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Venezuela : Au Venezuela, nous dormons avec l’ennemi

18 Décembre 2021, 19:14pm

Publié par Bolivar Infos

Interview d’ Isaías Rodríguez par José Roberto Duque

Quand Chávez arrive au pouvoir, la première chose qu’il envisage, c’est précisément le paiement de cette dette sociale au peuple vénézuélien. Ce peuple a toujours été un peuple abandonné, en particulier par les Gouvernements dictatoriaux et par les Gouvernements qui es ont remplacés et que nous avons appelés Quatrième République. Quand Chávez arrive au pouvoir, il envisage une chose : l’inclusion. Inclure signifiait qu’il y avait beaucoup de gens dans le pays jusqu’auxquels la justice n’arrivait pas, ni la justice sociale. Certains n’apparaissaient même pas dans les statistiques. Cela va être son champ d’action. Chávez a travaillé avec enthousiasme, avec succès. A un moment, nous sommes devenus une référence pour le monde en matière d’éducation, de santé, de logement. Même dans le rétablissement des salaires, dans le domaine de l’emploi. Nous sommes devenus une image semblable à cet idéal qu’on appelle « nouvelle société. » Et c’était ce que nous souhaitions, que face au capitalisme, il y ait une société alternative, qu’il y ait un Etat social satisfaisant. « Le plus de bonheur possible, » comme a dit Bolívar à Angostura.

 

- Cette perception a-t-elle changé ? L’enthousiasme at-t-il diminué ?

 

Je pense que le nombre de gens a baissé mais l’enthousiasme reste dans un secteur qu’on appelle « le vote dur » mais je pense que ce n’est pas la bonne expression, je préfère l’appeler « vote conscient. » Il y a beaucoup de gens conscients qui savent que ceci est l’alternative et qui ne vont pas y renoncer. Il est possible que certains n’aient pas confiance en certains dirigeants du processus mais j’ai recueilli les impressions de beaucoup d’entre eux et tous sont prêts à reprendre le fusil.

 

Ça a été une tâche difficile. Chávez a obtenu quelque chose de très important en politique : la confiance. Le peuple avait confiance en Chávez et en son gouvernement.

 

Cette confiance a produit une certaine sécurité : enfin, nous avons quelqu’un avec qui construire et discuter, quelqu’un qui nous écoute. Ce début de Chávez a provoqué des attentes qui ne sont pas seulement vénézuéliennes. Le Venezuela est une référence d’un processus social complexe avec les Etats-Unis qui cherchent toujours à l’arrêter. C’est un pays qui ne se rend pas, un pays qui lutte, un pays dans lequel la femme s’est intégrée au point d’être un bastion de ce processus. Cette image, nous l’avons encore à l’étranger (je viens de vivre 10 ans en Europe) malgré les erreurs que nous avons commises et toujours cette pression des Etats-Unis et de l’Europe même quand, dans le Gouvernement, certains individus ne sont pas aussi engagés que nous le souhaiterions. Malgré tout cela, nous continuons à être une référence. Les gens conscients du monde entier disent : « Nous voulons ressembler au Venezuela. » Le monde pensant croit dans le Venezuela.  Et au Venezuela, cette perception n’a pas changée.

 

- A propos de votre lettre sur les élections à Barinas : vous mettez en avant las capacités de Nicolás Maduro en tant qu’homme d’État. Que pensez-vous des capacités du président dans l’aven ir ?

 

Le président Maduro a pris plus d’importance que n’importe lequel de ses amis ou de ses amis n’aurait pu l’imaginer. Le travail quotidien, la lutte quotidienne, son engagement et sa formation politique lui ont fait prendre une immense importance. J’ai fait une comparaison avec les hommes d’État d’Europe et d’Amérique Latine et j’en ai trouvé très peu de la stature de Nicolás. Eventuellement le président du Mexique, celui de la Bolivie, même le président Canel mais non. Il est plus facile de diriger Cuba que de diriger le Venezuela : nous, nous dormons avec l’ennemi, pas à Cuba. Là-bas, ils savent qui ils sont et combien ils sont, ici, nous ne le savons pas.

 

Mon message et ce que j’ai recommandé au président Maduro était de ne pas être si confiant. J’ai reconnu son importance et sa formation d’homme d’État mais je lui ai dit d’essayer de bien situer ses cadres. Je le dis parce que l’une des caractéristiques que nous avons, nous, les llaneros, c’est d’être méfiants pais quand nous faisons confiance, nous nous livrons totalement.

 

- Au Venezuela, nous avons l’habitude d’appeler « fascistes » tous nos adversaires. Vous connaissez l’Italie parce que vous y avez vécu et à cause de votre formation et de vos lectures. Quand est-il correct, juste ou incorrect d’appeler l’adversaire « fasciste » ?

 

(…)

 

- En Amérique Latine, nous utilisons le mot « fascisme » pour dire « stupide. » Au lieu de dire que quelqu’un est politiquement stupide, nous le traitons de « fasciste. » Je ne pense pas qu’il y ait du fascisme au Venezuela. Il y a ici des groupes et des individus qui sont des traîtres envers la Patrie mais les manifestations manifestement fascistes de 2017 : la prise des rues, les agressions de personnes, ont été limitées, réduites à des actions dans quelques rues. Au Chile et en Argentine, nous pourrions parler de « fascisme » mais ici, ce qu’il y a, c’est quelques fous qui du point de vue théorique n’ont même pas idée de ce qu’ils font. On les appelle au téléphone pour qu’ils fassent quelque chose et ils ne cherchent même pas à savoir si ce qu’ils vont faire a un sens ou non. En Europe, on nous critique beaucoup pour cela, on dit qu’ici on utilise mal le mot « fascisme. »

 

Ma stratégie et la tactique

 

- Nous savons que vous avez dit quelques mots à la présentation du livre sur la disparition de Carlos Lanz. Pouvez-vous nous résumer ce que vous pensez de cette affaire?

