Venezuela : Coincé dans la démocratie représentative
Par Ernesto Cazal
Il est difficile de le nier, nous sommes pris dans la boucle de l’expérience démocratique libérale qui n’a jamais dit adieu à la scène politique vénézuélienne et s’est encore renforcée dans ses formes avec de nouvelles matrices et se protègent aussi bien dans la cadre de la Constitution que dans l’action politique et institutionnelle.
Il est également certain que la population critique constamment cette culture politique qui a été largement rejetée catégoriquement à la fin des années 1980 et pendant la décennie suivante, en contradiction directe avec le pouvoir hégémonique issu du pacte de Punto Fijo dont les restes coulent encore actuellement.
Et, de la même façon qu’un déracinement politique de la démocratie représentative ne s’est pas renforcé en 2 décennies même alors qu’il n’y avait pas d’excuses pour promouvoir l’alternative chaviste (démocratie participative et agissante), certains secteurs du projet bolivarien, aussi bien dans la base politique et institutionnelle que dans le secteur social, ont été intégrés par cette logique héritée du pré-chavisme.
Je ne suis pas en train d’affirmer que ces secteurs sont nécessairement une cinquième colonne ou des opposants déguisés en chavistes mais que dans certains cercles bolivariens prédomine une manière de s’en sortir qui est propre à une culture politique déjà contestée d’avance mais pas enterrée.
On peut facilement voir cela dans les dernières élections de décembre et janvier car plusieurs états et plusieurs mairies où le chavisme était une force politique et sociale sans pareil sont devenus à présent des foyers régionaux et municipaux de l’opposition.
Je pense, surtout, aux états de Cojedes et de Barinas, des régions de plaines qui ont joué un rôle clef dans l’histoire subversive du peuple vénézuélien, qui sont des symboles du bolivarisme et où la chavisme était en bonne santé. Jusqu’à il y a peu.
La raison en est, comme l’a bien exprimé une bonne partie de la population locale dans les médias et sur les réseaux sociaux aussi bien que par son vote, dans l’action de ce qu’on appelle les petits et moyens cadres chargés de gérer le gouvernement et les militants, le lieu où se trouve le point de rencontre crucial entre le peuple et le gouvernement.
Il n’est pas nécessaire d’être un critique acharné du Gouvernement du président Maduro ou même des périodes d’ Hugo Chávez pour constater qu’il existe une « déconnexion » (d’intérêts mais aussi matérielle) entre certains acteurs politiques du chavisme qui sont en charge de mairies, de postes de gouverneurs et d’autres lieux du pouvoir institutionnel et ainsi que parmi ceux qui ont en mains la responsabilité d’organisations de base comme les CLAP, l’UBCH, etc. et le reste de la population qui n’est pas active en politique et dans la gestion de l’administration.
Comment s’exprime cette « déconnexion » ? Par des oublis de la réalité, par le fait de ne pas tenir comptes des plaintes du peuple dont on ne s’occupe pas (comme dans le cas extrême des services publics). Et aussi par l’accumulation délictueuse à petite échelle de biens et de services. Les dénonciations d’abus de pouvoir (bien que ce soit à une micro-échelle), de corruption et de conflits d’intérêts sur le plan social ont constitué un héritage actif de la tradition politique vénézuélienne (et humaine, si on peut élargir le sujet) renforcée sous le schéma des partis pendant la Quatrième République et dont la logique opère déjà non seulement sur le plan politique et institutionnel mais aussi sur le plan social.
Mais l’absence d’union politique, le peu de fiabilité dans les contradictions entre les secteurs de l’écosystème du militantisme, de la gestion et de l’action du chavisme se sont répercutés sur les élections comme à Barinas, selon une analyse de fonds publiée récemment par Mission Vérité.
Il semblerait que ce scénario ne se développe que dans le domaine empirique parce qu’il est plus facile d’analyser la réalité grâce à l’illusion narrative des plateformes médiatiques corporatives mais en réalité, c’est la reproduction de al logique de al démocratie représentative, à présent élargie à l’époque bolivarienne. Ses formes sont en crise depuis des décennies au Venezuela et atteignent les « révolutionnaires professionnels, » les dirigeants populaires, les cadres dirigeants du Grand Pôle Patriotique et même le peuple lui-même, en diffusant comme idéologiue le consentement en faveur du capital.
