Brésil : Analyse du coup d'Etat contre Dilma, 5 ans plus tard
Par Pedro Rafael Vilela
Le processus qui a renversé Dilma Rousseff a déchaîné un effondrement des institutions et révélé la faiblesse de la démocratie au Brésil.
Les interprétations historiques, sociales et politiques de la destitution de l'ex-présidente brésilienne Dilma Rousseff qui a eu lieu en 2016 sont encore dans une étape d'élaboration critique.
Les historiens entendus par Brasil de Fato ont indiqué que le traumatisant départ du Parti des Travailleurs (PT) de la présidence de la République a débouché sur un effondrement des institutions qui a affecté la déjà fragile démocratie brésilienne.
« En pratique, ce qu'ont démontré ces années, ce n'est pas seulement que la méfiance envers la classe politique a augmenté mais que l'effondrement des institutions provoqué par la destitution s'est renforcé. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation où nos institutions dysfonctionnent totalement, » a dit l'historien Murilo Cleto, l'un des auteurs du livre « Pourquoi crions-nous au coup d'Etat ? Pour comprendre la destitution et la crise politique au Brésil. »
Cleto a ajouté que « la classe politique a mis en évidence le fait qu'elle était prête à tout pour que ses intérêts prévalent dans le jeu politique. Dans une démocratie, les chose sne fonctionnent pas ainsi. Je pense que cela renforce les autoritaires et les démagogues dans la mesure où ils se rendent compte qu'ils peuvent, tout le temps, mettre à l'épreuve les limites des institutions et ainsi les discréditer peu à peu. »
Pour Osvaldo Coggiola, Professeur d'Histoire Contemporaine à l'Université de São Paulo, bien que la procédure de destitution ne puisse pas être être répertoriée dans la catégorie classique de « coup d'Etat militaire, » la définition du coup d'Etat à l'époque contemporaine peut être plus large. C'est le cas de la destitution de Dilma car selon lui, on peut affirmer que les Forces Armées ont agi pour le rendre légitime. « Il y a eu une ingérence directe du pouvoir militaire dans le résultat de ce coup d'Etat aussi bien dans la destitution de Dilma que dans l'arrestation de Lula, » a-t-il dit.
L'objectif immédiat des organisateurs du coup d'Etat contre Dilma, a-t-il ajouté, était de chasser le Parti des Travailleurs de la tête de la coalition au gouvernement, de créer une toute autre sorte de coalition politique et d'empêcher la gauche de revenir au pouvoir.
« L'objectif social et, pourrions-nous dire historique, va bien au-delà. C'était de remplacer 15 ans de gouvernement de conciliation de classes par un ordre du jour politique néolibéral. Remplacer ce Gouvernement de conciliation de classes par un Gouvernement qui attauerait directement les conquêtes sociales des travailleurs et du peuple en général. Pas eulement cleles qui avaient été obtenues sous le gouvernement de Lula mais toutes celles qui avaient été accumulées au Brésil depuis qu'on avait légiféré sur une série de conquêtes comme le droit du travial. »
La victoire de Dilma et la réaction de la droite traditionnelle
Dilma Rousseff et son vice-président Michel Temer, ont été réélus au second tour en 2014, avec 51,64% des voix, la marge la plus juste dans une élection présidentielle au Brésil. Le pays vivait une situation d'insatisfaction sociale avec un relent réactionnaire qui s'est manifesté principalement après ce qu'on appelle les Journées de Juin 2013. Le candidat de droite vaincu, Aécio Neves, a commencé à remettre en question le résultat des élections et a même déposé une plainte devant le Tribunal Suprême Electoral pour éroder la légitimité de la présidente réélue et la lui enlever totalement.
La crise économique et les « bombes téléguidées1 »
La crise économique débute en 2008 au Brésil et commence à s'aggraver juste après la réélection de Dilma Rousseff, fin 2014, en prélude à ce qui deviendra une forte récession économique qui a des répercussions jusqu'à nos jours. Le chômage qui, à ce moment-là, tournait autour de 4%, a augmenté à 8% l'année suivante pour atteindre 13% en 2017. Le Produit Intérieur Brut (PIB) a subi des chutes consécutives, en 2015 et 2016 qui, en termes accumulés, ont atteint presque 7% de pertes.
