsent sur l'actuel président, le converti Lenin Moreno,propriétaire de comptes off shore également liés à une partie de sa famille comme son frère Edwin Moreno. Devant le procureur anti-corruption de Madrid, Lenín Moreno a été accusé par le député Ronny Aleaga, du parti Révolution Citoyenne de l'ex-président Rafael Correa, d'avoir commis « d'éventuels délits comme l'association de malfaiteurs, le blanchiment d'argent, subornation et enrichissement personnel. » La dénonciation d'Aleaga parle d'une relation entre l'ouverture d'une société dans le paradis fiscal dit de Belize sous le nom de l'entreprise off shore INA Invesment, en l'honneur des 3 filles du président Irina, Cristina et Karina, qui aurait provoqué un enrichissement illégal qui comprendrait un luxueux manoir à Alicante, Espagne. Tout cela effectué au nom de Lenin Moreno pour son frère Edwin Moreno Garcés, qui aurait agi en tant que prête-nom.
Très peu de certitudes
Le panorama, pour le 7 février, est encore très incertain avec une forte campagne contre le corréisme dans laquelle bien que Rafael Correa étant sous le coup d'une interdiction de se présenter, son influence se fait sentir comme celle d'Evo Morales en Bolivie, qui a en une influence significative sur le choix du candidat du MAS, son ex-ministre de l'Economie Luis Arce Catacora qui a gagné les élections contre les forces de la droite bolivienne avec un large écart.
Andrés Arauz a également été ministre de Rafael Correa et bien qu'il « soit encore peu connu dans la région, il est connu dans son pays où il a été ministre de Correa. En plus, il possède un bon bagage universitaire et fait actuellement un doctorat d'économie à la prestigieuse Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM). Blanc, enseignant, soupçonné d'aucun acte de corruption. » La personnalité de Correa déchaîne l'amour ou la haine sans aucun sentiment intermédiaire et ces jours-ci, le CNE lui-même a décidé qu'aucune des photos publicitaires de l'UNES ne devait comporter la photo de l'ex-président.
L'Equateur a d'énormes défis qui feront partie de la charge que devra porter le prochain Gouvernement après que le Gouvernement de Moreno ait échoué à leur trouver une solution ou à les combattre. C'est le cas de la lutte contre la pandémie de COVID 19 qui a provoqué une catastrophe sanitaire non seulement à cause du faible rôle de l'Etat dans cette lutte mais à cause de la pénurie de ventilateurs mécaniques, l'échec des politiques de contrôle de la pandémie, le manque de chambres dans les hôpitaux et laprise de mesures qui freinent beaucoup l'activité économique du pays. Arauz lui-même a été contaminé.
Le directeur de la plate-forme d'investigation Centre de Droits Economiques et Sociaux (CIDES) à Quito, Pablo José Iturrialde, indique une série de points qui définissent une campagne électorale sous tension à cause du coronavirus et des attaques contre le corréisme : « Je note 3 particularités politiques dans cette élection : la première est la déception générale face à la politique électorale. En effet, à 1 mois de l'élection, 40% à 50% des citoyens n'ont pas encore décidé pour qui ils allaient voter. Deuxièmement, les élections sont marquées par la proscription du mouvement Révolution citoyenne. Il y a une persécution judiciaire notoire et un blocus médiatique notoire contre le corréisme. Pire encore, tous les candidats ont attaqué avec persistance Andrés Arauz. Troisièmement, cette élection est marquée par l'explosion sociale d'octobre 2019 et, étant donné l'action de l'indigénisme lors de ce soulèvement, pour la première fois, le mouvement Pachakutik est une option électorale importante avec son président Yaku Pérez. On nepeut pas oublier non plus l'importance qu'a acquis Xavier Herbaz de la Gauche Démocratique. Les 2 groupes ont plus de similitudes que de différences mais ils ont l’habitude de ne pas s'unir à cause d'intérêts, de querelles personnelles et pas pour le bien du pays.