C’est ce qui fait que nous sommes encore pris dans la boucle de la démocratie représentative dont les soubresauts continuent à animer l’action du politicien moyen mais également du Vénézuélien moyen.
Il est paradoxal que la Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela consente aux us et ocutumes de la démocratie que nous décrivons là tout en encourageant la floraison de ce qu’on appelle la démocratie participative et agissante mais c’est là, en ce point où se rencontrent les 2 systèmes, où nous devons plonger dans l’analyse pour finir par concrétiser les aspirations embryonnaires de al majorité recueillies dans la conception du projet chaviste. Une espèce d’actualisation vénézuélienne de la stratégie de Nicos Poulantzas: « la voie de la démocratie vers le socialisme. »
Le mécontentement et l’indigestion que de nombreux secteurs de la population ressentent à propos de la situation politique du pays est un symptôme symbolique de cette contradiction. Mais stimuler un changement à court et moyen terme de cette tendance doit être fait par les mêmes cadres moyens et petits (étant donné que c’est grâce à eux que les dirigeants nationaux ont décidé d’adapter le contenu des « 3R » aux nouvelles circonstances). Car la population vénézuélienne, dans sa grande majorité, comme certains de ces acteurs politiques dont nous avons parlé, sont trop occupés à « résoudre » les problèmes quotidiens même en temps de rétablissement de l’économie, pour pouvoir s’occuper de politique (même au niveau du voisinage) et encore moins de la formation (la leur et celle des autres) pour l’avenir.
Mais nous pourrions aussi élargir la vision et revenir à la thèse de Fernando Coronil pour donner une image précise du sujet : l’État magique continue à se projeter comme l’entité toute-puissante et unique du Venezuela capable de réussir « le miracle du progrès » grâce à la logique de l’État basé sur la rente pétrolière. La population vénézuélienne a été immergée dans l’imaginaire de ce système depuis l’époque des dictatures de Juan Vicente Gómez et de Marcos Pérez Jiménez en passant par le pacte de Punto Fijo ( dont Carlos Andrés Pérez est la plus haute expression) et s’est exprimé pour la dernière fois sous le gouvernement d’Hugo Chávez avant que les prix du pétrole ne s’effondrent dans la dernière décennie à l’aube du gouvernement du président Maduro.
Des analystes reconnus comme Carlos Mendoza Potellá considèrent que le Venezuela en tant que « pays doit assumer le fait que l’ère de la dépendance envers le pétrole est finie. » Une analyse qui nous semble très loin de la politique économique officielle destinée à libérer « les forces de production qui existent dans le pays et à rétablir profondément les capacités de l’économie réelle, » selon le Président.
Dans la domaine de la société vénézuélienne, ce « changement d’ère » n’est pas encore perceptible, habitués comme nous le sommes, nous, les majorités (certaines classes dans une plus grande mesure que d’autres) à exiger que l’État soit le premier et le dernier acteur d’importance dans la vie politique, économique et culturelle du pays. C’est pourquoi, comme on l’a déjà dit dans d’autres espaces d’analyse, beaucoup de gens dans le pays préfèrent croire au mythe anti-chaviste disant que le blocus économique,financier et commercial est une fiction ou peut-être un moindre mal sans trop d’impact sur la population.
Cette logique qui prédomine est précisément celle qui est en crise avec les formes de la démocratie représentative qui dépassent celles de la démocratie directe dont les racines sont déjà plantées dans la société vénézuélienne si nous pensons aux conseils communaux, aux communes et aux autres organisations décentralisées auxquelles la Constitution donne son aval.
De sorte que nous restons coincés dans la boucle de la démocratie représentative. Elle est épuisée depuis longtemps. Aussi bien les fonctionnaires et les opérateurs politiques (à l’échelle nationale et locale) que la population dans sa majorité, sommes immergés dans sa dialectique appauvrie et il est temps pour nous de résoudre les difficultés que provoque cette situation en tenant compte du fait que nous ne sommes pas seuls au monde et que le Venezuela n’est pas abandonné dans son coin dans sa volonté souveraine.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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