Pour faire face au problème fiscal, Dilma a fait prendre un tournant à sa politique économique et a cherché à adopter un ajustement destiné à freiner les dépenses publiques, sous la responsabilité du banquier Joaquim Levy. Malgré cette tentative, le Gouvernement a affronté les représailles promises par Eduardo Cunha, alors président de la Chambre des Députés. Au lieu de conseiller l'ajustement, Cunha a conseillé ce qu'on a appelé les « bombes téléguidées », des projets de loi qui provoquaient une augmentation des dépenses publiques. Dans ce bras de fer, le Gouvernement s'affaiblissait de plus en plus.
Popularité et protestations
A partir de mars 2015, quelques mois à peine après la réélection, plusieurs protestations contre le Gouvernement fédéral ont réuni des centaines de milliers de personnes dans tout le pays pour demander, entre autres choses, la destitution ou la démission de la présidente. La combinaison de la crise et de l'instabilité politique a fait baisser la popularité de Dilma à seulement 9%.
Opération Lava-Jato, chantage et procès
Un élément important dans la construction du procès politique a été l'apparition de l'Opération Lava-Jato qui a débutée en 2014 et s'est intensifiée en 2015 avec des opérations à forte couverture médiatique et dirigées contre des membres du PT, d'autres partis et personnalités politiques parmi lesquelles Eduardo Cunha qui a commencé à menacer en coulisses d'accepter la demande de destitution de Dilma s'il n'avait pas le soutien du PT pour éviter son propre procès en cassation.
Quand le PT a décidé de nepas céder au chantage de Cunha, celui-ci a annoncé l'ouverture d'une procédure de destitution, le 2 décembre. L'un des principaux arguments était que Dilma aurait commis un délit de responsabilité en prenant des décrets budgétaires snas autorisation préalable du Congrès, une affaire connue sous le nom de « pédalages fiscaux. »
Les « pédalages fiscaux »
Pour Osvaldo Coggiola, les pédalages fiscaux n'ont été qu'une façon de qualifier un délit de responsabilité qui n'existait pas. « Si c'était pour ce qu'on appelle « pédalages fiscaux, » non seulement le président de la République mais tous les gouverneurs du Brésil devraient avoir été destitués parce que cela se pratique systématiquement, » a-t-il dit. En outre, d'autres présidents avaient aussi utilisé ce genre d'action.
La chute
Le 17 avril 2016, la chambre des Députés en session plénière a approuvé le rapport en faveur de la destitution de Dilma par 367 voix pour et 137 contre lors d'une session marquée dans la mémoire politique du pays par une succession de politiciens tenant des discours démagogiques en faveur de la famille et des valeurs chrétiennes. Bolsonaro a même rendu hommage au tortionnaire Carlos Alberto Brilhante Ustra qui a torturé des dizaines de prisonniers sous le régime militaire et même la présidente Dilma Rousseff.
La verdict de la Chambre a ensuite été envoyé au Sénat où s'est poursuivi le rite de procès politique qui conduit à la destitution de Dilma de la présidence. A ce moment-là, le vice-président Michel Temer a fait temporairement fonction de président.
Le 31 août 2016, par 61 voix pour et 20 contre, Dilma Rousseff a été définitivement destituée.
Autres acteurs
En 2015, la couverture des protestations qui demandaient la destitution de Dilma par diverses stations de radio et de télévision qui ont aussi appelé à la manifestation, a été essentielle. En plus du rôle actif des médias corporatifs, des acteurs et des organes du Pouvoir Judiciaire qui ensuite ont poursuivi l'Opération Lava-Jato dont on sait aujourd'hui qu'elle a été conduite de façon partiale et illégale y ont aussi participé et aggravé la crise politique et compromettant l'avenir du Brésil pour des années comme dans le cas de l'accusation de l'ex-président Luiz Inácio Lula da Silva.
traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
NOTE de la traductrice:
1Pauta bomba : projet de loi qui crée des dépenses et qui est contre l’ajustement budgétaire.
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