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Nicaragua : L'OEA, le rien sidéral

3 Juillet 2021, 17:13pm

Publié par Bolivar Infos

Par Fabrizio Casari

 

La motion qui, à la base, accuse le Nicaragua d'utiliser la justice à des fins politiques, est une grande hypocrisie. Pas seulement parce qu'elle ne prend pas en compte la moindre réalité des faits et impose une lecture totalement politisée des événements mais aussi parce qu'elle exige du Nicaragua ce qu'elle ne demande à aucun autre pays. Son absence d'intérêt pour l'enquête judiciaire en cours au Costa Rica dont la classe dirigeante compte parmi les plus corrompues du monde semble pour le moins bizarre.

 

Au Costa Rica, comme au Nicaragua, une enquête destinée à démanteler une opération criminelle de corruption et de blanchiment d'argent qui implique des personnalités politiques et le système financier est en cours. Exactement la même chose qu'au Nicaragua, sauf que le regard est fixé sur Managua alors qu'à San José, les yeux sont bandés.

 

Il est bizarre, alors, qu'à un moment de grands troubles sur tout le continent et d'au moins une urgence humanitaire, en Colombie, une urgence sanitaire au Brésil, l'OEA trouve le moyen de se réunir pour parler du Nicaragua. Bizarre, non ? La répression permanente qui, depuis 45 jours, ensanglante et emplit de douleur les rues de la Colombie est sans doute un problème, vue de Cali ou de Bogotá mais bien entendu, pas vue des bureaux de l'OEA à Washington.

 

Elections ? Le scrutin douteux et la dure répression qui a suivi l'attaque du Capitole n'avait pas suscité la moindre alarme à l'OEA peut-être parce que « l'exception » étasunienne implique de lire avec des lentilles sélectives, bonnes pour lire ce qui se passe à l'extérieur mais pas bonnes pour lire ce qui se passe à l'intérieur ? Répression ? En plus de la Colombie et de la tuerie chilienne, ni la féroce répression de plusieurs mois au Panamá et au Costa Rica n'ont mérité que cette institution s'y intéresse. Encore moins, évidemment, la tentative de coup d'Etat au Pérou auquel participe même l'OEA à travers son honteux secrétaire général Almagro qui dirige la bande de traîtres qui a fait carrière dans les rangs de gauche mais c'est enrichie dans ceux de droite.

 

Comme preuve de l'importance que l'OEA accorde au respect des droits de l'Homme et au fait de s'opposer à tous les abus de pouvoir, la résolution qu'elle a approuvée contre le Nicaragua a obtenu les voix du Honduras, un narco-Etat dans lequel le président et son frère sont l'objet d'une enquête pour trafic de drogues, celle de la Colombie, dont le président, Iván Duque, partage avec son mentor Álvaro Uribe une accusation de crimes contre l'humanité, du Chili, dont le président, Sebastián Piñera, est accusé des mêmes crimes par les juristes internationaux et de l'Uruguay qui approuve à nouveau des lois similaires à celles en vigueur sous la dictature militaire, du Brésil, dont le président, Jair Bolsonaro, a réussi en quelques années à rendre son pays synonyme de honte pour le monde entier. Le Gouvernement du Pérou, déjà sur le départ, a aussi voté ainsi que le représentant de Guaidò, que l'OEA fait passer honteusement pour le représentant du Venezuela qui a quitté l'OEA a également voté ce texte. Un excellent symbole de l'attention rigoureuse que l'OEA accorde au respect de la démocratie... Une résolution dans laquelle on demande des élections transparentes a été signée par quelqu'un qui représente illégalement le pays. Quelqu'un qui n'a jamais été élu et pour qui personne n'a jamais voté. Un très bon exemple du modèle de démocratie qu'Almagro a en tête.

 

Guaido, associé à des trafiquants de drogues colombiens amis d' Uribe, est un comédien ridicule élu président par un twitt de Mike Pence, ex vice-président des Etats-Unis. Il ne représente pas le Venezuela parce qu'il n'a jamais été élu par personne et n'a aucune influence dans le pays. N'importe quel fonctionnaire du Gouvernement a plis d'autorité que Guaidó, qui à présent, a le même destin que les chiens de l'église en Amérique Latine: personne ne les chasse pais personne ne les reçoit. Sauf l'OEA.

 

A ce vote, l'abstention du Mexique et de l' Argentine a été une surprise. Une grave erreur politique parce qu'indépendamment des interprétations qui en ont été faites, considérer que l'OEA a la capacité de donner des licences de légalité aux processus internes de lutte contre le crime organisé ou à l'application d'une législation est une grave erreur parce que cela crée un précédent d'ingérence manoeuvrée qui court le risque de se répercuter dans l'avenir sur les villes même de Mexico et de Buenos Aires. 

