Pérou : Castillo obtient la confiance et gagne le premier round
par Yair Cybel
A peine 1 mois après être arrivé à la présidence après un ballottage et une reconnaissance tardive de l’opposition, le Gouvernement de Pedro Castillo a affronté hier son premier round en tant que parti au pouvoir consacré.
Le cas du Pérou est un cas d’école pour le constitutionnalisme international : un système hérité de la constitution fujimoriste de 1993 qui oscille dans une zone grise intriquée entre le présidentialisme et le parlementarisme.
Dans cet amalgame complexe de pouvoir s’insère la « question de confiance », un recours auquel le président doit soumettre son cabinet pour avoir l’approbation du Congrès. Cette validation du Parlement demande une majorité simple, c’est-à-dire la moitié des voix plus une, que les voix en faveur dépassent les voix contre plus les abstention. Ainsi, si la confiance est accordée, le président valide le cabinet proposé mais si la confiance est refusée, le ministre doit être démis de ses fonctions et doit démissionner. Mais la réalité est un peu plus compliquée : si le Congrès refuse la confiance au cabinet lors de deux sessions consécutives, l’Exécutif a le pouvoir de dissoudre le Parlement et de convoquer de nouvelles élections.
Cette lutte de pouvoir n’est pas nouvelle : il y a déjà eu des précédents sous les gouvernements de PPK et de Martin Vizcarra qui s’est achevé par l’élection d’un Parlement extraordinaire en 2020 pour une période d’un an. Mais maintenant, avec Pedro Castillo à la présidence et une opposition de plus en plus hostile et radicalisée, la confiance dans le cabinet est redevenue un axe central pour analyser l’affrontement entre les pouvoirs de l’État et configurer l’avenir du Pérou.
Vendredi, après une journée de plus de 24 heures, par 73 voix pour et 50 contre, Pedro Castillo a réussi à ce que le Congrès péruvien accorde sa confiance à son cabinet et au président de son Conseil des Ministres.
Mais les lutte pour le cabinet présidentiel ont commencé bien avant avec la nomination d’Hector Béjar comme chancelier de la République. Docteur en sociologie, avocat, écrivain, artiste plastique et professeur d’université, Béjar est une référence historique de la gauche péruvienne. Il a reçu une formation politique à Cuba où il a connu Fidel Castro et Ernesto Guevara, Il a été arrêté pour son action politique dans la guérilla et amnistié en 1970 par le gouvernement du Général Juan Velasco Alvarado. Une fois en liberté, il a intégré le projet de réforme agraire mis en place par Velasco en coordonnant le Système National de Soutien à la Mobilisation Sociale (SINAMOS), un des outils de mobilisation populaire de défense des conquêtes sociales acquises pendant cette période.
Béjar est resté un peu plus de deux semaines à la tête de la chancellerie : il a été remplacé après avoir déclaré que la Marine avait été l’institution qui avait introduit le terrorisme au Pérou et que certains de ses officiers avaient été formés par la CIA. La pression des députés d’opposition ajoutée au rejet public de la force armée ont forcé Béjart à démissionner de sa charge et ouvert une nouvelle brèche à l’intérieur de la coalition du Gouvernement. C'est Óscar Maúrtua, un diplomate de carrière et un ancien chancelier modéré qui a été choisi pour occuper sa charge.
La nomination de Maúrtua exprime certaines des contradictions du Gouvernement, surtout entre le patron du parti Pérou Libre, l'ancien gouverneur de Junín, Vladimir Cerrón, et le président en fonction, Pedro Castillo. Maúrtua a un profil plus modéré er partage avec Castillo sa proximité avec le Gouvernement d'Alejandro Toledo, dont Maúrtua a été chancelier et dont la parti, Pérou Posible, a présenté pour la première fois Castillo comme candidat.
« Le nouveau chancelier, Oscar Maúrtua De Romaña, ne représente pas le sentiment de Pérou Libre. Notre parti est une entité souveraine et d'intégration, il parie sur une Amérique Latine unie et indépendante et rejette toute politique d'ingérence ou toute politique servile, » a écrit Cerrón sur son compte Twitter après la nomination du nouveau ministre.
La tension entre le chef du parti et le président a augmenté à l’occasion du vote de confiance. Tout d’abord, Castillo avait menacé de faire des changements dans le cabinet avant le vote pour essayer d’éviter la confrontation avec le Congrès et de présenter une équipe plus dialoguiste. Enfin, le point de vue de Cerron qui considérait qu’il était important de soutenir ses ministres et, en tout cas, de renforcer l’image d’un pouvoir législatif faisant obstruction, s’est imposé. Le dernier sondage de l’Institut d’Etudes Péruvien réalisé entre le lundi 16 et le jeudi 19 août indique que 56 % des personnes interrogées considèrent que le Parlement doit soutenir les ministres proposés au moment du vote de confiance.