 

Cette affaire me semble très complexe, la plus difficile qu’ait connu notre processus pendant ces 20 dernières années. Sans sous-estimer l’affaire Alcedo Mora, celle de la journaliste Kalinina Ortega. Cette affaire est symbolique. Carlos Lanz n’est pas n’importe qui, c’est un constructeur de la Révolution avant Chávez, qui a rejoint Chávez et ensuite Maduro. C’était un homme qui disait et qui faisait. Jamais il n’a fait un faux pas du point de vue politique. Carlos Lanz n’est pas seulement un dirigeant vénézuélien, il a eu un impact sur toute l’Amérique Latine, sa pensée s’est répandue de toute part. Il est incompréhensible que dans notre processus révolutionnaire une affaire comme celle de la disparition de Carlos Lanz se déroule sournoisement. Au début, on s’est dit que les Colombiens l’avaient enlevé, après, on s’est dit que c’était la CIA.

 

Aucune de ces hypothèses n’est sûre, aucune des 2 n’a été prouvée. Les gens de ce pays qui semblent souvent se laisser tromper mais savent ce qui se passe en réalité, comprennent qu’avec Carlos, il s’est produit quelque chose de très grave que l’État veut occulter. Je ne dis pas le Gouvernement mais l’État. Pour quelles raisons ? Je ne sais pas. Le fait que l’État veuille occulter une information parce qu’il veut protéger des gens de l’État même, probablement de haut rang, m’inquiète. Je ne pense pas à des ministres mais à des fonctionnaires qui contrôlent la sécurité de l’État. La lutte pour Carlos Lanz, il faut la livrer.

 

Nous avons besoin de savoir ce qui s’est passé avec Carlos Lanz, c’est important pour le pays. Cette affaire affecte ou affaiblit quelque chose d’aussi important que la crédibilité, c’est pire que l’affaiblissement de l’économie. Il n’y a pas de moyen terme en cela. Cette absence de crédibilité a même u une influence sur les élections. L’opposition dans son ensemble a obtenu 500 000 voix de plus que nous. Elle s’est divisée et par conséquent elle a perdu des postes de gouverneur mais ce résultat est en rapport avec l’absence de crédibilité.

 

Cela m’inquiète parce que je crois dans le président Maduro, pour de nombreuses raisons, en particulier parce que je le connais depuis qu’il a 14 ou 15 ans. Je sais qui il est, je connais sa sensibilité, sa capacité à lutter pour la justice, ne connais son engagement politique. Mais, évidemment, il n’a pas tout le pouvoir, ce que beaucoup de gens pensent à tort, et au moment de prendre des décisions, il doit consulter ses conseillers, négocier en fonction de facteurs intérieurs et parfois extérieurs. Et il n’est pas dans la même situation que Chávez. Chávez était le sommet d’une pyramide. Maduro fait partie d’une pyramide mais n’en est pas le sommet. Le président peut parfois prendre pour prendre une décision doit négocier avec des gens qui n’ont pas son niveau ni son dévouement ni son expérience ni sa bonne foi. C’est 3 ou 4 fois plsu difficile que pour Chávez. L’empire a cru que Chávez mort, ce serait du gâteau de s’approprier le pays sans lui mais Maduro a démontré que lui aussi, il est une personnalité importante. La différence entre Chávez et Maduro (une fois un groupe d’étudiants m’a posé cette question difficile), c’est que Chávez était un stratège et que Maduro est un tacticien. Maduro raccommode, gère des situations, résout les problèmes qu’il affronte, Chávez regardait 100 ans plus loin et trouvait des solutions.

 

- Beaucoup disent qu’il existe un « madurisme » et un « anti-madurisme » mais ce secteur que vous avez appelé au début « secteur du vote conscient, » nous, les révolutionnaires, savons que cela n’existe pas, que c’est une question de marketing politique : ou nous sommes chavistes ou nous ne le sommes pas. Que devons-nous faire, nous, les révolutionnaires, dans une telle situation ?

 

Nous devons être loyaux. A loyauté est essentielle. Mais il faut distinguer la loyauté de l’inconditionnalité. Quanbd on est loyal envers un ami, on lui dit la vérité. On ne lui dit pas ce qu’il a envie d’entendre, au risque que ce qu’i entend ne lui fasse pas plaisir. Il y a des gens qui sont loyaux et ont peur de dire les choses parce qu’ils font attention à leur poste ou à leurs perspectives : dans tant de temps, je vais être maire, ministre, gouverneur, alors, je dois faire attention à ce que je dis. Nous devons être absolument loyaux et dire la vérité. Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée alors que je venais d’arriver à la vice-présidence de la République. Nous étions à La Casona et il s’est produit une cris à cause de PDVSA. Il y a eu rapport présenté par le premier président de PDVSA. Il me semblait être un bon technicien à cause de la façon dont il s’exprimait. A un moment, Chávez lui dit : « Non, petit, tu ne me suis plus, là. Le nouveau président de PDVSA, c’est Isaías. » Alors, je lui dis : « Presidente, je ne sais même pas où se trouve le réservoir d’essence. » Je pense qu’il faut avoir cette loyauté : savoir et dire à quoi quelqu’un sert, personne ne peut servir à tout. Il y a des gens à des postes qui ne savent pas comment faire.

 

traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2021/12/11/venezuela-isaias-rodriguez-en-venezuela-dormimos-con-el-enemigo/

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http://bolivarinfos.over-blog.com/2021/12/venezuela-au-venezuela-nous-dormons-avec-l-ennemi.html