Le scénario politique équatorien, malgré les 16 binômes en lice, reste enfermé dans la vieille dispute entre le corréisme et son antithèse, c'est pourquoi une grande partie des candidats lancent leurs dards contre le binôme Arauz-Rabascall. Le défi du corréisme est de triompher au premier tour sous peine de voir un ballotage avec une opinion unie dans le cri de « tous contre le corréisme ! » En plus de triompher au premier tour, il faudrait qu'il triomphe avec un gros écart pour éviter que Lenin Moreno et les siens lancent l'accusation rebattue de « fraude » ou imputent cette victoire aux causes les plus diverses.
Et je parle d'une opposition unie bien que e mouvement indigéniste Pachakutik, qui semblerait être plus proche des positions du corréisme ait esquivé cette Unité. Iturralde en personne nous éclaire sur les raisons pour lesquelles l'union avec cette force qui permettrait d'envisager une victoire indiscutable n'a pas été obtenue : « L'union n'a pas été possible parce que, premièrement, pendant les 10 dernières années, le boom du confort a provoqué une exacerbation du modèle économique extractiviste auquel Correa a adhéré et qui a précipité les chocs et les conflits sociaux entre l'Etat et les mouvements sociaux. Mais deuxièmement, il y a une raison plus historique et plus profonde : le projet plurinational des peuples indigènes a une vision du pays différente de la vision nationale et populaire représentée aujourd'hui par le corréisme. L'indigénisme se présente non seulement comme anti-néolibéral mais aussi comme un projet anti-colonial. »
Malgré ce pessimisme, il existe certains indices qui montrent un certain rapprochement qui permet d'envisager une alliance stratégique. Pour le bien de l'Equateur et de l’Amérique du Sud, ce serait extrêmement important.
Les analystes du corréisme et ceux consultés pour écrire cette chronique disent que la position de la population indigène équatorienne (comme c'est arrivé sous le Gouvernement de Rafael Correa) pourrait commencer à s'améliorer à nouveau, qu'elle pourrait commencer à chercher des solutions efficaces et centrales à leurs problèmes sociaux ainsi qu'au problème de sa représentation politique au pouvoir, à celui des croyances, ce qui montre que la République de l'Equateur essaierait de revenir vers une stabilité et un développement progressif qui, sous le mandat de Lenin Moreno a été impossible, de faire avancer le pays, de le faire se lever de sa chaise, une incapacité qui, au-delà des difficultés motrices, a plongé le pays dans des problèmes moraux. Ce n'est pas en vain qu'on a convoqué pour le 28 janvier prochain une mobilisation nationale contre Moreno et son travail nocif pour le pays. Cette mobilisation comprend des protestations concernant les pensions et l'idée d’augmenter le nombre d'années pour pouvoir être à la retraite et s'opposer à une éventuelle privatisation des domaines stratégiques de l'Etat parmi lesquels le pétrole, la téléphonie, les mines et les compangies d'électricité.
Cédé par www.segundopaso.es
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On a rapporté dans divers médias, aussi bien en Equateur qu'à l'étranger que Guillermo Lasso (qui se présente pour la troisième fois à la présidence) ne pourrait pas participer aux élections à cause de ses liens avec des paradis fiscaux. Cette accusation a été rejetée par le Conseil National Electoral faute de preuves mais sans avoir fait une enquête approfondie. Pour sa part, Arauz, de l'Alliance UNES a été accusé d'avoir présenté une carte d'identité qui n'était pas la sienne et l'alliance a dû renoncer à Rafael Correa, sous le coup d'une interdiction de se présenter à des élections pendant 8 ans pour corruption.
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La candidature du sempiternel candidat Álvaro Noboa a créé une situation que les médias appellent « impasse juridique » qu a même donné l'impression que les bulletins de vote sans le nom de Noboa donnaient des doutes sur la légalité constitutionnelle du Conseil National Electoral (CNE) lui-même. 4 des 5 membres de ce Conseil ont été destitués par un juge du tribunal de contentieux électoral pour en pas avoir respecté une résolution qui permettait à un candidat de participer aux élections même s'il n'avait pas accompli toutes les démarches requises à temps comme c'était le cas de Noboa du mouvement Justice Sociale, ce qui a provoqué 2 mois de controverses qui ont jeté le doute sur la légitimité même des élections.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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