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Amérique latine : Entre l’Occident et l’Eurasie

10 Avril 2022, 18:10pm

Publié par Bolivar Infos

Par Juan J. Paz et Miño Cepeda

L’Amérique latine appartient à l’Occident mais il serait grave pour son développement économique qu’elle considère la Chine et la Russie comme des « menaces » et l’Eurasie comme une région « ennemie. »

 

Après leur indépendance (1776), les États-Unis ont commencé la construction d’une puissante république présidentielle. L’une des doctrines qui ont accompagné leur expansion territoriale fut la doctrine du Destin Manifeste. Une autre, connue sous le nom de Doctrine Monroe (1823), formulée initialement par John Quincy Adams, mais concrétisée par James Monroe, avait pour but de freiner toute tentative de reconquête européenne des anciennes colonies qui avaient acquis leur indépendance. « L’Amérique aux Américains » est devenu, de plus, une politique d’isolement des États-Unis eux-mêmes face a l’Europe de sorte que les deux régions ont pris des chemins différents de développement économique et de vie politique.

 

Dans ce que nous appelons aujourd’hui l’Amérique latine, le premier critique de l’expansionnisme nord-américain fut Simon Bolivar. L’historien Francisco Pividal, y a consacré son livre « Bolivar : une pensée précurseur de l’anti impérialisme. De plus, le Libérateur a imaginé la Grande Colombie comme le premier pas de la construction d’une seule nation latino-américaine sans le concours des États-Unis. Ce fut un rêve impossible mais l’idéal survécut et sans aucun doute, la CELAC (2011), pendant le premier cycle de gouvernement progressiste du début du XXIe siècle, a concrétisé cette intégration exclusivement latino américaniste bien que le projet ait cessé d’avoir la force qu’il a eue avec l’arrivée d’une vague de Gouvernements patronaux–néolibéraux.

 

Malgré le monroisme, pendant le XIXe siècle, l’économie de l’Amérique latine a continué à être liée à l’Europe, par conséquent les États-Unis s’est répandu dans le territoire même sur la côte du Mexique, ainsi que dans les zones de plus grande influence circonscrites à l’Amérique centrale et aux Caraïbes. Le déploiement des États-Unis est survenu au début du XXe siècle et a été favorisé par les guerres mondiales 1914–1918 et 1939–1945) après lesquelles les États-Unis sont devenus la première puissance du monde capitaliste. À ce moment-là l’Amérique latine non seulement réorientait son économie vers les États-Unis mais devenait l’espace d’incursion des capitaux nord-américains accompagnés par l’interventionnisme direct chaque fois qu’il a été nécessaire d’assurer leurs intérêts dans la région. Il existe une large littérature historique sur ces sujets. Les défenseurs de cette incursions n’ont pas manqué comme l’historien Samuel Flag Bernis qui l’a baptisée « impérialisme protecteur » pour la différencier de l’impérialisme « égoïste » des Européens en même temps qu’il considérait que la meilleure politique était celle du « bon voisin» cultivée par F. D. Roosevelt.

 

La guerre froide a affirmé l’hégémonie des États-Unis sur le continent. Ils ont repris le monroisme, en particulier face à la Révolution cubaine (1959) pour aligner le continent sur l’anticommunisme grâce à la diplomatie de l’OEA. Pendant les années 1960 et 1970, les interventions nord-américaines destinées à établir des dictatures militaires qui se sont multipliées en Amérique latine ont été fréquentes. Soi-disant « l’impérialisme protecteur » devait servir à moderniser les économies latino-américaines et à renforcer les démocraties, quelque chose qui, évidemment, n’est pas arrivé. Mais le « développisme » de l’époque grâce a la stimulation des États-Unis a servi à affirmer sui generis un capitalisme latino-américain en élevant à l’extrême la concentration de la richesse et la précarité généralisée des conditions de vie et de travail de la population.

 

Dans les années 1980, le néolibéralisme a pénétré en Amérique latine grâce au FMI et dans les années 1990 il s’est généralisé comme seule voie économique admissible en renversant le socialisme. La mondialisation transnationale et l’hégémonie unipolaire des États-Unis se sont imposées. Mais on n’a pas pu éviter que, dans le déroulement des deux décennies, apparaisse un monde nouveau avec le puissant développement de la Chine et de la Russie à sa tête. Lentement, le multilatéralisme et une relative multipolarité se sont renforcés. L’Amérique latine a profité de ces processus et aujourd’hui a des marchés diversifiés et même les relations économiques avec la Chine et la Russie ont augmenté, déplaçant les intérêts des États-Unis.