Ce vote exprime aussi la construction d’alliances parlementaires que Pérou Libre a pu construire jusqu’à présent. Au 37 sièges de Pérou libre et aux 5 de Juntos por el Pérou, Se sont ajoutés le groupe de Centre droite de Nous Sommes le Pérou , le groupe de centre-gauche Action Populaire et certains membres de Podemos Pérou. Ainsi le Gouvernement a obtenu 73 voix, un nombre suffisant pour soutenir le cabinet. D’autres part Avance Pays, la Rénovation Nationale et le Fujimorisme ont précisé dès le premier instant qu’il n’accompagneraient pas l’équipe de gouvernement proposée par Castillo. À ceux qui ont voté contre s’ajoute le parti Morado, libéral, qui a déclaré qu’il ne soutiendrait pas la proposition puisqu’elle ne faisait aucune référence au droit de la population LGBTI+. Ils ont réuni 50 voix.
L’approbation du cabinet jette un halo d’espoir sur la relation entre l’Exécutif et le Législatif, surtout si on considère l’application d’une autre motion qui rend encore plus complexe le scénario péruvien : la vacance . Ce recours peut entrer en vigueur par la mort du président, son incapacité morale ou physique, par sa démission devant le Congrès ou par sa destitution. Pour approuver la destitution pour incapacité morale (celle qui a été utilisée contre Vizcarra) il faut les deux tiers des voix des députés, un nombre que, pour l’instant, l’opposition est loin d’atteindre.
Guido Bellido est au centre de tous les regards. Président du Conseil des Ministres (PCM), militant de Pérou Libre et homme fort de Cerrón, Bellido a été la cible des critiques de l'opposition aussi bien à cause de ce qui gravite autour de sa charge que de ses positions propres : ses positions homophobes lui ont causé des ennuis avec le ministre de l'Economie Pedro Francke avant sa nomination.
Bellido a été chargé de s’adresser au Congrès pour demander le vote de confiance : il a commencé son discours devant la Chambre en parlant en quechua et en revendiquant la plurinationalité du Pérou. Avec un message conciliateur, en évitant l’affrontement avec le Parlement, il a insisté sur le respect des libertés d’expression et c’est écarté des accusations de terrorisme. Ensuite, il a explosé les principales propositions de son Gouvernement : renforcer l’entreprise d'Etat PetroPérou, mettre en œuvre de grands travaux publics dans le domaine des transports, encourager la vaccination et avancer dans des améliorations concrètes pour les secteurs paysans. Mais on n'a pas pu oublier qu’il y avait un grand éléphant dans la salle : la Constituante, la principale promesse de Castillo pendant sa campagne, dont Bellido n’a pas dit un seul mot dans son discours.
La Constituante n’est pas allée au Congrès. Bellido, Cerron et Castillo s'étaient mis d’accord sur le fait que ce n’était pas le moment de mettre sur le tapis l’un des problèmes les plus importants qui se pose au pays. Cette décision laisse voir certains indices et certaines définitions : l’idée initiale de Castillo de chercher à modifier la Constitution avec le consentement du Congrès semblait très loin face a l’hostilité du Congrès et l’idée du référendum et de la consultation populaire pourrait reprendre de la vigueur.
Mais la situation conflictuelle au Pérou dépasse les corridors des Parlements. Mardi, a été publié un décret qui durcit les conditions de détention des détenus de forte dangerosité, ce qui a provoqué le transfert de Vladimiro Montesinos à la prison d’Ancon II et on espère que l’ex-président Alberto Fujimori subisse le même sort. Tous deux avaient de notoires privilèges dans leurs conditions d’incarcération. Montesinos a été accusé de coordonner depuis sa cellule de prison le paiement de pots-de-vin à des membres du Jury National Electoral pour qu’il favorise Keiko Fujimori. « Les prisons dorées, c’est fini, avec ce Gouvernement, » a écrit Vladimir Cerron sur Twitter.
En conclusion, la confiance est une première victoire de l’alliance de gouvernement. Castillo a construit des accords parlementaires, validé son équipe de Gouvernement et démontré qu’il peut dépasser des limites de sa propre représentation. La non viabilité d’un système comme le système péruvien dans lequel la somme de petites minorités législatives peut invalider la volonté populaire des grandes majorités reste latente.
Il n’y a qu’une solution, pour cette architecture très complexe des institutions: la Constituante. Castillo a démontré qu’il peut construire des majorités dans un jeu digne du populisme laclausien: il a édifié une chaîne d’équivalence et un antagonisme clair pour gagner la confiance du Parlement. Maintenant il reste à voir s’il peut soutenir cette majorité de circonstance tout en décidant comment stimuler la Constituante, avec un Congrès qui fait obstruction et la menace latente « d’humalisation » de son Gouvernement. Pour l’instant, il va y avoir une nouvelle étape complexe avec l’approbation du budget. Mais ceci est une autre histoire.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos
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