 

Une institution ridicule

 

Le « ministère des colonies des Etats-Unis, » comme l'appelait le Commandant Fidel Castro, a été et est toujours aujourd'hui une parfaite définition de cette organisation. En effet, depuis sa fondation, l'OEA s'est révélée être une institution engagée dans le soutien au système de contrôle étasunien sur le continent. En fait, il n'y aucune agression militaire étasunienne, directe ou indirecte, contre l'Amérique Latine que l'OEA n'ait pas soutenue en s'engageant même à donner une sorte d'aval politico-juridique continental. Plus qu'un organisme continental, l'OEA continue à être le bureau de presse, le comité de défense et le fonds politique de la domination politique et militaire des Etats-Unis sur toute l'Amérique.

 

Mais c'est avec l'arrivée d'Almagro que l'OEA est devenue un agent direct des Etats-Unis, l'un des principaux acteurs de la déstabilisation et du putschisme qui a toujours été le vrai visage de la présence nord-américaine en Amérique Latine.

 

La croisade contre le Venezuela lors de laquelle Almagro a dit qu'on ne pouvait pas écarter l'option d'une intervention militaire, est un bon exemple de son action. La gestion du dossier vénézuélien en connivence avec Washington et l'extrême-droite vénézuélienne assistée sur le terrain par le narco-Etat colombien, a subi continuellement des échecs. 

 

L'intervention directe de l'OEA dans le coup d'Etat en Bolivie qui a arraché à Evo Morales sa légitime victoire pour remettre le gouvernement du pays à l'imprésentable Anez a été un exemple de son nouveau rôle. 

 

Almagro et le Nicaragua 

 

Dans le cas du Nicaragua, son rôle de contrepoids politique au Gouvernement s'est manifesté progressivement avec le calendrier de ses actions extérieures qui porte la marque des Etats-Unis. Bien qu'au début, lors de sa visite dans le pays en 2018, il ait affaibli directement la campagne de mensonges du putschisme en polémiquant avec avec certains de ses dirigeants (en particulier avec Carlos Fernando Chamorro, le chef du journalisme vendu), Almagro s'est rapidement placé par la suite dans la case que les Etats-Unis lui avaient assignée, c'est à dire, du soutien au coup d'Etat.

 

L'identification de l'OEA avec le coup d'Etat s'est faite par étapes : la première a été la reconnaissance des putschistes en tant qu'interlocuteurs politiques qui s'est faite à travers de nombreuses réunions aves les putschistes, avec photos et accolades d'Almagro avec les putschistes qui sont allés en procession à Washington pour rencontrer des fonctionnaires et des membres de l'Exécutif pour demander des sanctions et des châtiments pour leur pays. Le fait que le secrétaire général de l'OEA ait rencontré des putschistes en peut être interprété comme une manifestation de politesse : le rôle d'Almagro aurait été de refuser ces réunions puisque les institutions et le Gouvernement du pays sont les interlocuteurs et les contacts de l'OEA, pas l'opposition, encore moins quand elle est putschiste.

 

Ces photos ont transformé l'OEA, un organisme multilatéral dont le Gouvernement du Nicaragua est membre, en ennemi politique. Cette image avait un but précis : donner l'aval politique au coup d'Etat et, par contre, refuser de soutenir le Gouvernement nicaraguayen dans ses réformes législatives, planifiées précisément pour la période électorale et conçues dans ses aspects techniques avec l'OEA elle-même. Une trahison envers la loyauté interne de l'organisation et son propre rôle de garant de l'ordre constitutionnel intérieur de chaque pays, conformément précisément, aux statuts fondateurs de l'OEA. Plus encore quand l'action de l'organisme est liée à la défense de la constitutionnalité de chaque pays.

 

Les mois passant, la position d'Almagro s'est radicalisée. Il n'a cessé de proposer de parler du Nicaragua à l'OEA alors qu'il n'y avait aucune raison de le faire : c'était une façon de faire pression sur Managua, une menace latente pour pouvoir appliquer la Charte Démocratique, une action avec laquelle il n'y avait pas assez de pays d'accord.

 

Le fait que la résolution contre le Nicaragua soit un grave problème pour Managua reste à voir. A bien y regarder, celle qui sort discréditée de la confrontation, c'est l'OEA qui a raté le dernier train en direction d'une réhabilitation de son image à présent totalement dépourvue de prestige et de crédibilité.

 

Le Nicaragua n'est pas seul et ne se sent pas seul

 

De nombreuses choses confirment la distance entre l'autorité dont se targue elle-même l'OEA et l'autorité de l'ONU. Les dernières sont très récentes et se sont produites à quelques heures d'écart. En effet, alors que l'OEA condamnait le Nicaragua pour avoir pris la liberté d'appliquer son propre code pénal et son propre code civil, les Nations Unies, qui représentent vraiment la communauté internationale, ont rejeté par 134 voix contre et 59 voix pour une motion condamnant le Nicaragua. Présentée par les Etats-Unis et l’Union Européenne, la motion a été un boomerang numérique et politique.

 

Numérique parce que si on ajoute les 28 pays de l’Union Européenne, les 24 de l'OEA qui, quelques heures auparavant, avaient signé un document identique, l'Australie, la Nouvelle Zélande et le Royaume Uni qui sont des territoires d'outre-mer des Etats-Unis, Israël et la bande criminelle du Golfe Persique, pratiquement personne au monde n'est prêt à croire à la bonne foi de l'Empire.