 

Le conflit en Ukraine est devenu, en ce moment, décisif pour l’histoire contemporaine de l’humanité. Les puissances impliquées semblent chercher à diviser la terre en 2 camps: celui de la « liberté » et de la « démocratie » en Occident, face a celui des « autocraties » et des « dictatures » en Eurasie. C’est une division manichéenne du monde. Ce n’est même pas un « choc des civilisations » comme l’a conçu Samuel Huntington dans un livre célèbre (1996). Le président Joe Biden a déclaré à la réunion trimestrielle des directeurs exécutifs du Business Roundtable: « Il va y avoir un nouvel ordre mondial et nous devons le diriger. » Et il a prononcé son important discours « discours de l’État de l’union » devant le Congrès dans lequel il a exposé les efforts que les États-Unis feront pour obtenir cette direction parmi lesquels il faut souligner le sens qu’il donne aux politiques sociales et fiscales, quelque chose qui est loin des mentalités conservatrices et retardataires des élites économiques latino-américaine qui plaident pour un État réduit, des coupes dans les investissements sociaux et fiscaux.

 

Mais à tout cela s’ajoute l’effort qu’on peut considérer comme un « néo monroisme. » c’est mieux exprimé dans la « déclaration de position 2022 » présentée par le général d’armée Laura Richardson, commandant du Commandement Sud des États-Unis, devant le comité des services armés du Sénat, un document qui doit être lu sérieusement en Amérique latine. Là, on avertit que le continent est sous « l’attaque » d’une série de défis transversaux et transfrontaliers qui « menacent » directement les États-Unis ; que la Chine et la Russie, qui sont considérées comme des « menaces » par les États-Unis, « étendent agressivement leur influence dans notre voisinage » ; qu’en particulier la Chine « défie d’influence des États-Unis, » dans le domaine économique, diplomatique, technologique, informatique et militaire tandis que la Russie, qui est la « menace la plus immédiate, » augmente ses engagements dans l’hémisphère et intensifie l’instabilité « grâce a ses liens avec le Venezuela, à son retranchement à Cuba et au Nicaragua, et à de larges opérations de désinformation. » À tout cela s’ajoutent les organisations criminelles transnationales (TCO) qui « opèrent presque sans opposition et ouvrent une voie de corruption et de violence, » le tout face aux « fragiles institutions d’État de la région. » On recommande d’utiliser « tous les moyens disponibles » pour renforcer les alliances avec les pays de l’hémisphère et des outils importants comme des programmes de coopération dans la sécurité pour « entretenir et équiper les forces armées de nos partenaires. »

 

L’Amérique latine appartient à l’Occident mais il serait grave pour son développement économique qu’elle considère la Chine et la Russie comme « des menaces » et l’Eurasie comme une région « ennemie. » Dans un monde qui a changé et qui entre dans une aire de géographie multipolaire et de plus, multiculturelle, l’Amérique latine se définit comme une région de paix et ne participe pas aux disputes pour l’hégémonie entre les grandes puissances. Elle peut forger ses propres stratégies de sécurité et de développement sur la base du latino américanisme qui s’appuie sur la souveraineté et l’indépendance loin, à ces hauteurs, des vieilles thèses traditionnelles de la guerre froide et du monroisme. À ce sujet, les définitions internationales évoquées par le président du Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador, guident les nouvelles positions latino-américanistes pour le présent car tous les pays de la région ont intérêt à avoir des liens solides et profitables avec les États-Unis même et avec n’importe quel autre pays ou n’importe quelle région qui puisse contribuer à surmonter efficacement le sous-développement pour créer de meilleures conditions de vie et de travail pour la population.

 

Traduction Françoise Lopez pour Bolivar infos 

 

Source en espagnol :

https://www.resumenlatinoamericano.org/2022/04/05/pensamiento-critico-america-latina-entre-occidente-y-eurasia/

URL de cet article :

http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/04/amerique-latine-entre-l-occident-et-l-eurasie.html