Pérou : Triomphe de l’impunité
Par Carlos Noriega
Le tribunal constitutionnel, par une sentence qui est une atteinte à la légalité, à la justice et à la mémoire a ordonné jeudi la libération de l’ancien dictateur Alberto Fujimori, 83 ans, qui est depuis 2007 dans une prison VIP où il purge une peine de 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité. Le tribunal constitutionnel a laissé sans effet une sentence qui, en octobre 2018, avait annulé parce qu’elle était illégale la grâce qu’en octobre 2018, Pedro Pablo Kuczynski avait accordée à Fujimori sous de faux prétextes humanitaires. Cette annulation avait amené l’ancien dictateur à retourner en prison. Avec la restitution de cette grâce dont la légalité a été remise en question non seulement par la justice locale mais aussi par la cour interaméricaine des droits de l’homme, Fujimori sera libéré. Au moment où j’écris cet article, l’avocat de Fujimori est en train de faire les démarches pour sa libération. Des sympathisants se sont rendus devant la caserne de la police de Lima où Fujimori accomplit sa peine. Dans les rues du centre de Lima, des milliers de personnes ont commencé à se mobiliser pour rejeter la restitution d’une grâce qui consacre l’impunité et est ressentie comme un grave recul des droits de l’homme et un affront pour les victimes de la dictature fujimoriste.
Au tribunal constitutionnel, il y a eu égalité avec 3 voix pour et 3 voix contre la restitution de la grâce à Fujimori et c’est le double vote de son président, Augusto Ferrero qui a emporté la décision. Ferrero a été nommé membre du tribunal constitutionnel en 2017 par le Congrès avec les votes des fujimoristes qui avaient alors la majorité absolue au Parlement. L’avocat de Fujimori, César Nagasaki, a justifié cette décision en insistant sur l’état de santé de son client. Le même argument a été utilisé depuis des années chaque fois que les partisans de Fujimori ont essayé de le faire libérer.
Le président Pedro Castillo a qualifié cette sentence de « reflet de la crise des institutions » dans le pays et a signalé que « les organes de la justice internationale, ceux du Pérou et l’État de droit devraient protéger l’exercice effectif de la justice pour le peuple. » La vice-présidente Dîna Boluarte a exprimé sa solidarité avec les victimes de la dictature fujimoriste. Le chef du cabinet ministériel, Anibal Torres, a qualifié cette décision de « sentence qui porte atteinte aux droits fondamentaux des victimes de délits atroces, » tandis que la ministre de la femme, Diana Miloslavich, a déclaré qu’il s’agit « d’une libération illégale et inacceptable. »
Des organismes des droits de l’homme ont annoncé qu’ils feraient appel devant la cour interaméricaine des droits de l’homme contre la décision du tribunal constitutionnel qui rétablit une grâce annulée parce qu’elle était considérée comme illégale à l’époque. Il signale que cette décision viole la jurisprudence du pays et le droit international en matière de droits de l’homme qui interdit les grâces pour des condamnés pour crimes contre l’humanité comme c’est le cas de Fujimori .
La cour interaméricaine s’est déjà prononcée en 2018 sur l’illégalité de la grâce que Kuczynski avait accordée à Fujimori et à ce moment-là avait ordonné à l’État péruvien de revoir cette décision. Après cette révision, un juge suprême avait annulé la grâce, la considérant comme illégal parce qu’elle avait été entourée par une série d’illégalités et que les arguments utilisés pour justifier une grâce humanitaire étaient faux. On attend maintenant que la cour interaméricaine confirme sa décision antérieure contre la grâce de Fujimori.
Kuczynski avait accordé cette grâce a l’ancien dictateur dans la nuit de Noël de 2017, à la déguisant en pardon humanitaire pour raisons de santé mais immédiatement il est apparu que cette grâce faisait en fait partie d’un pacte infâme conclu sous la table pour récupérer les voix des fujimoristes au Congrès grâce a l’impunité de leur dirigeant. La grâce avait provoqué une grave crise politique et des protestations massive et 3 mois plus tard, le Gouvernement de Kuczynski tombait.