 

Du point de vue politique, la défaite des Etats-Unis et de l’Union Européenne est encore plus dure car elle confirme l'opinion de la communauté internationale sur leurs politiques impériales et leur nostalgie néocoloniale hors du temps. L'ONU identifie, reconnaît et rejette le modèle impérial, la politique d'oppression exercée par tous les moyens, la déstabilisation permanente mise en place contre les pays qui n'obéissent pas à ses désirs dévorants, la vulgaire et stupide tentative pour présenter comme un désir de liberté la destruction de la liberté du Nicaragua. Ce sont des textes et des contextes qu'on voit dans tous les coins de la planète et qui représentent tout à fait la politique impériale et coloniale d'un système qui se reconnaît dans la domination absolue des pays qui ne font pas partie du tableau atlantique et dans l'absence de tolérance envers toute forme de gouvernement souverain et indépendant qui se rapproche du socialisme. Ce vote a été l'expression de tout ce que la planète ne peut supporter et les angoisses dominantes d'un pays convaincu qu'il peut plier à ses caprices tout et tout le monde.

 

Vers novembre 2021

 

Il n'y a aucun doute sur le fait que les Etats-Unis vont mettre en place de nouvelles sanctions, plus sévères, contre le Nicaragua. Le plan RAIN, élaboré en 2019, ils l'avaient prévu et annoncé et la loi Renacer sera le sceau final de la nouvelle lâcheté de l'Empire. Mais penser que ces mesures sont une réponse à l'enquête qui met en lumière le rôle criminel du coup d'Etat et l'ingérence des Etats-Unis dans l'organisation de la déstabilisation serait une énorme erreur.

 

Les mesures punitives contre le Nicaragua comme celles adoptées contre le Venezuela et Cuba ne répondent pas à une mécanique action/réaction concernant des événements politiques internes ou externes. Au contraire, elles sont un instrument que Washington utilise quand il se rend compte que le niveau de consensus dont jouissent les Gouvernements des pays qui lui sont hostiles ne peut être réduit par le vote, c'est à dire quand leurs mercenaires locaux ne sont pas crédibles pour un retournement du cadre politique par des élections. Les sanctions deviennent, alors, une arme – avec les tentatives de coup d'Etat et le financement de l'opposition - destinée à faire diminuer l'opinion favorable de la population envers son Gouvernement. Il s'agit maintenant de savoir quelles et combien de mesures décidera de prendre Managua pour prouver à Washington que le chantage, les menaces et les sanctions unilatérales ont un coût, direct ou indirect, même pour ceux qui les exercent et pour leurs cinquièmes colonnes.

 

Le Nicaragua a expulsé les « marins » et les contras de son territoire, il a nettoyé les rues des matons payés par l'oligarchie des grands propriétaires terriens et on l'oblige à accepter que le délit politique soit légal : que maintenant, il doive craindre l'opinion de l'OEA semble franchement difficile à imaginer. L'OEA ne reconnaît pas la légitimité de la loi électorale nicaraguayenne ? Le Nicaragua ne reconnaît pas le rôle d'arbitre et de superviseur du processus électoral de l'OEA. Et avec de nombreuses bonnes raisons, dont la première est son penchant pour la fraude électorale quand il s'agit de favoriser la droite et la seconde son hostilité politique préconçue et affirmée contre le Gouvernement de Managua. Cela ôte toute valeur objective et subjective à l’organisme car il manque d'objectivité de jugement et d'impartialité, de la bonne distance envers les mécanismes électoraux et les sympathies politiques. Il ne reconnaît pas la valeur absolue de la légitimité juridique des processus électoraux qui est la base fondamentale de toute observation. Comment peut-on observer uen élection qu'on ne reconnaît pas ?

 

Le Nicaragua ira aux urnes malgré les objections de l'OEA et à ces élections, ne participeront ni l'organisation dirigée par Almagro ni  les Etats-Unis ni l’Union Européenne qui, du lundi au vendredi, imposent des sanctions et menacent et ensuite, en fin de semaine, s'érigent en arbitres neutres avec un verdict fixé d'avance.Somme toute, il n'y a pas d'observateurs nicaraguayens ni européens aux élections étasuniennes bien qu'elles aient été très controversées, alors, quel est le problème s'il n'y pas d'observateurs étasuniens ni européens aux élections nicaraguayennes ? L'absence de l'OEA, en particulier en Amérique Latine, marquera la fin de son rôle d'arbitre et de superviseur. L'OEA protestera-t-elle ? Patience, il y a desproblèmes plus graves dans le monde.

 

Le 7 novembre, les électeurs nicaraguayens se rendront aux urnes et mettront feront leur choix après avoir vécu14 ans de gouvernement sandiniste, ses rêves et ses espoirs. Quand les bureaux de vote fermeront, le panorama qui se présentera sera le suivant : Sandino se promènera dans toutes les rues du Nicaragua pendant qu' Almagro ne pourra que faire les cent pas surle tapis de son bureau, à Washington.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2021/06/29/nicaragua-oea-la-nada-cosmica/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2021/07/nicaragua-l-oea-le-rien-sideral.html