Condamné pour 2 massacres
L’ancien dictateur a été condamné en avril 2009 à 25 ans de prison pour l’assassinat en novembre 1991 de 15 personnes parmi lesquels un enfant de 8 ans, criblées de balles lors d’une fête destinée à recueillir des fonds dans une humble maison de Barrios Altos dans le centre de Lima et pour l’enlèvement et l’exécution de 9 étudiants et d’un professeur de l’université La Cantuta dans les environs de la capitale péruvienne en juillet 1992. Le Gouvernement a accusé sans aucune preuve les victimes des 2 massacres d’être en relation avec le groupe armé maoïste Sentier Lumineux, ce qui a été écarté par la justice.L’ancien dictateur a été condamné en avril 2009 à 25 ans de prison pour l’assassinat un novembre 1991 de 15 personnes parmi lesquelles un enfant de huit ans, criblées de balles lors d’une fête destinée à recueillir des fonds dans une humble maison de Barios Altos, dans le centre de Lima et pour l’enlèvement et l’exécution de neuf étudiants et d’un professeur de l’université La Cantuta dans les environs de la capitale péruvienne en juillet 1992. Le gouvernement a accusé sans aucune preuve les victimes des 2 massacres d’être en relation avec le groupe armé maoïste Sentier lumineux, ce qui a été écarté par la justice.
Ces deux crimes sont considérés comme symboliques des violations des droits de l’homme mais ce ne sont pas les seuls qui ont été commis pendant la dictature. Ils ont été commis par ce qu’on appelle le groupe COLINA, un détachement de l’armée qui agissait comme un escadron de la mort sous les ordres et la protection du Gouvernement de Fujimori. L’ancien dictateur a aussi été condamné pour l’enlèvement d’une journaliste et d’un patron et pour plusieurs affaires de corruption.
L’histoire noire de Fujimori a commencé quand il est devenu le vainqueur de l’élection présidentielle de 1990 alors que jusqu’alors il était inconnu. En 1992, il a fait un auto coup d’Etat, fermé le Congrès et a pris tout le pouvoir dans ses mains pour gouverner avec le soutien des militaires. Il a imposé un régime autocratique, une politique néolibérale, changé la Constitution et s’est fait réélire deux fois.
Il a nommé comme conseiller principal un obscur ancien capitaine de l’armée lié au trafic de drogue, Vladimiro Montesinos, qui est devenu de fait le chef des services de renseignement et des forces armées et était chargé du sale boulot du Gouvernement qui pouvait aller du fait de payer des pots-de-vin pour obtenir du soutien jusqu’à ordonner des assassinats. Avec le soutien de Fujimori, Montesinos , actuellement en prison, a créé et dirigé l’escadron de la mort COLINA. Quand sa dictature est tombée au milieu de dénonciations de fraude pour se faire réélire, de scandales de corruption et des violations des droits de l’homme, en novembre 2020, Fujimori a fui au Japon, le pays de ses parents, où il a trouvé protection. De façon surprenante, en novembre 2005, il s’est rendu au Chili où il a été arrêté et extradé vers le Pérou en septembre 2007 pour y être jugé.
Stérilisations forcées
Depuis, il est en prison, avec une parenthèse de liberté entre décembre 2017 et octobre 2018, une époque où la grâce que lui a accordée Kuczynski était en vigueur. Contre Fujimori , il y a actuellement un procès en marche pour la stérilisation forcée de plus de 300 000 femmes, en majorité des paysannes .
Pendant que les victimes qui ont survécu aux crimes du régime de Fujimori et les familles des disparus et des personnes assassinées, les organismes des droits de l’homme et les secteurs démocratiques s’indignent et protestent pour le rétablissement d’une grâce illégale pour libérer l’ancien dictateur, les partisans de Fujimori et l’ extrême droite font la fête. L’impunité est une fête.
Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos
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